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Le bar à poèmes
30 décembre 2018

Dylan Thomas (1914 – 1953) : De son anniversaire / On his birhtday

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De son anniversaire

 

          Dans le soleil graine-de-moutarde

Près d’une rivière toute pentue et d’une mer-toboggan

          Où les cormorans paniquent,

Dans sa maison sur échasses, parmi becs

          Et palabres d’oiseaux

Ce jour grain-de-sable dans la tombe courbe

          De la baie, il célèbre et rejette

Son âge de vent, ses trente-cinq ans de bois en dérive,

          Les hérons plongent et piquent.

 

          Au-dessous et autour de lui, vont

Carrelets, goélands, en leurs glaciales

          Et mourantes destinées

Faisant ce qu’ils sont nés pour faire

          Courlis en échos

Dans les vagues à formes de congres

          Travaillant à leur route vers la mort,

Et le poète dans la chambre à grande langue,

          Qui sonne la cloche de son anniversaire,

Se hâte vers l’embuscade de ses propres blessures,

          Hérons, clochers marins, bénissez-le !

 

          Dans la chute duvet-de-chardon

Il chante vers son angoisse ; les pinsons volent

          Dans les perspectives griffues des faucons

Sur un ciel de rapt ; les petits poissons glissent

          Entre coquilles et ruelles de villes maritimes

Naufragées vers les pâturages de loutres. Lui,

          Dans sa maison de torture et de pente

Et les cordages bien noués de son commerce de mots

          Il perçoit un linceul sur les hérons,

 

          La robe sans fin d’une rivière

Les vairons, couronne mortuaire de leur prière ;

          Et loin en mer il sait,

Esclave accroupi de sa fin éternelle,

          Sous le nuage-serpent,

Les dauphins plongeant dans leur poussière

          Les phoques ondulants entraînés

Vers le meurtre et la marée de leur sang

          Bouillonne et coule dans la bouche luisante.

 

          Dans le silence caverneux,

Oscillant de la vague, un angélus pleure blanc

          Son glas de trente-cinq cloches

Frappé contre crâne et roc de ses amours naufragées,

          Gouvernées par la chute des étoiles.

Et Demain pleure dans sa cage aveugle

          La Peur enragera en secret

Avant que les chaînes se brisent au feu du marteau

          Et que l’amour déverrouille l’obscur

 

          Et librement il s’égare

Dans la lumière connue et inconnaissable

          Du grand, du fabuleux, du cher Dieu.

L’odeur est un chemin, la lumière est un lieu,

          Le Paradis qui jamais ne fut

Ni ne sera – mais qui est vrai,

          Et dans ce vide... plein de ronces,

Plein de mûres - comme dans un bois

          Les morts croissent pour Sa joie.

 

          Là – il peut errer nu

Parmi les esprits de la baie-sabot-de-cheval

          Ou les monts des étoiles du rivage,

Moelle d’aigles, racines de baleines

          Et bréchets d’oies sauvages,

Avec le Dieu béni, incréé et Son Fantôme,

          Et Ses prêtres, les âmes de tous,

Chœur du troupeau du Paradis nouveau

          Dans une paix troubleuse de nuages,

 

          Mais l’obscur est un long chemin,

Lui, sur le terreau de la nuit, seul...

          Avec tous les vivants, il prie,

Lui qui sait que le vent-fusée soulèvera

          Les os enfouis dans les collines,

Et que les rocs saignent sous la faux

          Et que l’ultime rage frappe

Les eaux fracassées, les mâts, les poissons,

          Jusqu’aux étoiles encore vives,

Infidèlement jusqu’à Dieu.

