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Le bar à poèmes
25 octobre 2018

Allen Ginsberg (1926 – 1997) : Tournesol soutra / Sunflower sutra

 

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Tournesol soutra

 

J’ai marché sur les berges du dock aux bananes & boîtes en fer-blanc et je me

     suis assis dans l’ombre immense d’une locomotive du Southern Pacific pour

     regarder le crépuscule sur les collines à baraques et pleurer.

Jack Kerouac s’est assis près de moi sur un poteau pété de fer rouillé, compagnon,

     nous avions les mêmes pensées de l’âme, mornes et sombres et l’œil triste,

     entourés des racines d’acier noueuses des arbres de machinerie.

L’eau huileuse sur la rivière reflétait le ciel rouge, soleil sombra au faîte des

     derniers pics de Frisco, pas de poisson dans ce cours d’eau, pas d’ermite dans

     ces monts, rien que nous œil chassieux et gueule de bois comme de vieux

     clochards sur la rive, fatigués et rusés.

Regarde le Tournesol, il dit, il y avait une ombre grise et morte contre le ciel,

     grandeur d’homme, plantée desséchée en haut d’un tas de veille sciure –

- Je me précipitai enchanté – c’était mon premier tournesol, souvenirs de Blake –

     mes visions – Harlem –

les Enfers des rivières de l’Est, ponts cliquetants Joes Greasy Sandwiches,

     landaus d’enfants morts, noirs pneus lisses oubliés et jamais rechapés, le

     poème de la berge, pots et capotes anglaises, couteaux en acier, rien

     d’inoxydable, rien que la fange humide et des artefacts acérés comme rasoirs

     glissant dans le passé –

et le Tournesol gris d’aplomb contre le soleil couchant, craquelé sans abri couvert

     de suie et de smog et du poussier des locomotives du temps jadis dans son œil -

corolle de piquants troubles écrasés et brisés telle une couronne cabossée, graines

     tombées de sa face, bouche bientôt édentée d’air ensoleillé, des rayons de soleil

     oblitérés sur sa tête poilue comme une toile d’araignée en fil de fer cassant,

des feuilles tendues comme des bras sur la tige, gestes nés de la racine de sciure,

     débris de plâtre chus des ramilles noires, une mouche crevée dans son oreille,

Quelle pauvre vieille chose impie tu étais, mon tournesol O mon âme, je t’aimais

     alors !

La crasse n’était pas crasse d’homme ce n’était que mort et locomotives humaines

toute cette robe de poussière, ce voile en ténébreuse peau de chemin de fer, cette

     poisse de joue, cette paupière de mouise noire, cette main de suie ou phallus ou

     protubérance de fausseté plus que sale – industrielle – moderne – toute cette

     civilisation souillant ta  folle couronne d’or –

et ces troubles pensées de mort et ces yeux de poussière sans amour ces bouts et

     ces racines desséchées en dessous dans l’édifice de sable et de sciure, dollars

     en caoutchouc, peau de machinerie, boyaux et entrailles de l’auto toussotante

     et pleurnicharde, boîtes en fer-blanc vides et solitaires aux langues rouillées,

     quoi d’autres encore, cendres froides de quelques cigare-bite, cons des

     brouettes et seins laiteux des voitures, culs de chaises usés et sphinctères de

     dynamos – tout çà

empêtré dans tes racines momifiées – et toi là debout devant moi dans le couchant

     toute ta gloire à même ta forme !

Une beauté parfaite de tournesol ! une existence de tournesol parfaite ravissante

     excellente ! un doux regard naturel sur la nouvelle lune hip, éveillé vif et excité

     embrassant dans le crépuscule ombre et soleil levant et brise mensuelle toute

     d’or !

Combien de mouches vrombissaient autour de toi innocentes de ta crasse, lors que

     tu maudissais les paradis du chemin de fer et ton âme de fleur ?

Pauvre fleur morte ? quand oublias-tu que tu étais une fleur ? quand as-tu regardé

     ta peau et conclu que tu étais une sale vieille locomotive impuissante ? un

     fantôme de locomotive ? le spectre et l’ombre d’une folle locomotive

     américaine jadis puissante ?

T’as jamais été locomotive, Tournesol, tu étais un tournesol !

Et toi Locomotive, tu es une locomotive, ne m’oublie pas !

Alors j’ai attrapé le tournesol-squelette et l’ai planté à mes côtés comme un

     sceptre,

et délivre mon sermon à mon âme, et à l’âme de Jack aussi, et à quiconque

     l’écoutera,

- Nous ne sommes pas notre peau de crasse, nous ne sommes pas notre

     locomotive effrayante et lugubre sans image, nous sommes tous au-dedans

     de beaux tournesols dorés, bénis de notre propre semence & des corps-

     accomplissements beaux nus dorés poilus qui grandissent en tournesols fous

     noirs et formels dans le crépuscule, épiés par nos yeux dans l’ombre de la folle

     locomotive berge de rivière crépuscule Frisco collines boîtes en fer-blanc

     vision assise du soir.

