Hervé Carn (1949 -) : Le bruit du galop (II)
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Vive la brume dis-tu
Dans l’après-midi uniforme
A peine troué des cimes des arbres
Car la brume est un linceul
Amical délicat humide
Des sueurs de l’amour
Des travaux des champs
Dans la présence de la caresse
Et puis le temps abandonne
Son pouvoir à l’atone embellie
D’un vide protecteur
Qui laisse les pleurs
En suspens comme le rire
On n’attend plus le soir
Il est déjà là au coeur
Du même enclos
Des rêves et du trépas
Le vide muet appelle
Une voix impossible
Qui surgit pourtant dans l’élan
Des remontées nocives du passé
Dépassé repassé si passé
Qu’il n’autorise plus
Aucun lavage aucun sourire
Même attendri même suspect
Forme hésitante hébétée
Qui a besoin de l’action
Pour rejoindre son état
Premier d’une vigie gelée
Malgré tout avant de revenir
Au sommet des miroirs
Accrochés dans les salons
Des maisons pieuses
Des cités presque englouties
La dérive des genres
Entre les langues des hommes
Est une énigme plus ferme
Que les secrets du monde
Sans la main élégante
Le monde serait bloqué
Au bord du précipice
Sans même l’envie de le combler
Sans même la honte ou la joie
Propres aux catastrophes
Les guerres des langues
Ont des amis fidèles
Dans les couleurs les sons
Dans les aigreurs du matin
Quand l’homme descend
De son navire après la pluie
Mais malgré l’impatience
On ne pourra savoir dis-tu
Combien il faudra de chocs
Ou d’abandons pour pouvoir
Sauver le corps de son fatras
De son oracle mort ou tendu
Par les faibles résurgences
Du fleuve souterrain alourdi
Dans ses eaux des sédiments
Que le pouce de l’ogre
Roule en boulettes d’ambre
Qu’il dépose sur le mur
Des cimetières gagnés d’herbes
Ou sur l’île où tout commence
Par la pierre et les chants rauques
Par le soleil précipité du ciel
Dans un geste désinvolte
Et le vent qui te caresse
Sans vergogne dans la nuit
De tempête et ramène
Les pleurs des petites filles
Dans des parcs abandonnés
A la surface dans le ciel
A l’horizon dans les éthers
Comment les craquements
Des arbres morts rendent
Si vive la présence
Des moments d’arrêt
De la vie de l’intensité
D’autant plus folle
Que rien ne demeure
Sinon cette brûlure
En toi si douce si caressante
Dans son lent retour
Quand la pluie dévale
Des toits sur ton chapeau
Il n’y a nulle élégance
Dans cette jonction du ciel
Et de toi le souvenir sourd
Des passants donne à la place
Vide le charme des Enfers
Quand l’appelé y renonce
Que le théâtre ne s’ouvre
Pas encore sous les pas
Des témoins des massacres
Tu refuses cette scène
Qui te hante te façonne
Dans l’inquiète attente
De l’évènement redouté
De l’agencement de l’ombre
Dans le cœur ulcéré
Mais cette pluie tombée
Si droite devant tes pas
Oblige le vent à enfler
Dans les arbres noirs
Des crêtes des couronnes
Des horizons intangibles
Il ne sera pas dit
Que la lumière puisse
Se perdre dans les souvenirs
D’une habitude d’un remords
D’une vielle histoire
Abandonnée aux hommes
Qui se battent pour cet os
Jusqu’à sentir tout près d’eux
Le souffle attractif
De ce qu’ils redoutent
Solde d’hiver ou de printemps
La pensée rétive au mouvement
Prend son envol dans la réclame
Les mots aux sons trop connus
Sifflent comme les pistons
D’une machine lassée
De dire le monde et ses ratés
L’urgence n’est pas d’ici
Ni d’ailleurs sans doute
Passons le reste de la vie
A attendre les râles
Des nouvelles découragées
Affichées en totems
De l’entendement du bien-être
Des suffisantes roteuses
Qui perforent tout le papier
De la soie électrisante
Sommes-nous du monde
Ou hors de ce monde
Où l’air se délite quand rien
N’est plus que référence
Dans poèmes et récits
Que bombes de teinturier
Sommes-nous du monde
Quand les fleurs fanent
Avant d’éclore que le vent
Fait marche arrière
Emporte les sables
A la place de l’eau
La chaleur dans la neige
Les glaces incandescentes
N’est-ce pas une plaie
Interminable dont Moïse
N’a ni le fil ni le bâton
Voici enfin le soleil le seul
Qui peut guider mes pas
Sur la page vierge du temps
Je te suis Ô Dieu qui brises
Mes chaînes avant que la nuit
Ne ramène les songes gris
Ou les belles figures de l’azur
Portées par le souffle
Du monde dans la parole
Des anonymes des inconnus
Avec qui l’âme errante
De la fatigue donne
Délégation d’être au plus près
Des choses dans la marque
Apprise ou retrouvée
Dans les terreaux de l’abîme
Où les orgues du matin
Mais l’hiver lucide
S’abat sur nos visages
Il donne au matin
Les larmes sèches
D’une douleur ancienne
Que les chants
Des veuves martèlent
Et prolongent dans le vent
On se tient roide
On est troublé par les cris
Qui lèvent malgré tout
Sous les tilleuls les hêtres
Tous ces arbres morts
Qui rendent la vie
Plus légère que plume
Plus fragile que souffle
Plus fuyante que poisson
