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Le bar à poèmes
7 mars 2022

Hervé Carn (1949 -) : l’Arbre des flots

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Crédits : DIN-B141A

 

L’Arbre des flots

à Guy Malabry

 

Le vent repousse

Dans le sens de la couleur

Une épave belle rouillée

Par le sel foudroyée

Liquide bleutée

De rouge traversée

 

Le vent décolle

Des surfaces le geste

Qu’il lui a fallu

Pour donner à la couleur

Les charmes d’une aimée

La douleur d’une fuite

La trace d’une faille

Profonde silencieuse

L’application d’une pensée

Fragile forte sinueuse

 

Le vent plaque sur elle

De nouveaux signes

Hissés par le regard

 

 

 

Les flots balancent les espérances

Quand ils battent contre le vent

Ils sont dans l’immobile

Blancheur du monde

Qui ne cesse de happer les cris

Des noyés des oiseaux des mers

Messagers du vide

De l’ennui du triomphe

De tous les sons jetés

Sur la couleur en fuite

 

Les flots balancent les chimères

Sur les rives de la couleur

Elle file lentement dans le ciel

Hors des zones de l’ombre

Que la nuit dépose en reliques

Du petit jour puisque le temps

N’a plus d’espace n’a plus

De sens sous les signes

Des mondes immergés

 

 

 

Que pourrions-nous déposer à tes pieds

Couleur belle de la lumière

Sinon dans un geste exact

Une rupture de l’air qui consumerait

Dans un instant l’effet d’une envolée

Avant qu’elle retombe dans le vide

 

La couleur est trouvée par la main

Prise de l’emprise de la forme

Adoubée par l’émotion de la caresse

Pour qu’elle achève son geste

Dans la profondeur

Dans la blessure

Dans l’accompagnement

De l’attention généreuse

De celui qui la guide

Tel le marcheur de la grève

Vers le dernier point de l’œil

Vers les rêves révélés

Par la joie et la douleur

 

 

 

L’arbre peut inventer

Les turbulences dans le vent

Le bruissement du regard

Pour y creuser du vide

Et le conduire à la lumière

 

L’arbre des flots passe

Lentement dans les canaux

Il tisse des messages

Sans qu’une hésitation

De ses ramages butine

Les attentes renversées

 

Souvent l’arbre des flots

Se redresse se hausse du col

Pour mieux faire danser

Les morts qui s’y accrochent

Dans les grondements de l’écume

Dans le chagrin dans l’orgueil

D’accepter le rire des flots

 

 

 

Il est si doux de vivre

Grâce aux souffles du vent

De sentir l’origine

Pliée dans le mouvement

Il faut pourtant fermer

Les yeux en écoutilles

Brasser le désir

Dans les chenaux du vent

 

 

 

Pour que le temps s’emmêle

Les yeux s’arrondiront

Vers la lumière vers les monts

Qui seront déportés

Quand la peur est à distance

Posée comme un amer

 

Le vent n’a de promesse

Que celle de disparaître

Les flots sont sa présence

Quand ils frissonnent sur la peau

 

Le vent sème les flots

 

 

 

La couleur de l’arbre mort

Est celle de notre monde

Elle est masque de la pierre

De sa grandeur de sa blessure

 

L’arbre des flots se redresse

Pour pouvoir toucher le vent

Quand le vent se détourne de lui

Dans une belle indifférence

 

Les flots se hâtent de chasser

Les gestes de l’étreinte

Quand ils se font rigoles

D’encre de larmes de salive

 

La couleur de l’arbre des flots

Se répand autour de l’œil

Active le cours du sang

Souligne défaites et rires

 

Quand le vent lève les flots

Ils sont les branches de l’arbre mort

 

 

 

La couleur est une alarme

Elle crie le mouvement

Du monde vers sa fin

Qu’elle embellit

Elle surgit tranchante

Dans les yeux des corps

Elle agit dans la lumière

Pour tuer toute origine

Elle meurtrit l’ombre

Quand elle la suit

Le vent lui donne l’aura

Des mots qui cheminent

Des lignes vers le désordre

Le vent rabat ses prouesses

Jusqu’aux scintillements

De l’étincelle

 

Le vent de la couleur

Dessine des conques noires

Jetées dans les bras morts

 

 

 

Sur la plate étendue

Du monde limité

Sortent des mains des fleurs

Des nuances ternes ou vives

La couleur épouse les airs

Malgré le vent malgré la pluie

La danse de l’ombre

Inscrite dans la lumière

 

L’arbre des flots s’enfonce

Dans le souvenir avec la pure

Allégresse d’une pente abrupte

Qui le fait devenir le trou

D’une présence qu’il exhibe

Dans le renoncement

D’une approche de l’être

Murmurant à l’oreille

Des silences et des rires

 

la lumière du vent

Abolit la couleur

 

 

 

Gagnés par la fraîcheur

Une fois pour toutes

Yoles et navires

Mêlent leurs cris et leurs élans

Avant que l’arbre de lumière

Lâche la nuit tous ses repères

Au bout du vent au bout des mers

Brisé par les tempêtes et les courants

Remis debout par la mitraille

Y fait danser tous les balcons

 

Hélas le temps n’a de cervelle

Est étranger à la couleur

Résiste à voir filer les flots

Vers l’horizon vers la lumière

Et les volcans

 

Chaque matin revient quand même

Au bout du vent au bout des flots

Rien ne pourra sortir de nous

Nous mourrons tous en sentinelles

 

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023) 

Petits secrets (2) (02/09/2023)

Georges Perros (1-7) (01/07/2024)

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