 

          Qui est l’éclat du vieil

Eden à forme d’air où les âmes sauvages

          Croissent comme chevaux dans l’écume :

Oh ! laissez-moi prier, à mi-vie, près des hérons,

          Druidiques chapelles,

Pleurer sur mon voyage vers la destruction,

          Les navires de l’aube rivés au sol,

Et même si je crie avec ma langue en ruines,

          Laissez-moi dénombrer mes bénédictions :

 

          Quatre éléments et cinq

Sens, et l’homme, cet esprit qui aime

          Trébuchant dans la vase tournoyante

Jusqu’à son pur royaume de cloches de nimbes

          Et de dômes de clair de lune,

Et d’océans qui emportent notre être secret

          Dans les os noirs et profonds,

Sphères bercées dans la chair des coquillages

          Et ce dernier bonheur, le plus grand :

 

          Que plus je m’approche

De la mort, homme solitaire dans ses tortures,

          Plus le soleil fleurit

Et plus l’océan de tous ses crocs, exulte ;

          Et chaque vague de ma route

Chaque orage que je happe et le monde même

          Avec une foi plus triomphante

Que jamais depuis que le monde est nommé,

          Tissent son matin de louanges,

 

          J’entends les collines se gonfler

D’alouettes et verdir de fruits et tomber

          Et les alouettes de la rosée chanter

Plus haut ce printemps tonnant et les îles

          Fières, les âmes humaines, voguer

Parmi de plus nombreux archanges ! Oh !

          Plus sacrés sont leurs yeux,

Et moins solitaire mon humanité lumineuse

          Et j’appareille vers la mort !

 

Traduit de l’anglais par Alain Suied 

In, Dylan Thomas : « Visions et Prière et autres poèmes » 

Editons Gallimard (Poésie),1991

 

Il chante son anniversaire

 

          Sous le soleil en graine de moutarde

Près d’une toute penchée rivière d’une tobogganeuse mer

          Pour paniques de cormorans,

Dans sa demeure sur échasses hautes parmi becs

          Et palabres d’oiseaux

En ce jour grain de sable sur la courbe tombe du golfe

          Il rejette et magnifie

Le bois dérivant, tout vent l’aiguillant, de ses trente cinq ans ;

          Aiguilles, épieux, des hérons.

 

         Autour de lui sous lui courses

De carrelets, de goélands sur leurs glaciales mortelles pistes,

          Faisant ce que faire leur est dit

Courlis à lourds cris dans les houles à carrure de congres

          Oeuvrant à leur route vers la mort,

Et le poète, en sa chambre à langue longue,

          Commémorant en tocsin ses trente-cinq ans,

Se surmène en ses hâtes vers les pièges de ses plaies ;

          Hérons, aiguilles d’églises, bénissez !

 

          Déclinant en duvet de chardon,

Il chante cherchant l’épouvante. Partout paniques de pinsons

          Jusqu’aux pistes griffues des faucons

Au ras d’un ciel où tout est rapt, glissements des menus poissons

 

          Par ruelles et coquilles de naufragées

Villes de navires vers des prés pour loutres. Lui,

          En sa penchante, torturante demeure

Et les lovements bien noués de ses affaires, perçoit

          Le va-et-vient des hérons en leur suaire,

 

          L’interminable ronde de la rivière

Avec vairons festonnant à la ronde leurs oraisons ;

         Loin sur les vagues il a connaissance,

Serf suant pour son éternelle fin contre lui couchée

          Sous une vipérine nuée,

Des dauphins disparaissent en leur culbutante écume,

          Bouillonnants les phoques défaillent

Vers le meurtre et leur sang barbouillant leurs houles         

          Glisse douce dans la lisse bouche

 

          En une caverneuse, oscillante

Muetteté marine, larme à larme un angélus d’écume chante.

         Trente-cinq ans trente-cinq glas tintent

Tapés contre le crâne contre le roc où son amour gît naufragé

         Avec étoiles tombantes pour le gouverner.

Et la prochaine aube pleure en une geôle sans lueur

          L’épouvante aura rage à part

Avant que les chaînes prenant feux d’éclume se brisent

          Et l’amour déverrouille l’ombre

 

          Et libre il passe perdu

Dans l’inconnue, fameuse lumière de l’immense

         Fabuleuse, adorée divinité.

