Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
1 septembre 2024

Edouard Glissant (1928 – 2011) : L’eau du volcan (2)

 

© Pierre Pytkowicz

 

L’eau du volcan

......................................................................

     Il vint à un Plateau

     Où ne poussait ni bas ni haut.

 

     Il fouilla Morne et sables morts. Et sous le sable, morts

     Vaquaient les mots, tortus d’être vacants. Il enta les mots

     D’encan de treize langues se tramant

     Dans l’Unité blessée.

 

     La mort est d’unité

     Où ne se blessent

     Que vains sables rapportés.

 

     L’écho montant criait : « Ne foulez plus d’exclamation. Finissez d’avec la

houlure. » L’écho descendant, ah ! déhalait son double, qui ainsi criait.

     « Il est des mots qui brûlent en leur lieu, ils ne servent qu’à une fois.

     « Ils ne paraissent à métier ni à beauté d’usage,

     « Et n’est de langue pour pays, où tous langages s’émerveillent

     « L’ordre des mots distrait le monde... »

 

     Il descendit dans la houlée du bois.

 

 

     Dans la houlée lèvent les Veilles

 

     Ceux qui sonnent musique à ventée nue et exposée. Ceux qui encore joutent

en Joux. Celles qui nomment les nuits de case en l’Elysée. Tous ceux qui vont,

à cheveux peints déracinés. Goûteurs de boudin grêle ou de gras qui vacille.

Ceux qu’on charge à boulets pour les profonds verdis. Ceux dont le jarret fume

et cille. Les éventées à qui roucou ne vaut. Qui mangent de terre et mènent

cette armée.

 

     Il entreprend la strophe dure où n’est vanté

     Ni l’ample du verset ni la douceur de l’acclamée

     Mais vent y coulent, chutes houles.

     Raideurs des mains et nues acclamations.

 

 

     Le feu boulait au Lamentin, où une jeune fille a tâté du pied sous la mangle.

     Ella connu l’eau de volcan, dans l’eau glacée de la cohée.

     Un tambour gras battait le sang, faisait laver salures d’ans,

     Hélant de chaux en froid et de froid en vœu qu’on étrangle.

     Une jeune fille initiée.

 

 

     Lui dirent : « T’acquittons de nuit. De vent. D’obscurité.

     « Consentons que tu vailles de profonds à étendue.

     « Que tracée aille par nos corps, morts enlavés

     « De Pelée à Cohée à Diamant désoccupé... »

 

     Alors il me fit signe de marcher dans le pays. Mais tout enfant je ne pouvais

     Suivre dans l’eau de feu les Enofis qui le suivaient.

 

 

     Famines d’eau ! Et rauques cécités des assoiffés.

     Ils disent : « C’est la terre, la chiennée, la bien tarie,

     « Qui ravaude sa houle au désordre de l’eau. »

 

     Cette mangue a crié son feu fané sur l’ais du tré.

 

     Mécréants que sulfurent les typhons que vous tonnez

     Enfants asséchés en tant de matins

     Femme qui va, un chevreau mort au sein.

 

     Il voit comme à brui dans tout ce cri un lent pays de sable, et comme cette

barque a navigué sur nos maronnes agonies

     Et comme nous halons dedans nos mains un peu de cette pluie, d’où nous

advient boue à talent et blanche félonie et comme

     Ô sabliers, le poussement de vos Pelées nous a brûlés.

 

 

     Laves. Sévies de feu, d’eau alenties.

 

     Et a surgi Celui qui manque au sable et court à l’erre du Tout-monde.

     « Que viens-tu là, ô Bas-Terrien ? » L’eau du Canal gouffrait aux vergers de

Liban.

     L’antre du Mont roulait cabane en l’Anse.

     « Allez grand prose de leur cri dont s’est hulée la Pointe-à-Pitre. Convier

ramage aux Îles, pluie aux errés, bleue patience ! Et toute lie à vif. »

 

     Et toute vie à vif, au vieux cyclone de l’année !... Il monte en mer, il a

piété... Il a noué gorge de mont à foulard piètre... Et cette idée qui va tonnant le

fiel et le courant jauni... Comme semence de chadron !... Comme lait de

bécune en folie !...Jusqu’à hausser, où joue la roche avec le rouge des maïs, la

baille d’eau qui fut nacrée d’un lourd de mots, tout à veille de la Tracée...

 

Failles, qui surgissez.

 

NOTE

 

     Bécune, chadron, mantou, vonvon sont des espèces de la faune antillaise.

     Le bel-air est une danse ordonnée, qui trace des figures sur l’aire du bal.

     Bezaudin est un Morne de la Martinique, reconnu pour la qualité de ses

conteurs et de ses tambouyeurs.

      Cayali, flambants, frégate, messager, ortolan, pipiri, sucrier : Oiseaux

comme disparus de nos paysages.

     Laghia. Les créolistes recommandent d’écrire : Ladja, qui à mon sens trop

béniment caresse.

     Mabi est pour le boire, migan pour le manger. Mais un manjé-kouli est une

cérémonie religieuse hindoue, en pays caraïbe.

     Connaissance en réel abîme.

 

Pays rêvé, pays réel

Editions du Seuil, 1985

Du même auteur :

Laves (01/09/2014)

Le premier jour (01/09/2015)

L’œil dérobé (01/09/2016)

Versets (01/09/2017)

Pays (01/09/2018)

Le grand midi (01/09/2019)

Saison unique (01/09/2020)

Saisons (01/09/2021)

Miroirs / Givres (01/09/2022)

Afrique (01/09/2023)

L’eau du volcan (1) (01/09/2024)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
107 abonnés