Henri-Simon Faure (1923 – 2015) : un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (17 – 29)
Henri-Simon Faure; Oppède, avril 1979 (Archives Plein Chant)
un manœuvre n’en fait
qu’à sa forte tête
de par
le luberon
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agacement d’un bruit
sourd
à l’oreille vive
l’empreinte de la mer
par les hautes falaises
que la nature étreint
son dos tourné vers
l’homme
qui n’ose intervenir
de peur de
bousculer
le miracle
en gestion
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je suis
vaudois
et viens chercher asile en tes cavernes
dis
oh
tu ne me moucharderas pas
au roi de France
qui n’attend qu’une occase
pour ramener sa splendeur
où le sang fut toujours teinture de ses ornements
qu’il disputait
au pape
de frénésie assassine
la république n’apporte la moindre solution
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tel
un
caraque
nippé
de peu
haillons
frustrés
mais tête
fournie
mystère
joyeux
je l’en
traverse
de long
en large
pour qu’
il
me donne
vêture
d’orgueil
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je tiens la barre du vaisseau
il est échoué
démâté
bon dieu
à cause de ce ciel
qui court
soufflé par le mistral
on dirait qu’alors il avance
qu’il reprend enfin du service
nous partons à la découverte
en deçà
au-delà des temps
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mais un nouveau poème
bille en tête
c’est-à-dire d’un
faure
évolué
qui se ramasse encore sur lui-même
pour se lancer entier dans la forêt
avec plein les poches de provisions
de l’essentiel
ou
de la pacotille
trop enrichis de joies et de souffrances
tant dénudés des anciennes ferveurs
de plus en plus
les autres n’ont des arbres
que le bois
parce que mâts poteaux poutres
parce que billes traverses madriers
parce que planches fagots copeaux bûches
avec l’arbre j’ai communication
par le jeu habile de mes cinq sens
dont j’exercise la gamme
délire
à tous les horizons montrant du doigt
quelques traces de bêtes qui m’inquiètent
me laissant espérer quel avenir
retranché d’aussi vieille compagnie
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vieil argent
ou
feuillage
d’olivier
en hiver
mon couvert
quand j’osais
dévorer
vagabond
des deux yeux
la nature
retrouvée
à portée
de chien droit
de fusil
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j’appuie mon corps nu contre les cèdres
quand le froid de la nuit ceint mes reins
pas la moindre agitation sous moi
pour ne point répondre à mes appels
de cette volupté pro-nature
je dis
ces arbres sont asexués
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pourquoi découlent tant de peines
eau souillée dans la source
joie
j’irai boire à quelle fontaine
une prise de tabac brun
désengourdit mes humeurs bleues
on célébrait l’évènement
sinon le saint du jour connu
j’ai le calendrier en poche
ou l’heure d’un cadran lunaire
saqué de fièvre de cheval
comme après le feu de saint jean
la plus courte nuit de l’année
les cendres démarquaient la terre
d’un haut ciel étoilé de rouille
point de buée sur le miroir
mais le froid qu’imprègne le verre
je le sens qui me cerne aux yeux
qui m’agrippe
qui m’envahit
j’en suis venu à redouter
d’avoir approché l’allumette
des quelques brindilles craquantes
dans les poignes du seul fantôme
qui tendaient une ombre de main
allongée par le clair de lune
geste
peut-être de confiance
geste
peut-être calculé
je n’ai plus regardé que lui
débarrassé du vêtement
sans motif de dentelles
manches
faucilles qui torchaient ma morve
maintenant
un lourd poing de pierre
esquisse la statue bâtarde
qu’il me reste à découvrir
quand je piétine la nature
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blanc
gris
bleu
vert
sont les
couleurs
d’un
arc-
en-ciel
bizarre
que l’on
devrait
loger
ici
parmi
mes vers
afin
de
rendre
les quelques
éclairs
de cette
présence
que j’ai
gardés
de ta
vision
longtemps
vécue
et tant
soufferte
en
mais
entrailles
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astuce dernière
une voix de femme
et
l’entendre dire
quel âge avez-vous
au jour d’aujourd’hui
bougre
de
monsieur
je
dans le soleil
je
dans la provence
je
dans la chaleur
dans
le luberon
bourdonnant de sève
insecte de sang
fauve qui s’étire
dans ce merveilleux
la terre en rigole
de volupté verte
en ce temps de pâques
je
et
je
toujours
que tient la nature
plutôt qu’en son sein
dans l’œil de perdrix
d’un collimateur
du fusil de mort
dans les affres d’un
coup de passion folle
ouais
le mors aux dents
ma réponse fut
comme dans les livres
lus par des gonzesses
écrits dans ce but
hé
j’ai quarante-huit
madame
printemps
comptant sur mes doigts
la réponse est fausse
né en fin d’année
sous un signe d’air
j’en suis à découdre
avec mon
quarante
neuvième
printemps
du coup ma carcasse
prend un coup de vieux
la beauté du ciel
est vue au travers
de verres fumés
que montrent mes yeux
embués de larmes
mes couilles son lourdes
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que l’on
se fie
à
moi
je
suis
un fin
manœuvre
à quatre
et quatre
mains
pattes
sur ton
long corps
ouais
cette
chaleur
qui me
la garce
travaille
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inférieur au travail
sans doute
la société m’a casé tel
je ne suis pas plus maladroit
que n’importe quel citoyen
se dit
français de chien sans race
mais j’ai la vertu de m’en foutre
cela ne se pardonne pas
en société à rendement
dont la devise est
marche
ou
crève
c’est ici que je m’en rends compte
au gré du dépaysement
appel du pied du
luberon
pour déserter ce vieux pays
un poète n’y a sa place
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phénomène d’autosatisfaction
qu’il me fallait forcément provoquer
de temps à autre
humeurs
coups de barre
pointés direction étoile polaire
de mon mental
boussole folle aiguille
si je me suis patiemment accroché
plus l’écriture
à mon second métier
d’agent é d f
vingt-cinq ans ces jours
c’est pour venger une passementière
de
mère
bien plus souvent en chômage
qu’à tisser le ruban des exploiteurs
c’est pour venger mon
père
aussi manœuvre
paysan déclassé
soldat mourant
homme bouleversé d’évolution
c’est pour venger mes parents
deux misères
parmi tant d’autres
d’une société
entrée par force en temps de pourriture
aux mains de quelques-uns privilégiés
et assurer
bien sûr
ma matérielle
en savourant cette vengeance froide
de propager mes idées de révolte
mais toi seul
luberon
peut me répondre
ne me suis-je pas trop laissé piéger.
trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écritures
Editions plein chant (cahiers hsf/6), 16120 Bassac, 1976
Du même auteur :
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