Berkeley, 1955

 

Traduit de l’anglais par Robert Cordier et Jean-Jacques Lebel

In, Allen Ginsberg : « Howl and other poems»

Christian Bourgois éditeur, 2005

Du même auteur :

Kaddish I (25/10/2016)

Howl (25/10/2017)

Transcription de musique d’orgue / Transcription of organ music (25/10/2019)

 Song (25/10/2020) 

L’automobile verte / The green automobile (25/10/2021)

 Ode à l’échec / Ode to failure (25/10/2022)

Kaddish II (1) (25/10/2023)

Kaddish II (2) (25/10/2024)

 

Sunflower sutra

 

I walked on the banks of the tincan banana dock and sat down under the huge    

     shade of a Southern Pacific locomotive to look at the sunset over the box house

     hills and cry.

Jack Kerouac sat beside me on a busted rusty iron pole, companion, we thought

     the same thoughts of the soul, bleak and blue and sad-eyed, surrounded by the

     gnarled steel roots of trees of machinery.

The oily water on the river mirrored the red sky, sun sank on top of final Frisco

     peaks, no fish in that stream, no hermit in those mounts, just ourselves rheumy-

     eyed and hung-over like old bums on the riverbank, tired and wily.

 

Look at the Sunflower, he said, there was a dead gray shadow against the sky, big

     as a man, sitting dry on top of a pile of ancient sawdust —

— I rushed up enchanted — it was my first sunflower, memories of Blake—my

     visions — Harlem

and Hells of the Eastern rivers, bridges clanking Joes Greasy Sandwiches, dead

     baby carriages, black treadless tires forgotten and unretreaded, the poem of the

     riverbank, condoms & pots, steel knives, nothing stainless, only the dank muck

     and the razor-sharp artifacts passing into the past —

and the gray Sunflower poised against the sunset, crackly bleak and dusty with the

     smut and smog and smoke of olden locomotives in its eye —

corolla of bleary spikes pushed down and broken like a battered crown, seeds

     fallen out of its face, soon-to-be-toothless mouth of sunny air, sunrays

     obliterated on its hairy head like a dried wire spiderweb,

leaves stuck out like arms out of the stem, gestures from the sawdust root, broke

     pieces of plaster fallen out of the black twigs, a dead fly in its ear,

Unholy battered old thing you were, my sunflower O my soul, I loved you then!

The grime was no man’s grime but death and human locomotives,

all that dress of dust, that veil of darkened railroad skin, that smog of cheek, that

     eyelid of black mis’ry, that sooty hand or phallus or protuberance of artificial

     worse-than-dirt—industrial—modern—all that civilization spotting your crazy

     golden crown—

and those blear thoughts of death and dusty loveless eyes and ends and withered

     roots below, in the home-pile of sand and sawdust, rubber dollar bills, skin of

     machinery, the guts and innards of the weeping coughing car, the empty lonely

         tincans with their rusty tongues alack, what more could I name, the smoked

     ashes of some cock cigar, the cunts of wheelbarrows and the milky breasts of

     cars, wornout asses out of chairs & sphincters of dynamos — all these

entangled in your mummied roots—and you there standing before me in the

     sunset, all your glory in your form!

A perfect beauty of a sunflower! a perfect excellent lovely sunflower existence! a

     sweet natural eye to the new hip moon, woke up alive and excited grasping in

     the sunset shadow sunrise golden monthly breeze!

How many flies buzzed round you innocent of your grime, while you cursed the

     heavens of the railroad and your flower soul?

     Poor dead flower? when did you forget you were a flower? when did you look

     at your skin and decide you were an impotent dirty old locomotive? the ghost

     of a locomotive? the specter and shade of a once powerful mad American

     locomotive?

You were never no locomotive, Sunflower, you were a sunflower!   

And you Locomotive, you are a locomotive, forget me not! 

So I grabbed up the skeleton thick sunflower and stuck it at my side like a scepter,

     and deliver my sermon to my soul, and Jack’s soul too, and anyone who’ll

     listen,

— We’re not our skin of grime, we’re not dread bleak dusty imageless

     locomotives, we’re golden sunflowers inside, blessed by our own seed & hairy

     naked accomplishment-bodies growing into mad black formal sunflowers in

     the sunset, spied on by our own eyes under the shadow of the mad locomotive

     riverbank sunset Frisco hilly tincan evening sitdown vision.

Berkeley, 1955

 

 

Howl and other poems

City Lights Booksellers & Publishers, San Fransisco, 1956 

Poème précédent en anglais :

Sylvia Plath : Wuthering Heights (11/10/2018)

Poème suivant en anglais :

William Butler Yeats: L’île du lac d’Innisfree  / The lake isle of Innisfree (30/10/2018)

 

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