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Le bar à poèmes
24 octobre 2018

Paul Pedech (19 ? - ?) : Berceuse du vent et de la pluie

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Berceuse du vent et de la pluie

 

 

               Entends-tu, mon âme,

               Les rages du vent,

               Qui clame et qui brame

               Au seuil des vivants ?

               Le long de sa plainte

               Geignent nos parois,

               Que ses nœuds sont froids

               Contre cette enceinte.

               Qu’il fait noir dehors,

               Sur la grande plaine ;

               C’est la cantilène

               Qui berce les morts.

               Ma capote est mince,

               Mes doigts sont gelés,

               Entends comme il grince

               Dans les barbelés !

 

               Goutte par goutte

               Tombe la pluie,

               Ecoute, écoute

               La note enfuie.

               Toujours plus dense,

               Comme elle bat,

               Menant sa danse

               Comme un sabbat.

               Elle s’écrase

               Contre les toits,

               C’est une phrase

               De mille doigts.

               Le souci rouille

               Nos cœurs gonflés.

               Comme elle mouille

               Les barbelés !

 

J’entends l’assaut du vent contre nos planches.

A coup d’épaules il cogne en maugréant,

De tout le poids de l’espace béant,

Qui lui promet de subites revanches.

Il ne peut pas, il recule en hurlant,

Au coin du bois il ramasse ses forces,

J’entends craquer les vertèbres du torse

Qui va bondir dans un nouvel élan.

Rage et fracas ! Pas un chevron ne cède.

Il est blessé, mais la maison est raide,

Il va reprendre haleine au bord du chemin creux.

 

L’averse jette une mesure ou deux...

Un soupir... Silence ...

Soudain il s’élance.

La porte gémit d’un coup de sabot.

Il est déjà loin. La bruyère immense

Sonne tout là-bas le creux du tombeau.

 

Chien boréal enivré de ravage,

Délivre-moi de la maison des morts,

Brise des dents les barreaux de ma cage,

Entraîne-moi sur ta piste sauvage,

Livre au galop la forme de mon corps !

 

Viens-tu des lacs, de la source des brumes,

Ou du soufflet formidable des monts,

De la baltique aux cliquetis d’écumes ?

L’esprit du nord frappe sur tes enclumes,

La grande steppe anime tes poumons.

 

Encore, encore, encore une ruade,

Que tes ruées emportent ma prison !

Que ta fureur crève la palissade !

Aboie, aboie à la lune maussade

De ton chenil qui garde l’horizon.

La pluie en trombe bat la charge

Sur mes espoirs et mes tourments.

De haut en bas, de long en large,

C’est le tocsin des éléments.

Des entonnoirs et des spirales

D’air et d’eau se font et se défont,

Je perçois un souffle profond

Sorti d’invisibles chorales.

Il pleut sur le fût des bouleaux,

Il pleut sur notre sombre enclos,

Sur les visages de nos rêves,

Il pleut sur nous de longs sanglots,

Qui nous bercent et nous enlèvent.

Il pleut sur les souvenirs doux,

Sur nos espoirs et nos dépouilles.

Je vois le profil des gargouilles

Aux cathédrales de chez nous.

Elles versent une eau limpide

Aux meurtrissures du pavé,

Car le prisonnier est sauvé

Par la fuite du temps rapide.

 

               Voici que la grêle

               Vide son carquois.

               Comme elle martèle

               L’ardoise et le bois.

               Fuyez, mes pensées,

               Doucement poussées

               Vers mon autrefois.

               Le sommeil m’emporte

               Dans son lit mouvant...

               Qui heurte à la porte,

               Grêle, pluie ou vent ?

               Je ne sais au juste,

               Je suis un arbuste

               Que l’orage frustre

               Va toujours lavant.

               Le grésil s’incruste

               A mes contrevents...

 

Bourrasques et clameurs, musique de mes songes,

Rouliers de l’épaisseur qui portez des mensonges,

Emplissez en grondant les orgues de la nuit.

Votre cadence est douce à mon âme terrestre

Lorsque dans les détours du sommeil qui me fuit,

Vous puisez le tumulte aux fleuves de l’orchestre.

 

Loués soient le vent aux mains de velours

Et la douce pluie aux lèvres humides,

Par eux guérit la blessure des jours,

Qui coulent, laissant nos corbeilles vides.

Bénis soient le vent, libre dans le ciel,

Les muscles du vent qui remue l’espace,

Et la pluie à flots, à flots torrentiels,

Les deux cavaliers de la nuit qui passe.

 

Poèmes pour le vent

Les Presses bretonnes, 22000 Saint-Brieuc, 1946

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