Salvatore Quasimodo (1901 – 1968) : Vent à Tyndaris / Vento a Tindari
Vent à Tyndaris
Tyndaris, tu n’es que tendresse,
Je le sais, parmi tes larges côteaux,
Toi, suspendu sur la mer
Baignant les douces îles du dieu,
Tu fonds sur moi aujourd’hui
Et te penches dans mon cœur.
J’escalade des pics vertigineux, des abîmes,
Et le vent dans les pins me ravit,
Et ma bande qui m’accompagne en douceur
S’éloigne dans les airs,
Vagues de sons et d’amour.
Et tu me prends,
Toi dont je me suis mal dépris
Et mes peurs d’ombres et de silences,
Mes havres de douceurs jadis fréquentes
Et la mort dans l’âme.
Toi, tu ignores la terre :
Où chaque jour, je sombre,
Où je nourris des syllabes en secret ;
C’est une autre lumière qui t’effeuille
Sur les vitres dans la nuit qui t’habille,
Et dans ton giron se repose une joie
Qui ne m’appartient pas.
Mon exil est cruel
Et ma quête d’harmonie,
Autrefois enclose en toi,
Se transforme aujourd’hui
En une précoce angoisse de mourir ;
Et tout amour fait écran à ma tristesse.
Je passe en silence dans ce noir
Où tu m’as mis
Pour y rompre mon pain amer.
Revoilà Tyndaris serein ;
Un doux ami m’éveille
Pour me pousser du bord d’un rocher vers le ciel ;
Et moi, je fais mine d’avoir peur
Devant celui qui ignore
Que c’est un vent profond qui m’a cherché.
Traduit de l’italien par Sicca Vernier
in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Vent à Tyndare
Tyndare, je te sais douce
entre les vastes collines, suspendues sur les eaux
des îles calmes d’Eole,
aujourd’hui, tu m’assailles
et te penches vers mon cœur.
Je gravis des sommets aériens, des précipices,
accaparé par le vent des pins,
et la bande, légère, d’amis qui m’accompagne
s’éloigne dans l’air,
onde de sons et amour,
et tu m’enlèves
à ce que je fuyais mal,
frayeurs de l’ombre et du silence,
refuges de douceurs autrefois familières
et mort de l’âme.
La terre te reste inconnue
où chaque jour je m’enfonce
et nourris des syllabes secrètes :
une autre lumière t’effeuille sur les vitres
en ta robe nocturne,
et une joie qui n’est pas mienne repose
sur ta poitrine.
Âpre est l’exil,
et ma quête enclose en toi
d’harmonie, se mue aujourd’hui
en angoisse précoce de mourir ;
tout amour fait écran à la tristesse
marche muette dans le noir
où tu m’as laissé, pour le rompre,
un pain amer.
Tyndare retrouve sa quiétude ;
un doux ami me réveille,
qu’il me précipite dans l’espace depuis un rocher
et moi je feins la terreur pour qui ne sait
quel vent profond est venu me chercher.
Traduit de l'italien par Roland Ladrière
in, Salvatore Quasimodo : "Oeuvres poétiques"
Editions de Corlevour, 92110 Clichy,2021
Du même auteur :
Et c’est bientôt le soir / Ed è subito sera (01/11/2014)
J'entends encore la mer / S’ode ancora il mare (15/04/2018)
Devant le gisant d’Ilaria del Carretto / Davanti al simulacro d’Ilaria Del Carretto (15/04/2019)
Anno Domini MCMXLVII (15/04/2020)
Temple de Zeus à Agrigente / Tempio di Zeus Ad Agrigento 15/04/2022)
La pie noire rit sur les orangers / Ride la gazza, nera sugli aranci. (06/10/2022)
Les retours / I Ritorni (15/04/2023)
Glendalough (06/10/2023)
: Ô mes doux animaux / O miei dolci animali (15/04/2024)
Dialogue / Dialogo (06/10/2024)
Vento a Tindari
Tindari, mite ti so
fra larghi colli pensile sull’acque
delle isole dolci del dio,
oggi m’assali
e ti chini in cuore.
Salgo vertici aerei precipizi,
assorto al vento dei pini,
e la brigata che lieve m’accompagna
s’allontana nell’aria,
onda di suoni e amore,
e tu mi prendi
da cui male mi trassi
e paure d’ombre e di silenzi,
rifugi di dolcezze un tempo assidue
e morte d’anima.
A te ignota è la terra
Ove ogni giorno affondo
E segrete sillabe nutro:
altra luce ti sfoglia sopra i vetri
nella veste notturna,
e gioia non mia riposa
sul tuo grembo.
Aspro è l’esilio,
e la ricerca che chiudevo in te
d’armonia oggi si muta
in ansia precoce di morire;
e ogni amore è schermo alla tristezza,
tacito passo al buio
dove mi hai posto
amaro pane a rompere.
Tindari serena torna ;
soave amico mi desta
che mi sporga nel cielo da una rupe
e io fingo timore a chi non sa
che vento profondo m’ha cercato.
Acque e terre
Edizioni di Solaria, Firenze (Italia,)1930
Poème précédent en italien :
Dino Camapana : L’espérance (sur le torrent nocturne) /La speranza (sul torrente notturno) (01/02/2021)
Poème suivant en italien :
Cesare Pavese : Eté – Eté 1 / Estate – Estate I (18/04/2021)