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Le bar à poèmes
1 septembre 2021

Hervé Carn (1949 -) : Le bruit du galop (II)

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Vive la brume dis-tu

Dans l’après-midi uniforme

A peine troué des cimes des arbres

Car la brume est un linceul

Amical délicat humide

Des sueurs de l’amour

Des travaux des champs

Dans la présence de la caresse

Et puis le temps abandonne

Son pouvoir à l’atone embellie

D’un vide protecteur

Qui laisse les pleurs

En suspens comme le rire

On n’attend plus le soir

Il est déjà là au coeur

Du même enclos

Des rêves et du trépas

 

Le vide muet appelle

Une voix impossible

Qui surgit pourtant dans l’élan

Des remontées nocives du passé

Dépassé repassé si passé

Qu’il n’autorise plus

Aucun lavage aucun sourire

Même attendri même suspect

Forme hésitante hébétée

Qui a besoin de l’action

Pour rejoindre son état

Premier d’une vigie gelée

Malgré tout avant de revenir

Au sommet des miroirs

Accrochés dans les salons

Des maisons pieuses

Des cités presque englouties

 

La dérive des genres

Entre les langues des hommes

Est une énigme plus ferme

Que les secrets du monde

Sans la main élégante

Le monde serait bloqué

Au bord du précipice

Sans même l’envie de le combler

Sans même la honte ou la joie

Propres aux catastrophes

Les guerres des langues

Ont des amis fidèles

Dans les couleurs les sons

Dans les aigreurs du matin

Quand l’homme descend

De son navire après la pluie

 

Mais malgré l’impatience

On ne pourra savoir dis-tu

Combien il faudra de chocs

Ou d’abandons pour pouvoir

Sauver le corps de son fatras

De son oracle mort ou tendu

Par les faibles résurgences

Du fleuve souterrain alourdi

Dans ses eaux des sédiments

Que le pouce de l’ogre

Roule en boulettes d’ambre

Qu’il dépose sur le mur

Des cimetières gagnés d’herbes

Ou sur l’île où tout commence

Par la pierre et les chants rauques

Par le soleil précipité du ciel

Dans un geste désinvolte

 

Et le vent qui te caresse

Sans vergogne dans la nuit

De tempête et ramène

Les pleurs des petites filles

Dans des parcs abandonnés

A la surface dans le ciel

A l’horizon dans les éthers

Comment les craquements

Des arbres morts rendent

Si vive la présence

Des moments d’arrêt

De la vie de l’intensité

D’autant plus folle

Que rien ne demeure

Sinon cette brûlure

En toi si douce si caressante

Dans son lent retour

 

Quand la pluie dévale

Des toits sur ton chapeau

Il n’y a nulle élégance

Dans cette jonction du ciel

Et de toi le souvenir sourd

Des passants donne à la place

Vide le charme des Enfers

Quand l’appelé y renonce

Que le théâtre ne s’ouvre

Pas encore sous les pas

Des témoins des massacres

Tu refuses cette scène

Qui te hante te façonne

Dans l’inquiète attente

De l’évènement redouté

De l’agencement de l’ombre

Dans le cœur ulcéré

 

Mais cette pluie tombée

Si droite devant tes pas

Oblige le vent à enfler

Dans les arbres noirs

Des crêtes des couronnes

Des horizons intangibles

Il ne sera pas dit

Que la lumière puisse

Se perdre dans les souvenirs

D’une habitude d’un remords

D’une vielle histoire

Abandonnée aux hommes

Qui se battent pour cet os

Jusqu’à sentir tout près d’eux

Le souffle attractif

De ce qu’ils redoutent

 

Solde d’hiver ou de printemps

La pensée rétive au mouvement

Prend son envol dans la réclame

Les mots aux sons trop connus

Sifflent comme les pistons

D’une machine lassée

De dire le monde et ses ratés

L’urgence n’est pas d’ici

Ni d’ailleurs sans doute

Passons le reste de la vie

A attendre les râles

Des nouvelles découragées

Affichées en totems

De l’entendement du bien-être

Des suffisantes roteuses

Qui perforent tout le papier

De la soie électrisante

 

Sommes-nous du monde

Ou hors de ce monde

Où l’air se délite quand rien

N’est plus que référence

Dans poèmes et récits

Que bombes de teinturier

Sommes-nous du monde

Quand les fleurs fanent

Avant d’éclore que le vent

Fait marche arrière

Emporte les sables

A la place de l’eau

La chaleur dans la neige

Les glaces incandescentes

N’est-ce pas une plaie

Interminable dont Moïse

N’a ni le fil ni le bâton

 

Voici enfin le soleil le seul

Qui peut guider mes pas

Sur la page vierge du temps

Je te suis Ô Dieu qui brises

Mes chaînes avant que la nuit

Ne ramène les songes gris

Ou les belles figures de l’azur

Portées par le souffle

Du monde dans la parole

Des anonymes des inconnus

Avec qui l’âme errante

De la fatigue donne

Délégation d’être au plus près

Des choses dans la marque

Apprise ou retrouvée

Dans les terreaux de l’abîme

Où les orgues du matin

 

Mais l’hiver lucide

S’abat sur nos visages

Il donne au matin

Les larmes sèches

D’une douleur ancienne

Que les chants

Des veuves martèlent

Et prolongent dans le vent

On se tient roide

On est troublé par les cris

Qui lèvent malgré tout

Sous les tilleuls les hêtres

Tous ces arbres morts

Qui rendent la vie

Plus légère que plume

Plus fragile que souffle

Plus fuyante que poisson

 

