Hervé Carn (1949 -) : l’Arbre des flots
Crédits : DIN-B141A
L’Arbre des flots
à Guy Malabry
Le vent repousse
Dans le sens de la couleur
Une épave belle rouillée
Par le sel foudroyée
Liquide bleutée
De rouge traversée
Le vent décolle
Des surfaces le geste
Qu’il lui a fallu
Pour donner à la couleur
Les charmes d’une aimée
La douleur d’une fuite
La trace d’une faille
Profonde silencieuse
L’application d’une pensée
Fragile forte sinueuse
Le vent plaque sur elle
De nouveaux signes
Hissés par le regard
Les flots balancent les espérances
Quand ils battent contre le vent
Ils sont dans l’immobile
Blancheur du monde
Qui ne cesse de happer les cris
Des noyés des oiseaux des mers
Messagers du vide
De l’ennui du triomphe
De tous les sons jetés
Sur la couleur en fuite
Les flots balancent les chimères
Sur les rives de la couleur
Elle file lentement dans le ciel
Hors des zones de l’ombre
Que la nuit dépose en reliques
Du petit jour puisque le temps
N’a plus d’espace n’a plus
De sens sous les signes
Des mondes immergés
Que pourrions-nous déposer à tes pieds
Couleur belle de la lumière
Sinon dans un geste exact
Une rupture de l’air qui consumerait
Dans un instant l’effet d’une envolée
Avant qu’elle retombe dans le vide
La couleur est trouvée par la main
Prise de l’emprise de la forme
Adoubée par l’émotion de la caresse
Pour qu’elle achève son geste
Dans la profondeur
Dans la blessure
Dans l’accompagnement
De l’attention généreuse
De celui qui la guide
Tel le marcheur de la grève
Vers le dernier point de l’œil
Vers les rêves révélés
Par la joie et la douleur
L’arbre peut inventer
Les turbulences dans le vent
Le bruissement du regard
Pour y creuser du vide
Et le conduire à la lumière
L’arbre des flots passe
Lentement dans les canaux
Il tisse des messages
Sans qu’une hésitation
De ses ramages butine
Les attentes renversées
Souvent l’arbre des flots
Se redresse se hausse du col
Pour mieux faire danser
Les morts qui s’y accrochent
Dans les grondements de l’écume
Dans le chagrin dans l’orgueil
D’accepter le rire des flots
Il est si doux de vivre
Grâce aux souffles du vent
De sentir l’origine
Pliée dans le mouvement
Il faut pourtant fermer
Les yeux en écoutilles
Brasser le désir
Dans les chenaux du vent
Pour que le temps s’emmêle
Les yeux s’arrondiront
Vers la lumière vers les monts
Qui seront déportés
Quand la peur est à distance
Posée comme un amer
Le vent n’a de promesse
Que celle de disparaître
Les flots sont sa présence
Quand ils frissonnent sur la peau
Le vent sème les flots
La couleur de l’arbre mort
Est celle de notre monde
Elle est masque de la pierre
De sa grandeur de sa blessure
L’arbre des flots se redresse
Pour pouvoir toucher le vent
Quand le vent se détourne de lui
Dans une belle indifférence
Les flots se hâtent de chasser
Les gestes de l’étreinte
Quand ils se font rigoles
D’encre de larmes de salive
La couleur de l’arbre des flots
Se répand autour de l’œil
Active le cours du sang
Souligne défaites et rires
Quand le vent lève les flots
Ils sont les branches de l’arbre mort
La couleur est une alarme
Elle crie le mouvement
Du monde vers sa fin
Qu’elle embellit
Elle surgit tranchante
Dans les yeux des corps
Elle agit dans la lumière
Pour tuer toute origine
Elle meurtrit l’ombre
Quand elle la suit
Le vent lui donne l’aura
Des mots qui cheminent
Des lignes vers le désordre
Le vent rabat ses prouesses
Jusqu’aux scintillements
De l’étincelle
Le vent de la couleur
Dessine des conques noires
Jetées dans les bras morts
Sur la plate étendue
Du monde limité
Sortent des mains des fleurs
Des nuances ternes ou vives
La couleur épouse les airs
Malgré le vent malgré la pluie
La danse de l’ombre
Inscrite dans la lumière
L’arbre des flots s’enfonce
Dans le souvenir avec la pure
Allégresse d’une pente abrupte
Qui le fait devenir le trou
D’une présence qu’il exhibe
Dans le renoncement
D’une approche de l’être
Murmurant à l’oreille
Des silences et des rires
la lumière du vent
Abolit la couleur
Gagnés par la fraîcheur
Une fois pour toutes
Yoles et navires
Mêlent leurs cris et leurs élans
Avant que l’arbre de lumière
Lâche la nuit tous ses repères
Au bout du vent au bout des mers
Brisé par les tempêtes et les courants
Remis debout par la mitraille
Y fait danser tous les balcons
Hélas le temps n’a de cervelle
Est étranger à la couleur
Résiste à voir filer les flots
Vers l’horizon vers la lumière
Et les volcans
Chaque matin revient quand même
Au bout du vent au bout des flots
Rien ne pourra sortir de nous
Nous mourrons tous en sentinelles
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Du même auteur :
La brûlure (21/02/2015)
Ce monde est un désert (07/03/2020)
Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)
Le bruit du galop (II) (01/09/2021)
Le rire de Zakchaios (01/09/2022)
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Petits secrets (2) (02/09/2023)
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