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Le bar à poèmes
15 mars 2021

Le Chatelain de Coucy (1186 – 1203) : « La douce voix du rossignol sauvage... » / « La douce voiz du louseignol sauvage... »

images[1]Château de Coucy

 

 

La douce voix du rossignol sauvage

Que nuit et jour j’entends jaser et bruire,

Adoucit tant mon cœur et le soulage

Que de mes chants je me veux réjouir

Bien dois chanter puisqu’il vient à plaisir

A celle à qui de mon cœur fis hommage.

Je dois avoir grand joie en mon courage,

Si me veut-elle près d’elle retenir.

 

Onc envers ell’n’eus cœur faux ni volage,

Il m’en devrait pour ce mieux advenir ;

Je l’aime et sers, adore par usage,

Et ne lui ose mes pensers découvrir,

Car sa beauté me fait tant ébahir

Que je ne sais devant ell’ nul langage,

N’osent mes yeux regarder son visage

Tant ils redout’ avoir à en partir.

 

Tant ait en elle assuré mon courage

Qu’ailleurs ne pense, Dieu m’en laisse jouir ;

Jamais Tristan, cil qui but le breuvage,

Si tendrement n’aima sans repentir.

Car j’y mets tout, cœur et corps et désir,

Sens et savoir, ne sais si fais folie,

Encore je crains qu’à travers tout mon âge

Ne puisse aller elle et s’amour servir.

 

Je ne dis pas que je fasse folie,

Mêm’ si pour elle il me fallait mourir ;

Au monde il n’est si belle ni si sage,

Et il n’est rien que j’aie tant à plaisir.

J’aime mes yeux qui surent la choisir ;

Dès que je la vis, lui laissai en otage

Mon cœur, depuis il y a fait long stage,

Jamais nul jour ne l’en peut départir.

 

Chanson, va t’en pour porter mon message

Là où je n’ose aller, ni repartir,

Car tant redoute la male gent ombrage (*)              (*) la jalousie

Qui sent avant qu’ils puissent advenir

Les biens d’amour : Dieu les puisse maudire !

A maint amant on fait ire et dommage,

Mais j’ai sur eux ce cruel avantage,

Contre mon gré, je les dois obéir.

 

Traduction de Pierre Seghers

In, « Le livre d’or de la poésie française, des origines à 1940 »

Editions Marabout

 

La douce voix du rossignol sauvage

Qu’ouïs nuit et jour gaiement retentir,

M’adoucit tant mon cœur et le soulage

Qu’ai désir de chanter pour m’ébaudir.

Bien dois chanter puisqu’il vient à plaisir

Celle à qui j’ai fait de mon cœur hommage.

Je dois avoir grande joie en mon coeur,

Si me veut à son service retenir.

 

Onc envers ell’n’eus cœur faux ni volage,

Il m’en devrait pour ce mieux advenir ;

Je l’aime et sers et adore par usage,

Et ne lui ose mes pensers découvrir,

Car sa beauté me fait tant ébahir

Que je ne sais devant ell’ nul langage,

Ni regarder n’ose son simple visage

Tant en redoute mes yeux à départir.

 

Tant ai en elle ferme assis mon coeur

Qu’ailleurs ne pense, et Dieu m’en laisse jouir ;

Jamais Tristan, cil qui but le breuvage,

Si tendrement m’aima sans repentir.

Car j’y mets tout, cœur et corps et désir,

Sens et savoir, ne sais si fais folie :

Encore me doute qu’en toute ma vie

Ne puisse assez elle et s’amour servir.

 

Je ne dis pas que je fasse folie,

Ni si pour elle, il me faudra mourir ;

Car au monde n’est si belle ni si sage

Et nulle chose n’est tant à mon plaisir.

Moult aime mes yeux qui me la firent choisir :

Dès que je la vis, lui laissai en otage

Mon cœur qui depuis y a fait long stage

Et ja nul jour ne l’en quiers départir.

 

Chanson, va t’en pour faire mon message

Là où je n’ose retourner ni aller,

Car tant redoute la male gent jalouse

Qui devine avant que puissent advenir

Les biens d’amour ; Dieu les puisse maudire !

A maint amant on fait ire et dommage,

Mais j’ai sur eux ce cruel avantage,

Qu’il me faut vaincre mon cœur pour obéir.

