Pablo Neruda (1904 – 19733) : La Ma Nounou / La Mamadre
La Ma Nounou
La Ma Nounou s’avance
dans ses sabots de bois. Au soir d’hier
le vent du Pôle a soufflé, les toits
se sont brisés, les murs
et les ponts se sont effondrés,
toute la nuit a hurlé avec ses pumas,
et maintenant, en ce matin
de soleil glacé, la voici
la Ma Nounou doña
Trinidad Marverde,
douce comme la timide fraîcheur
du soleil dans les pays de tempête,
lampe
menue et s’éteignant,
se rallumant
pour que tous voient bien le chemin.
O douce Ma Nounou
- je n’ai jamais pu
t’appeler belle-mère -
maintenant
ma bouche tremble pour te définir,
j’étais à peine
à l’âge où l’on comprend
que je voyais déjà la bonté habillée de pauvres nippes noires,
la sainteté la plus utile :
celle de l’eau, celle de la farine ;
tu fus cela : la vie te pétrit, tu fus pain
que nous mangions là-bas,
de l’hiver long à l’hiver désolé
où notre toit gouttait
à l’intérieur de la maison
et ton humilité partout présente
égrenant
l’âpre
céréale de la pauvreté
comme si tu avais
réparti
une rivière de diamants.
Aïe ! maman, comment ai-je pu
vivre sans t’évoquer
à chacune de mes minutes ?
Ce n’est pas possible. Je porte
dans mon sang ton Marverde,
le nom
du pain qu’on se partage,
de ces
douces mains
qui dans le sac à farine taillèrent
les caleçons de mon enfance,
le nom de celle qui cuisina, repassa, lava,
sema, calma ma fièvre
et qui, lorsque tout fut fini
et que
je pouvais bien me tenir ferme sur mes jambes,
s’en alla, obscure et parfaite,
vers le petit cercueil
où pour la première fois elle n’eut plus rien à faire
sous la pluie dure de Temuco.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
In, Pablo Neruda : « Mémorial de l’Isle-Noire »
Editions Gallimard, 1970
La Mamaman
La Mamaman s’avance
dans ses sabots de bois. Au soir d’hier
le vent du Pôle a soufflé, les toits
se sont brisés, les murs
et les ponts se sont effondrés,
toute la nuit a hurlé de ses pumas,
et à présent, en ce matin
de soleil glacé, la voici
la Mamaman, doña
Trinidad Marverde,
douce comme la timide fraîcheur
du soleil dans les pays de tempête,
petite lampe
menue et s’éteignant,
se rallumant
pour que tous voient bien le chemin.
O douce Mamaman
- je n’ai jamais pu
t’appeler belle-mère -
à présent
ma bouche tremble pour te définir,
j’étais à peine
à l’âge où l’on comprend
que je voyais déjà la bonté habillée de nippes noires,
la sainteté la plus utile :
celle de l’eau et de la farine,
tu a été cela : la vie t’a faite pain
que nous mangions là-bas,
hiver long après hiver désolé
où notre toit gouttait
à l’intérieur de la maison
et ton humilité partout présente
égrenant
l’âpre
céréale de la pauvreté
comme si tu donnais
en partage
une rivière de diamants.
Ah ! Maman, comment ai-je pu
vivre sans t’évoquer
à chaque minute ?
C’est impossible. Je porte
dans mon sang ton Marverde,
le nom
du pain qu’on se partage,
de ces
douces mains
qui dans le sac à farine ont taillé
les caleçons de mon enfance,
le nom de celle qui a cuisiné, repassé, lavé
semé, calmé la fièvre,
et qui, sa tâche accomplie,
quand enfin j’ai pu
me tenir bien ferme sur mes deux jambes,
s’en est allée, soumise, obscure
vers le petit cercueil
où pour la première fois elle n’a eu
plus rien à faire
sous la pluie dure de Temuco.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
(Révision de Stéphanie Decante)
In, Pablo Neruda : « Résider sur la terre. Oeuvres choisies ».
Edition Gallimard (Quarto), 2023
Du même auteur :
Dernières volontés / Disposiciones (02/11/2014)
Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée / Veinte poemas de amor y una canción desesperada (02/11/2015)
Testament d’Automne (02/11/2016)
Hauteurs de Macchu-Picchu / Alturas de Macchu-Picchu (02/11/2017)
« Que ne t’atteigne pas l’air... » / « No te toque la noche... » (02/11/2018)
Le paresseux / El perozoso (02/11/2019)
Sévérité / Severidad (02/11/2021)
« La grande pluie du Sud tombe sur Isla Negra... » / « La gran lluvia del sur cae sobre Isla Negra... » (02/11/2022)
Oui, j’aime ce morceau de terre que tu es... » / « Amo el trozo de tierra que tú eres ... (02/11/2023)
Pays / Pais (02/11/2024)
La Mamadre
La mamadre viene por ahí,
con zuecos de madera. Anoche
sopló el viento del polo, se rompieron
los tejados, se cayeron
los muros y los puentes,
aulló la noche entera con sus pumas,
y ahora, en la mañana
de sol helado, llega
mi mamadre, doña
Trinidad Marverde,
dulce como la tímida frescura
del sol en las regiones tempestuosas,
lamparita
menuda y apagándose,
encendiéndose
para que todos vean el camino.
Oh dulce mamadre
—nunca pude
decir madrastra—,
ahora
mi boca tiembla para definirte,
porque apenas
abrí el entendimiento
vi la bondad vestida de pobre trapo oscuro,
la santidad más útil:
la del agua y la harina,
y eso fuiste: la vida te hizo pan
y allí te consumimos,
invierno largo a invierno desolado
con las goteras dentro
de la casa
y tu humildad ubicua
desgranando
el áspero
cereal de la pobreza
como si hubieras ido
repartiendo
un río de diamantes.
Ay mamá, cómo pude
vivir sin recordarte
cada minuto mío?
No es posible. Yo llevo
tu Marverde en mi sangre,
el apellido
del pan que se reparte,
de aquellas
dulces manos
que cortaron del saco de la harina
los calzoncillos de mi infancia,
de la que cocinó, planchó, lavó,
sembró, calmó la fiebre,
y cuando todo estuvo hecho,
y ya podía
yo sostenerme con los pies seguros,
se fue, cumplida, oscura,
al pequeño ataúd
donde por vez primera estuvo ociosa
bajo la dura lluvia de Temuco.
Memorial de Isla Negra,
Editorial Losada, Buenos Aires, (Argentina), 1964
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