Hervé Carn (1949 -) : Ce monde est un désert
Ce monde est un désert
Que nous reste-t-il dans le fond
De nos âmes quand le désert
Bruisse des vilaines plaies du vent
Des traces de sang des cris édentés
Des hommes qu’on égorge
Des rivières taries empoisonnées
Que nous reste-t-il devant nous
Aux matins des réveils que les oiseaux
Peinent à colorer de leurs plumes
A rafraîchir de leurs chants
Dans ce désert qu’est le monde
Devenu ou l’était-il depuis longtemps.
Et nous hommes de peu de foi
De trop peu d’attention aux autres
Hommes aux ciels qui gambadent
Toujours sous les linceuls
Qu’on aimerait chasser sans doute
Nous ne l’avions pas vu nôtre.
Ce monde est désert de toi de moi
Du nous qui murmurait les mots
En autant d’enluminures en autant
De joie de foi de courage d’éclats
En autant d’arbres jetés de pinceaux
D’écriture de styles généreux
Ce monde désert se referme
Sur le chagrin sur la rage des bêtes
Rudoyées sur les corps qui transpirent
Sur la crainte sur les vieilleries éveillées
Dont ce monde désert repousse sans cesse
Les échos dans les grottes dans les fanges
Les chants les ritournelles les couleurs
Battent sur les horizons moqueurs
Sur les tapis du soir sur les teintures de faste
Sur les rougeurs de l’innocence sur le vert
Des monticules des régions des vallées
Enfouis dans les replis de la mémoire
Quand les airs respiraient les musiques
Quand nous dansions immobiles
En de longs cortèges secoués
Par les battements des pieds
Les têtes acquiesçaient cette entrée
Dans la matière si profonde si juteuse
Ce contact souriait aux hommes
Hors des roches hors des chemins
De ronde hors des évidences
Dont les sots rotent les bons mots
Les justes mots les syllabes juchées
Sur les frontons des cathédrales
Les camps de destruction les télés
Les mairies conquises de haute lutte
Sont ondoyés par les barbares les vrais
Et les autres mielleux intelligents
Aux badigeons de lucre aux caresses
Méprisantes que notre peau repousse
Que faire de ce monde désert
Qui fait de nous au mieux des témoins
Au pire ce que nous refusons d’être
Et nous refuse dès le petit jour
Ce que nous aurions surtout aimé
Voir naître et nous prolonger
Que faire de nos valises si lourdes à porter
Des images que nous brûlons de regarder
Tant elles nous regardent elles surtout
Dans la bonté dans l’affection dans la grandeur
De leurs teintes de leurs formes de l’énergie
Des mains qui les ont menées vers leur fin
Que faire de l’amitié qui règne entre nous
Qui rafistole notre nous quand il chancèle
Qui donne au regard des élans vifs
Des traits lumineux des fléchissements
L’humble regret de ne pas être mieux
A la hauteur des hommes que nous sommes
Que faire pour ne pas laisser
Le chaos dans ces mains indélicates
Que faire devant l’annonce rageuse
Des tueries des pires ressentiments
Des aigreurs des jaloux sifflements
Des foules qui foulent qui se défoulent
Certes le déluge arrive toujours
Comme la cavalerie des westerns
Un peu avant mais surtout après
Pour sauver les élus du trépas
Mais ici les salauds les laids les moches
Les acharnés reçoivent leur ticket
Que faire quand les ondées surgies
Du ciel en de longues rafales tournent
Autour de nos crânes en auréoles
En autant de silences de brisures
De pointes d’acier qui pulvérisent
Entament soudain les certitudes
Ce monde est un désert inépuisable
Du vieux sel qui fait les statues
Du dégout de mille vomissures
Rendues croûtes par le temps du mépris
Demain ne vient guère nous soutenir
Seule la course des nuées nous divertit
Mais ce désert qui s’étend toujours
Méprise les restes les traces les tâches
Qui font des empreintes des hommes
Une histoire que les livres enregistrent
Que les yeux nourrissent du battement
De leurs cils pétales chus de l’amour
Les couleurs les formes les images
Que gardent certains dans la paume
De leurs mains que d’autres redécouvrent
Chaque nuit dans leurs rêves
Façonnent une attente sans attente
Dans l’orbe des gestes de l’exil
Un peu de lumière en ce monde
Serait une épaule chaude et fragile
Il est naïf de croire à son surgissement
Espérons quand même quand l’espoir
A délaissé le temps des hommes
Espérons qu’ils restent debout
Les ombres vaines des rocs des fossiles
Que nous sommes devenus s’agitent
Toujours dans la bourrasque d’or
Il n’y a plus de triomphe ailé sur le destrier
Il n’y a plus d’acclamations des femmes
Les portes des villes sont rongées par les vers
Un peu de lumière parvient quand même
A faufiler ses veinules dans le silence
De l’instant sauvé par les couleurs par le fil
Ténu qui nous relie aux autres hommes
Par la vérité par l’exacte inscription
D’une joie qui s’enfonce jusqu’à la garde
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Du même auteur :
La brûlure (21/02/2015)
Le bruit du galop (I) (07/03/2021)
Le bruit du galop (II) (01/09/2021)
l’Arbre des flots (07/03/2022)
Le rire de Zakchaios (01/09/2022)
Petits secrets (1) (07/03/2023)
Petits secrets (2) (02/09/2023)
Georges Perros (1-7) (01/07/2024)