Denis Rigal (1938 - 2021) : Divers exil
Divers exils
1
De l’exil au bord des flots
opaques, cette voix de nuit
tombée, sans nom, qui parle bas
syllabes de sybille
confiées à l’étendue, coulées
sur la chair à la tiède cadence
ainsi nuées dans le clos du regard,
dans la noire et violente toison,
des mots mués enfin, encens
inverse, feu ophidien
des métamorphoses.
2
le monde est à regarder seul
est un mur sans rien derrière
ni dedans que la poussière
qui sourd à l’identique
petit matin à l’endémique lent
demain se pose sur les visages
frémit d’improbables murmures
comme courait un feu dans la pierraille
du désert sans une épine à consumer
jusqu’à marquer d’un signe encore
la paroi déjà peinte le roc déjà gravé
3
ailleurs sont les amants cloués
à leur zénith ou vagues algues
dans l’eau indéfinie cette parole
est leur exil la vraie femme très nue
très droite parmi d’autres figures
er fabriques ne dira rien
4
ni la bouche lasse lourde
meurtrie peut-être et qui remue
heureuse entre deux rêves entre deux os
confluent des silences où gémit
où j’ai mis...
non.coupez.
5
ô certes le temps le vent
vous caressaient bouches obscures
une lueur montait un souffle
dans l’herbe déliée et même
dans le regain vert-noir et les colchiques
on partageait
le baragouin des communions cosmiques
on jouait la ferveur
à cinquante contre un
6
un caillou gris parmi tant d’autres
jeté par-dessus la mythique épaule
et qui rêve de dragons édentés
d’homonculus hurlant sous la potence
d’un dieu tonitruant et pleuvant l’or
qui se fait cygne pour abuser Léda
née de la terre : ainsi va toute fable
laisse égarés quelques humains épars
puis çà puis là poussés dans le saumâtre
entre la fange et le désert poussés
à bout poussés au four et à la fosse
7
et tu dis : « le cri noir de la terre »,
tu clames, la glaise grasse luit jaune-bistre,
la lise lisse absorbe et indiffère,
les mots y bordent leurs racines,
font comme si, adhèrent à peine,
ni à eux-mêmes ; au-delà un dessin
peut-être vaudrait, fait de répudiations,
bancal,
oblique ;
un estran hachuré d’épaves,
de coques vides, de brise-l’âme
mais il y a beaucoup à retenir
Vieles aber
la silhouette du bassier le goût
du vent l’odeur du bois
dans l’appentis du menuisier
au bord du fleuve
Vieles aber ist zu behalten
Fondus au noir
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée,1996
Du même auteur :
« Une fois, / Les écluses s’ouvrirent… » (16/03/2015)
Des fins premières (25/08/2016)
« rouillés sont les vaisseaux friables… » (25/08/2017)
Nord Nord-Ouest par Ouest (25/08/2018)
Pour tenir lieu (25/08/2019)
Problématique (25/08/2020)
Fondus au noir (25/08/2021)
Combaneyre (25/08/2022)
La joie peut-être (18/02/2023)
Denis Rigal : Nord (18/02/2024)