Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
14 avril 2021

Théophile de Viau (1590 – 1626) : La solitude

Théophile_de_Viau[1]

La solitude

 

Dans ce val solitaire et sombre,

Le cerf, qui brame au bruit de l'eau,

Penchant ses yeux dans un ruisseau,

S'amuse à regarder son ombre.

 


De cette source une Naïade

Tous les soirs ouvre le portail

De sa demeure de cristal,

Et nous chante une sérénade.



Les Nymphes que la chasse attire

À l'ombrage de ces forêts

 Cherchent les cabinets secrets

Loin de l'embûche du Satyre.

 



Jadis au pied de ce grand chêne,

Presque aussi vieux que le Soleil,

Bacchus, l'Amour et le Sommeil

Firent la fosse de Silène.



Un froid et ténébreux silence

Dort à l'ombre de ces ormeaux,

Et les vents battent les rameaux

D'une amoureuse violence.



L'esprit plus retenu s'engage

Au plaisir de ce doux séjour,

Où Philomèle nuit et jour

Renouvelle un piteux langage.



L'orfraie et le hibou s'y perchent,

Ici vivent les loups-garous ;

Jamais la justice en courroux

Ici de criminels ne cherche.



Ici l'amour fait ses études,

Vénus dresse des autels,

Et les visites des mortels

Ne troublent point ces solitudes.



Cette forêt n'est point profane ;

Ce ne fut point sans la fâcher

Qu'Amour y vint jadis cacher

Le berger qu'enseignait Diane.



Amour pouvait par innocence,

Comme enfant, tendre ici des rets ;

Et comme Reine des forêts,

Diane avait cette licence.



Cupidon, d'une douce flamme

Ouvrant la nuit de ce vallon,

Mit devant les yeux d'Apollon

Le garçon qu'il avait dans l'âme.



À l'ombrage de ce bois sombre

Hyacinthe se retira,

Et depuis le Soleil jura

Qu'il serait ennemi de l'ombre.



Tout auprès le jaloux Borée

Pressé d'un amoureux tourment,

Fut la mort de ce jeune amant

Encore par lui soupirée.



Sainte forêt, ma confidente,

Je jure par le Dieu du jour

Que je n'aurai jamais amour

Qui ne te soit toute évidente.


Mon Ange ira par cet ombrage ;

Le Soleil, le voyant venir,

Ressentira du souvenir

L'accès de sa première rage.



Corine, je te prie, approche ;

Couchons-nous sur ce tapis vert

Et pour être mieux à couvert,

Entrons au creux de cette roche.



Ouvre tes yeux, je te supplie :

Mille amours logent là-dedans,

Et de leurs petits traits ardents

Ta prunelle est toute remplie.

 

Amour de tes regards soupire,

Et, ton esclave devenu,

Se voit lui-même retenu,

Dans les liens de son empire.



Ô beauté sans doute immortelle

Où les Dieux trouvent des appas !

Par vos yeux je ne croyais pas

Que vous fussiez du tout si belle.



Qui voudrait faire une peinture

Qui peut ses traits représenter,

Il faudrait bien mieux inventer

Que ne fera jamais nature.



Tout un siècle les destinées

Travaillèrent après ses yeux,

Et je crois que pour faire mieux

Le temps n'a point assez d'années.



D'une fierté pleine d'amorce,

Ce beau visage a des regards

Qui jettent des feux et des dards

Dont les Dieux aimeraient la force.



Que ton teint est de bonne grâce !

Qu'il est blanc, et qu'il est vermeil !

Il est plus net que le Soleil,

Et plus uni que de la glace,



Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !

Ils s'ébattent dessus ton front

Et les voyant beaux comme ils sont

Je suis jaloux quand ils te baisent.

 


Belle bouche d'ambre et de rose

Ton entretien est déplaisant

Si tu ne dis, en me baisant,

Qu'aimer est une belle chose.



D'un air plein d'amoureuse flamme,

Aux accents de ta douce voix

Je vois les fleuves et les bois

S'embraser comme a fait mon âme.



Si tu mouilles tes doigts d'ivoire

Dans le cristal de ce ruisseau,

Le Dieu qui loge dans cette eau

Aimera, s'il en ose boire.



Présente-lui ta face nue,

Tes yeux avecques l'eau riront,

Et dans ce miroir écriront

Que Vénus est ici venue.



Si bien elle y sera dépeinte

Que les Faunes s'enflammeront,

Et de tes yeux, qu'ils aimeront,

Ne sauront découvrir la feinte.



Entends ce Dieu qui te convie

A passer dans son élément ;

Ouïs qu'il soupire bellement

Sa liberté déjà ravie.



Trouble-lui cette fantasie

 Détourne-toi de ce miroir,

Tu le mettras au désespoir

Et m'ôteras la jalousie.



Vois-tu ce tronc et cette pierre !

Je crois qu'ils prennent garde à nous,

Et mon amour devient jaloux

De ce myrthe et de ce lierre.



Sus, ma Corine ! que je cueille

Tes baisers du matin au soir

Vois, comment, pour nous faire asseoir,

Ce myrthe a laissé choir sa feuille !



Ouïs le pinson et la linotte,

Sur la branche de ce rosier ;

Vois branler leur petit gosier

Ouïs comme ils ont changé de note !



Approche, approche, ma Dryade !

Ici murmureront les eaux ;

Ici les amoureux oiseaux

Chanteront une sérénade.



Prête moi ton sein pour y boire

Des odeurs qui m'embaumeront ;

Ainsi mes sens se pâmeront

Dans les lacs de tes bras d'ivoire.



Je baignerai mes mains folâtres


Dans les ondes de tes cheveux,

Et ta beauté prendra les voeux

De mes oeillades idolâtres.



Ne crains rien, Cupidon nous garde.

Mon petit Ange, es-tu pas mien ?

 Ha ! je vois que tu m'aimes bien

Tu rougis quand je te regarde.



Dieux ! que cette façon timide

Est puissante sur mes esprits !

Renaud ne fut pas mieux épris

Par les charmes de son Armide.



Ma Corine, que je t'embrasse !

Personne ne nous voit qu'Amour ;

Vois que même les yeux du jour

Ne trouvent point ici de place.

 


Les vents, qui ne se peuvent taire,

Ne peuvent écouter aussi,

Et ce que nous ferons ici

Leur est un inconnu mystère.

 

Du même auteur : Le matin (14/04/2020)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
106 abonnés