Ilarie Voronca (1903 – 1946) : Le promeneur solitaire
Le promeneur solitaire
Pareille à un promeneur qui, au déclin de l’été
Sur la plage presque déserte quand les fastes
De la saison se meurent au loin, soulève un coquillage
Et écoute la gloire de la mer et ses naufrages secrets.
De temps en temps la mort, promeneur solitaire,
Drapée dans son manteau de nuages et de cendre
Prend l’un de nous entre ses mains et longuement écoute
La vie qui chante en nous comme un coquillage.
Elle imagine alors des terrasses, des parcs
Un couple qui éclaire de son bonheur l’allée
Le soir comme une femme échevelée, les arbres,
Les hommes riant à la table de jeux du crépuscule.
Tour à tour la mort nous ramasse et se penche
Vers le bourdonnement de nos âmes lointaines
Nous sommes les abeilles qui reviennent chargées
Des pollens de la vie, dans la mortelle ruche.
Si l’un de nous pouvait lui dire tous les âges
Et l’espoir et la résignation et l’amour, la vengeance
Si une seul pouvait évoquer en une fois
Tous les éclats et ténèbres de la vie.
La mort le garderait sans appeler les autres
Mais chacun lui apporte un écho trop distant
La mort nous prend nous comme les morceaux épars
D’une lettre qu’elle veut réunir et lire.
De quoi lui parlent donc ces innombrables bouches ?
Lune nomme le ciel, l’autre l’étang, l’autre l’automne
Est-ce la pierre ou l’eau, la gloire ou bien la femme ?
La vie mille formes qui déroutent la mort.
C’est un regret ou l’ombre d’un vol qui se délie
Avec bonté la mort regarde jeux er fards.
Et comme une neige attardée sur les cimes
Un sourire apparaît sur sa face sévère.
Contre-solitude
Editions Bordas, 1946
Du même auteur :
Mon peuple fantôme (08/06/2015)
Eloge du silence (08/06/2016)
Fragments (08/06/2017)
Mes amis, mes montagnes (08/06/2018)
Amitié du poète (08/06/2019)
« Quand nos âmes seront réunies... » (08/06/2020)
A l’inconnue (08/06/2021)
« Sous nos fenêtres les jardins... » (02/12/2021)
Campagne (08/06/2022)
Le bal des coraux / Balul coraliilor (08/06/2023)