Les feux de la joie du monde

Sont lovés sous mes aisselles

Planqués dans la ceinture

Je suis ton âme tienne salaud

Qui la délaisses et prends

Des fuites des travers

Pour laisser croire à tous

Que rien n’est simple

Que rien n’atteint

L’essence des coutures

Les paumes incendiées

Tendent leurs pores

Vers cet avenir que toi

Toi-même tu feins toujours

De redouter de toucher

D’humilier de chérir

En marche dans la brume

 

Allons ne meurtris pas

Ton visage par la douleur

Que tu laisses filtrer

Dans tes molles paupières

Bon sang on n’est rien

Tu le sais bien tu le dis

Sans y croire tout à fait

Un coin de sottise se fait jour

Chaque fois que s’est éteinte

Ta parole que tu jouis

De savoir ton secret

Quand les autres hommes

S’en moquent s’en délectent

Trouvent que ton nom efface

Les souffles des prières

Et te condamnent le soir

A la solitude bleue

 

Toujours l’ombre dans l’eau

Rappelle les bords de la rivière

Quand la pluie tombe

Goute à goutte surprise

Des plantes des pêcheurs

Il faut attendre ce que dit

Le ciel et savoir s’il te punit

S’il te donne amitié

Ou amour dans les senteurs

O vieux nez maintenant

Rongé par tant de jours

Ne viens pas dans le tamis

Du temps ne rallume pas

La joie du matin

Quand virevoltent légers

Les gestes de tendresse

Des longs bras des tilleuls

 

Il roule par la brume

L’hiver du printemps

Est-ce le dernier jour

Quan la clarté molle

Suspend son geste doux

Par politesse par luxure

Quand le droit fil du temps

Balance par la fenêtre

Que nos jeux nos yeux

S’ouvrent et martyrisent

Les élans et les pleurs

Qui se raidissent dans ls cri

La fureur les souffleries

Giclent des rigoles de pluie

Dans ton œil lassé

Des larmes et des joies

Qu’emportent tes années

 

L’enfer corrompt la lumière

Et tu vas si loin

Sur la route encombrée

Des chiens des cadavres

Des liens que les bras laissent

Filer directement sur le sol

Tu fermes les yeux

Pour retrouver les limbes

Toujours inondés par le sang

Des massacres avant de revenir

Sous le signe des menaces

Et des schlagues de sang

Il faut affronter seul

Cette solitude résignée

Que tu ne peux plus

Exhiber en talisman

Comme le fond de ton être

 

Celle qui te suivait

Si proche de tes pas

Avait enfin trouvé en toi

Le baume qui endort

Dans ce pays qui t’aime

Malgré tes gestes durs

Il est toujours en toi

Cette trace fine nette

Que fit ton regard

Déposé sur la nuque

Dans l’attention appliquée

D’un soleil réduit au trait

Qui te fend et te fonde

En une matière nouvelle

De prendre congé du temps

Au plus près des embellies

De son ombre habitée

 

Mais le bleu que tu tiens

Entre tes doigts d’ombre

Sort du plus lointain

Pays de ton âme

De tes sens de ton énergie

Que dure est la fin

D’une vivante carapace

Qu’enserre en tremblant

Le souffle du vent chaud

Gagné par la fièvre

Ou les rauques cavalcades

Des cils ombragés des pores

Enneigés par la moisissure

Des pluies et des pleurs

Déposés sur les doigts

Par la fleur effeuillée

Des lèvres entrouvertes

 

La coulée de lave

Souille tes lèvres

Ramène du plus profond

Tes émois tes désirs

On mange le temps dis-tu

Ou on le ronge

Mais ton corps avance

Quand même sous l’élan

Du premier pas

Comme ta langue

Est emportée par le mot

Qui vint se caler

De ta bouche à la remorque

De ton souffle de ton cri

Poussé par le geste brutal

D’une chute dans la nuit

De la perte et du chagrin

 

Souvent en nage

Vers le songe qui menace

ton corps saigne dis-tu

Ton corps gît dans la glace

Des draps mouillés

Tu renonces à vivre

Tu laisses aller tes membres

Qui cognent contre le mur

Dans un dernier ahan

Dans un dernier élan

Que tu aimerais léger

Pareil dans les nuées

Au vide sans image

Aucune sinon une trace

Ephémère et vive

Blessante et claire

pour donner à la terre

Des frissons de regret

 

Non rien ne vient

De ce côté-là du moins

Tu seras comme les autres

Hommes comme les pires

Les moins solides les plus tristes

Recroquevillé dans une alcôve

Dans la boue dans les effluves

Déshérités des mouroirs

Qui font mûrir les restes

De la vie dans les corps malades

Oui dis-tu mauvais génie

Qui t’a pris dès l’origine

Sous son bras sec

En marquant ta douleur

Ranimée chaque soir

Par l’haleine forte

Du voyageur de la nuit

De celui qui passe les monts

 

Mais comme aujourd’hui

Ton pays veut te surprendre

Il te saisir par la main

Te conduit vers les lueurs

Orange du petit matin

Oh il te laisse ses fruits

Ses chaleurs ses eaux limpides

Où se poursuivent les poissons

Non tu ouvres les yeux de nouveau

Et la caresse du vent levé

Sur la pierre sur ta peau

Te changent peu à peu

En longues traînées de pierre

Qui sous tes yeux se nouent

Dans les siècles des siècles

De la communion des chairs

Découpées rongées jusqu’à l’os

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

Georges Perros (1-7) (01/07/2024)

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