Le sombre est une route, un lieu est la lueur,

          Le ciel qui jamais ne fut

Et jamais ne sera à jamais est fidèle

          Et dans ce vide qui prit ronces,

Pullulant comme des mûres dans les bois

          Les morts s’accroissent pour sa joie.

 

          Là loisibles amis pour ses pas dénudés

Les esprits de la baie à sabot de cheval

          Ou les morts chus des astres près les eaux

Moelle d’aigles, sucs des reins de baleines

         Bréchets d’oies sauvages,

Et le béni, non-né Dieu avec son Double

          Et pour prêtre toute âme,

Pris en double et choriste en la jeune bergerie du Paradis

          Au prix d’une paix patraquant tout nuage,

 

          Mais le sombre est une route longue,

Lui, sur le terreau des ténèbres, solitaire

          Uni à tout ce qui est vie, il prie,

Lui qui sait : les fusetants ouragans bouteront

          Les ossements hors de tout mont,

Sous la faux le pré des galets saigne, l’ultime

          Rage des pieds contre les eaux déjà cassées,

Fait sauter mâts poissons jusqu’aux astres toujours vifs-pieds

          Sans confiance en Lui,

 

          Lui, l’éclair du vieil

Eden fait d’air d’airs où les âmes se cabrent

          Tels en écume les chevaux :

Oh ! en mi-vie, laissez-moi près les hérons de leurs prières

          Druidiques dressées en reliquaires

Pleurer les hâtes vers tout désastre qui doivent être mon voyage,

         (Oh nefs de l’aube en loques près des flots !)

Puis que je puisse, bien que je crie avec détruite langue,

         Dénombrer à vaste voix mes bonheurs :

 

          Les quatre éléments, les cinq

Sens, l’homme un esprit en amour

          Trébuchant à travers l’entortillante vase

Jusqu’à son frais royaume de nimbes de campanules,

          Les dômes que j’ai perdus avec leur clair de lune,

Les océans celant les secrètes essences de nous tous

          Profondément en leurs noirs os, os d’abîmes,

Le bercement des sphères dans la chair des coquillages

          Puis, en dernier, ce bonheur des bonheurs :

 

          Plus à flots étroits j’accole

Ma mort, homme solitaire ses deux murs de tortures,

          Plus fort fleuroie le soleil

Et saute de joie sous tous ses crocs la déchirante mer :

          A toute houle de la route

A tout orage que je happe, l’entier monde

          Avec foi plus triomphante

Que jamais depuis que fut nommé le monde,

          Tissent en hosannahs ses aubes !

 

          J’entends les monts fiers de leur torse

Se farcir d’alouettes, et, verdir sur le brun des baies

          Tomber et les alouettes fluettes de rosée chantent

En plus costaud ce printemps tonnant ; et j’entends comme

          D’avantage traversées d’archanges voguent

Ces susceptibles îles : les âmes d’hommes ! Oh !

          Plus sacrés leurs regards,

Et mon humanité nimbée cessant sa solitude

         Sitôt que j’appareille vers la mort.

 

Traduit de l’anglais par Armand Robin

in Armand Robin : « Poésie non traduite. II »

Editions Gallimard, 1958

Du même auteur :

La lumière point là où le soleil ne brille pas (04/02/2015)

La colline aux fougères / Fern Hill (22/03/2016)

« Surtout quand le vent d’octobre… » / Especially when the October wind…” (30/12/2017)

“ La force qui pousse la fleur... ”/ “ The force that through the green…” (30/12/2019)

 Le bossu du parc / The hunchback in the park (30/12/2020)

Amour dans l’asile / Love in the asylum (30/12/2021) 

« Reste immobile, dors dans l’accalmie... » / « Lie still, sleep becalmed... » (31/12/2022)

« N’entre pas sans violence... » / « Do not go gentle... » (31/12/2023) 

Sur la colline de Sir John / Over Sir John's hill (31/12/2024)

 

On his birthday

 

In the mustardseed sun,

By full tilt river and switchback sea

Where the cormorants scud,

In his house on stilts high among beaks

And palavers of birds

This sandgrain day in the bent bay's grave

He celebrates and spurns

His driftwood thirty-fifth wind turned age;

Herons spire and spear.