 

Traduction de France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Pierre Seghers, 1960

 

La douce voix du rossignol sauvage

Que j’ouïs nuit et jour chanter et retentir,

Me radoucit le cœur, le rassérène ;

Alors que j’ai talent de chant pour réjouir,

Bien dois chanter puisqu’il vient à plaisir

Celle que j’ai de cœur fait lige hommage ;

Je dois avoir grand joie en mon courage

S’elle me veut à son service tenir.

 

Oncques pour elle n’eus cœur faux ou volage,

Si m’en devrait par quoi mieux advenir ;

Je l’aime, adore et sers par habitude,

Et n’ose pas ma pensée lui ouvrir,

Car sa beauté me fait si ébahir

Que je ne sais devant elle nul langage,

Ni regarder n’ose son simple visage :

Tant en redoute mes yeux à départir.

 

En elle ai si fermement mis mon âme

Qu’ailleurs ne pense ! Dieu m’en laisse jouir !

Oncques Tristan, lui qui but le breuvage,

N’aima si loyal sans regret :

J’y mets tout, cœur et corps et désir,

Sens et savoir, ne sais si fais folie :

Encore je doute, qu’en toute ma vie

Je ne puisse asse elle et son amour servir.

 

Je ne dis pas que je fasse folie,

Même si pour elle devais mourir,

Qu’au monde ne trouve si belle et si sage

Ni rien qui me soit tant à plaisir..

Moult aime mes yeux qui me firent choisir :

Dès que la vis, lui laissai en otage

Mon cœur qui puis y a fait longue étape,

Et jamais je n’en veux le départir.

 

Chanson, va t’en pour faire mon message

Là où je n’ose retourner et venir,

Tant je redoute la mâle gent ombrage

Qui devinent, ainsi qu’il se pourrait,

Les biens d’amour ! Dieu les puisse maudire !

A maint amant on fait ire et outrage,

Et j’ai toujours si mauvais avantage,

Qu’il me faut malgré moi obéir.

 

Traduction de Jean-Clarence Lambert

In, Roger Caillois, Jean-Clarence Lambert : « Trésors de la poésie universelle »

Editions Gallimard / Unesco, 1958

 

La douce voiz du louseignol sauvage

Qu'oi nuit et jour cointoier et tentir

M'adoucist si le cuer et rassouage

Qu'or ai talent que chant pour esbaudir;

Bien doi chanter puis qu'il vient a plaisir

Cele qui j'ai fait de cuer lige homage;

Si doi avoir grant joie en mon corage,

S'ele me veut a son oez retenir.

 

Onques vers li n'eu faus cuer ne volage,

Si m'en devroit pour tant mieuz avenir,

Ainz l'aim et serf et aour par usage,

Mais ne li os mon pensé descouvrir,

Quar sa biautez me fait tant esbair

Que je ne sai devant li nul language;

Nis reguarder n'os son simple visage,

Tant en redout mes ieuz a departir.

 

Tant ai en li ferm assis mon corage

Qu'ailleurs ne pens, et Diex m'en lait joïr!

C'onques Tristanz, qui but le beverage,

Pluz loiaument n'ama sanz repentir;

Quar g'i met tout, cuer et cors et desir,

Force et pooir, ne sai se faiz folage;

Encor me dout qu'en trestout mon eage

Ne puisse assez li et s'amour servir.

 

Je ne di pas que je face folage,

Nis se pour li me devoie morir,

Qu'el mont ne truis tant bele ne si sage,

Ne nule rienz n'est tant a mon desir;

Mout aim mes ieuz qui me firent choisir;

Lors que la vi, li laissai en hostage

Mon cuer, qui puiz i a fait lonc estage,

Ne ja nul jour ne l'en quier departir.

 

Chançon, va t'en pour faire mon message

La u je je n'os trestourner ne guenchir,

Quar tant redout la fole gent ombrage

Qui devinent, ainz qu'il puist avenir,

Les bienz d'amours (Diex les puist maleïr!).

A maint amant ont fait ire et damage;

Maiz j'ai de ce mout cruel avantage

Qu'il les m'estuet seur mon pois obeïr.

Du même auteur :

« Lorsque l’été et la douce saison... » (15/03/2022)

« Le temps nouveau ... » / « Li nouviaux tanz...» (15/03/2023)

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