Inger Christensen (1935 – 2009) : Lumière
Lumière
I
Je reconnais là
une clairière dans la langue
les mots refermés
sont là pour être aimés
pour être répétés jusqu’au simple
Un cygne replié
sur un œuf
est encore en nous
un écho de création
Et le cygne enlève
ton œil vers le soleil
encore une fois
présage d’un miracle
On peut dans le mot
reconnaître la lumière
acte incroyable
de l’homme à la femme
Un mot qui change
ton âme en cygne :
juste asse simple
pour former un œuf.
La langue qui se replie
dans l’œuf,
ses ailes portent
de la naissance à la lumière
Et le soleil est là pour être aimé.
II
Je pense un soleil
un cygne, une démence
une matière qui luit
sans matière
et balance indéfiniment
la lanterne du hasard
Une lumière est
un miracle si corporel
quand l’éternité se condense
approche
et ne tue pas
Je pense un masque
de soleil marbré
un costume de plumes raides
et de matière grise
Que la mort soit si froide
Je pense un miracle
le cœur est une lanterne
que le hasard balance
entre ce moi
et rien
dans la démence de la lumière
III
Je pense une lumière
le soleil est plus fort
lucide je comprends
la chute des corps
des flocons de lumière
tournoient sur eux-mêmes
Je pense une promesse
pareille à la pureté
la lumière nous a donné
des ailes plus fortes
qu’au soleil dans l’espace
pour le fait de mourir
A part ça rien, le corps
à peine éclairé
par sa promesse diffuse
jamais le moindre mur
et seule chose durable :
je pense une lumière
IV
Croître est une chose
de même nature
Je pense un arbre
un oiseau, une image
traversant toutes limites
des ailes écrivent
la croissance du rêve
Où tu es tombé
Le sommeil a d’autres gouffres
il délie les vents
du déjà délié
Je pense un chagrin
où il est tombé
l’oiseau encore
a suspendu un nid
aussi grand que le ciel
et mon âme l’habite
Croître est une chose
peut-être la même
qu’habiter le rêve
Aucun chagrin n’empêche
l’oiseau et l’image
V
Répète pour moi
ceci suffit
ceci est la lumière
fumante du corps
ceci est maintenant
La poussière n’a aucun
écho désespérant
notre seule vie
est la rose de vie
que nous aimons
Répète le mon amour
la lanterne que tu balances
autour de moi sans bruit
c’est une fois encore
un enfant qui commence
Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen
in, « Lumière »
Les cahiers de Royaumont,1989
De la même autrice :
Il (21/02/2022)
Le for intérieur (21/02/2023)