 

Under and round him go

Flounders, gulls, on their cold, dying trails,

Doing what they are told,

Curlews aloud in the congered waves

Work at their ways to death,

And the rhymer in the long tongued room,

Who tolls his birthday bell,

Toesl towards the ambush of his wounds;

Herons, stepple stemmed, bless.

 

In the thistledown fall,

He sings towards anguish; finches fly

In the claw tracks of hawks

On a seizing sky; small fishes glide

Through wynds and shells of drowned

Ship towns to pastures of otters. He

In his slant, racking house

And the hewn coils of his trade perceives

Herons walk in their shroud,

 

The livelong river's robe

Of minnows wreathing around their prayer;

And far at sea he knows,

Who slaves to his crouched, eternal end

Under a serpent cloud,

Dolphins dyive in their turnturtle dust,

The rippled seals streak down

To kill and their own tide daubing blood

Slides good in the sleek mouth.

 

In a cavernous, swung

Wave's silence, wept white angelus knells.

Thirty-five bells sing struck

On skull and scar where his lovews lie wrecked,

Steered by the falling stars.
 

And to-morrow weeps in a blind cage

Terror will rage apart

Before chains break to a hammer flame

And love unbolts the dark

 

And freely he goes lost

In the unknown, famous light of great

And fabulous, dear God.

Dark is a way and light is a place,

Heaven that never was

Nor will be ever is alwas true,

And, in that brambled void,

Plenty as blackberries in the woods

The dead grow for His joy.

 

There he might wander bare

With the spirits of the horseshoe bay

Or the stars' seashore dead,

Marrow of eagles, the roots of whales

And wishbones of wild geese,

With blessed, unborn God and His Ghost,

And every soul His priest,

Gulled and chanter in youg Heaven's fold

Be at cloud quaking peace,

 

But dark is a long way.

He, on the earth of the night, alone

With all the living, prays,

Who knows the rocketing wind will blow

The bones out of the hills,

And the scythed boulders bleed, and the last

Rage shattered waters kick

Masts and fishes to the still quick stars,

Faithlessly unto Him

 

Who is the light of old

And air shaped Heaven where souls grow wild

As horses in the foam:

Oh, let me midlife mourn by the shrined

And druid herons' vows

The voyage to ruin I must run,

Dawn ships clouted aground,

Yet, though I cry with tumbledown tongue,

Count my blessings aloud:

 

Four elements and five

Senses, and man a spirit in love

Thangling through this spun slime

To his nimbus bell cool kingdom come

And the lost, moonshine domes,

And the sea that hides his secret selves

Deep in its black, base bones,

Lulling of spheres in the seashell flesh,

And this last blessing most,

 

That the closer I move

To death, one man through his sundered hulks,

The louder the sun blooms

And the tusked, ramshackling sea exults;

And every wave of the way

And gale I tackle, the whole world then,

With more triumphant faith

That ever was since the world was said,

Spins its morning of praise,

 

I hear the bouncing hills

Grow larked and greener at berry brown

Fall and the dew larks sing

Taller this thuderclap spring, and how

More spanned with angles ride

The mansouled fiery islands! Oh,

Holier then their eyes,

And my shining men no more alone

As I sail out to die

 

Poème précédent en anglais :

William Blake : Proverbes de l’Enfer / Proverbs of Hell (09/11/2018)

Poème suivant en anglais :

Walt Whitman : Envoi / Inscriptions (28/01/2019)

 

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