Les feux de la joie du monde
Sont lovés sous mes aisselles
Planqués dans la ceinture
Je suis ton âme tienne salaud
Qui la délaisses et prends
Des fuites des travers
Pour laisser croire à tous
Que rien n’est simple
Que rien n’atteint
L’essence des coutures
Les paumes incendiées
Tendent leurs pores
Vers cet avenir que toi
Toi-même tu feins toujours
De redouter de toucher
D’humilier de chérir
En marche dans la brume
Allons ne meurtris pas
Ton visage par la douleur
Que tu laisses filtrer
Dans tes molles paupières
Bon sang on n’est rien
Tu le sais bien tu le dis
Sans y croire tout à fait
Un coin de sottise se fait jour
Chaque fois que s’est éteinte
Ta parole que tu jouis
De savoir ton secret
Quand les autres hommes
S’en moquent s’en délectent
Trouvent que ton nom efface
Les souffles des prières
Et te condamnent le soir
A la solitude bleue
Toujours l’ombre dans l’eau
Rappelle les bords de la rivière
Quand la pluie tombe
Goute à goutte surprise
Des plantes des pêcheurs
Il faut attendre ce que dit
Le ciel et savoir s’il te punit
S’il te donne amitié
Ou amour dans les senteurs
O vieux nez maintenant
Rongé par tant de jours
Ne viens pas dans le tamis
Du temps ne rallume pas
La joie du matin
Quand virevoltent légers
Les gestes de tendresse
Des longs bras des tilleuls
Il roule par la brume
L’hiver du printemps
Est-ce le dernier jour
Quan la clarté molle
Suspend son geste doux
Par politesse par luxure
Quand le droit fil du temps
Balance par la fenêtre
Que nos jeux nos yeux
S’ouvrent et martyrisent
Les élans et les pleurs
Qui se raidissent dans ls cri
La fureur les souffleries
Giclent des rigoles de pluie
Dans ton œil lassé
Des larmes et des joies
Qu’emportent tes années
L’enfer corrompt la lumière
Et tu vas si loin
Sur la route encombrée
Des chiens des cadavres
Des liens que les bras laissent
Filer directement sur le sol
Tu fermes les yeux
Pour retrouver les limbes
Toujours inondés par le sang
Des massacres avant de revenir
Sous le signe des menaces
Et des schlagues de sang
Il faut affronter seul
Cette solitude résignée
Que tu ne peux plus
Exhiber en talisman
Comme le fond de ton être
Celle qui te suivait
Si proche de tes pas
Avait enfin trouvé en toi
Le baume qui endort
Dans ce pays qui t’aime
Malgré tes gestes durs
Il est toujours en toi
Cette trace fine nette
Que fit ton regard
Déposé sur la nuque
Dans l’attention appliquée
D’un soleil réduit au trait
Qui te fend et te fonde
En une matière nouvelle
De prendre congé du temps
Au plus près des embellies
De son ombre habitée
Mais le bleu que tu tiens
Entre tes doigts d’ombre
Sort du plus lointain
Pays de ton âme
De tes sens de ton énergie
Que dure est la fin
D’une vivante carapace
Qu’enserre en tremblant
Le souffle du vent chaud
Gagné par la fièvre
Ou les rauques cavalcades
Des cils ombragés des pores
Enneigés par la moisissure
Des pluies et des pleurs
Déposés sur les doigts
Par la fleur effeuillée
Des lèvres entrouvertes
La coulée de lave
Souille tes lèvres
Ramène du plus profond
Tes émois tes désirs
On mange le temps dis-tu
Ou on le ronge
Mais ton corps avance
Quand même sous l’élan
Du premier pas
Comme ta langue
Est emportée par le mot
Qui vint se caler
De ta bouche à la remorque
De ton souffle de ton cri
Poussé par le geste brutal
D’une chute dans la nuit
De la perte et du chagrin
Souvent en nage
Vers le songe qui menace
ton corps saigne dis-tu
Ton corps gît dans la glace
Des draps mouillés
Tu renonces à vivre
Tu laisses aller tes membres
Qui cognent contre le mur
Dans un dernier ahan
Dans un dernier élan
Que tu aimerais léger
Pareil dans les nuées
Au vide sans image
Aucune sinon une trace
Ephémère et vive
Blessante et claire
pour donner à la terre
Des frissons de regret
Non rien ne vient
De ce côté-là du moins
Tu seras comme les autres
Hommes comme les pires
Les moins solides les plus tristes
Recroquevillé dans une alcôve
Dans la boue dans les effluves
Déshérités des mouroirs
Qui font mûrir les restes
De la vie dans les corps malades
Oui dis-tu mauvais génie
Qui t’a pris dès l’origine
Sous son bras sec
En marquant ta douleur
Ranimée chaque soir
Par l’haleine forte
Du voyageur de la nuit
De celui qui passe les monts
Mais comme aujourd’hui
Ton pays veut te surprendre
Il te saisir par la main
Te conduit vers les lueurs
Orange du petit matin
Oh il te laisse ses fruits
Ses chaleurs ses eaux limpides
Où se poursuivent les poissons
Non tu ouvres les yeux de nouveau
Et la caresse du vent levé
Sur la pierre sur ta peau
Te changent peu à peu
En longues traînées de pierre
Qui sous tes yeux se nouent
Dans les siècles des siècles
De la communion des chairs
Découpées rongées jusqu’à l’os
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Du même auteur :
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