Edouard Glissant (1928 – 2011) : Saisons
Saisons
GLOIRE
à Jacques Charpier
Les reines du nouvel azur lèvent de leur pays sans frein.
Fleuve des frondaisons, et chemin du matin,
De l’aube même, de l’azur, et hennissaient les bêtes,
J’ai vu que vous faisaient gloire et tristesse les vieux mots,
Et ce mirage cet embrasement,
Cavales maintenant très connues, et domptées.
Et vous avez cueilli, ainsi que le druide en la forêt surnaturelle du passé,
Un midi. Et le temps et l’avenir s’y marièrent, leur noce fut douce.
Flammes. Ruées aux portes de midi. Que tout ce chant
D’argiles et de fleuves descendant l’aplomb du jour
Vous soit un lieu d’ordre, de soif, non de ripaille ni d’abrupt aveuglement
Et que ce leurre ne vous porte à la moisson d’un gui d’antan.
MOURIR, NON MOURIR
à Jean Laude
Les parfums ont tari sur les plages de mes étoiles. L’écume des hauteurs
n’éblouit pas, le livre est là, et sa moisson.
Livre d’allées où l’eau est rare, livre des Morts et des Léthés, en ce pays du
Nord occupé de vendanges, souterraines ô souterraines.
Ouvre, les nuits sont splendides au Livre. (La mer mesurait ses fruits et son
sel. L’été de la nuit allumait l’été.)
J’apprends j’apprends qu’il y a une bataille, après quoi l’amour ne revient,
elle est morte ; et le champ est désert, il n’y eut pas de combattant, mais une
seule éternelle défaite.
Et vois l’eau de la toilette des morts ; l’épouse l’a nappée sous les pas du
clergé.
La mort et ses nochers sont abjurés
De laisser au cœur de la mer immense qui commence.
TENTATIONS
à Paul Mayer
Lassos vous nous quittez dans le jour blanc plus blanc que neige de l’été
Aveugles sur vos corps où vont les rêves d’autrefois, voici que vous nouez
le sel à tant d’orages délacés
Si c’est amour les mots s’embrasent se déchirent vous errez
Pour vous l’amour enfreint le ciel et vous n’avez que profondeurs
Et vous n’avez que grottes et falaises pour vos corps désespérés
Si c’est labour vous demeurez vous êtes neige sous l’écorce
Que dites-vous quand vous dormez sous l’épaisseur et dans la fibre
Qui nous inquiète et nous ravisse tellement ?
Ou bien n’êtes-vous plus que des fantômes habités d’impurs sillages
Ou n’êtes-vous lassos que de vous-mêmes, à nous meurtrir et nous tenter ?
SOLITUDE
à Roger Giroux
Mât que la neige a noué de silence
A la plage où soudain il n’est plus de sel
Il reconnaît la mer il rompt la face du rivage
Et s’évade du vent où s’éprennent des lunes
La nuit vient elle vient elle se dresse toril blanc
Sur la poitrine que soulève un vent de prophéties
Elle creuse non un vase de fureurs ni d’amour bleu
Mais une absence de lumière.
Ô perfection de la défaite ô loi du matin
Le vent le solitaire a joint la vague lui redonne
En ce calice de son corps une douceur
Et comme un fils à caresser.
Filles de mer ! Hommes du sel ! Dieux propices aux fêtes !
Ô épousailles qui ne cessent.
BEAUTE
à Max Clarac-Sérou
C’est par ici un vent de roses solennelles c’est azur
Tissant en floraison d’irréelles, si belles mains
C’est l’été que le vent dépouille de son rêve, l’enfant nu
Pleurant devant le jour, attendant midi.
Ta ville te comprend. A peine un mot implore cette brise
Invisible qui nous oblige à nous vanter de transparences
Et plus secrète dans sa sève et innommable. Vois,
Le sel recouvrir la saison, les arbres roux, l’enfant.
Des roses irréelles nous nommons l’impur encens.
Le sang rivé (1947 – 1954),
Editions Présence africaine, 1961
Du même auteur :
Laves (01/09/2014)
Le premier jour (01/09/2015)
L’œil dérobé (01/09/2016)
Versets (01/09/2017)
Pays (01/09/2018)
Le grand midi (01/09/2019)
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L’eau du volcan (1 et 2) (01/09/2024)