James Sacré (1939 -) : Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient
Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient
Tu ne disais rien. Je t’accueillais dans mon cœur à Sidi Slimane, dans le tien.
J’avais l’impression d’un endroit mal cousu à la campagne,
Le pas court et continuel des mules se mêle
A d’encombrants bruits de camions.
Le temps passe en mobylette. On reste à regarder
Les cadres d’entrée mal peints des magasins, l’hôtel Splendide
Se défait lentement d’un luxe ancien.
Les gens sont riches et les gens sont pauvres à Sidi Slimane, le soir
Les camions ramènent ceux qui sont allés travailler dans les champs ;
Tu m’avais raconté ton enfance, des jardins ; les oranges silencieuses.
Je cherche des mots pour comprendre, sans m’attendrir trop,
Comment se mêle du sourire en la banalité d’aller vers la mort
A Sidi Slimane comme ailleurs, en mon poème, en ton visage intense et
fragile.
On peut regarder la nuit c’est, comme entre l’Aubraye et les fermes d’un
village en Vendée, un même arrangement d’étoiles entre Douar Jdid et Sidi
Slimane. Quelqu’un me prend par la main ; mon père ou quelqu’un d’autre
aujourd’hui. La nuit fait que parler touche le mieux au monde, on dirait que
les mots vont dormir dans les arbres.
Le même ancien roulement du Grand et du Petit Chariots. Jusqu’à
toujours.
Le noir qui respire entre notre bouche et les feuillages permet que des
mots pour vivre soient possibles : le temps, Dieu l’obscur dans l’autre, ou
rien. La liberté.
Un bourg qui a son nom comme une jolie musique en quatre syllabes, Sidi
Slimane
On l’entend mieux dans ses quartiers pauvres
Fraîcheur difficilement gagnée
A grands seaux d’eau versés par exemple sur un ciment nu
Les murs on les a peints jusqu’à leur mi-hauteur de couleurs presque acides
On est bien dans le bleu, le rose presque violet, qui sont comme un sourire
dans beaucoup de blanc vide ; dehors
La ruelle est très étroite jusqu’à l’espace en friche et désordre par lequel on
passe
Pour aller jusqu’au vrai bourg, maisons qui se construisent (briques et
ciment) bâtiments pour les affaires, des magasins plus importants à Sidi
Slimane
A Sidi Slimane où le monde et les mots s’épuisent dans un presque peu mais
prenant bruit de musique.
Le douar Jdid à l’écart du bourg
La pauvreté le temps qui dure pareil qu’à d’autres endroits du monde. On
oublie.
On va dans l’ombre et dans le blanc des murs et la couleur des portes basses
Jusqu’à une :
On est dans un piano rustique, on touche au ciel,
(La cuisine et des chambres, un chiotte, autour)
Quelqu’un vient d’en rincer le ciment à grande eau ;
Une cruche haute et l’échelle rentrée dans un coin, la télé dans un autre.
Je suis bien dans cet endroit simple et difficile ;
A l’écart de rien. Quelqu’un que je venais voir.
La pauvreté des mots. Le temps dans mon cœur.
La route a des bas-côtés très larges (terre mal séchée, crottin d’âne
Où peuvent se ranger les charrettes et les voitures
(Durant la nuit quelqu’un les garde).
Plus loin c’est bientôt la campagne on s’est arrêté sur de l’herbe
A côté d’une clôture et d’un champ d’orge. Un peu plus tard
On revient par cette route maintenant comme du silence, on voit
Des magasins frustes, des pneus devant une manière de garage,
La couleur du ciel je m’en souviens mal et de la misère des gens pas plus
Tu racontais toujours la même tragédie du monde en cet espace urbain mal
dépris de la campagne,
En y mêlant ton sourire et soudain tes peurs. A Douar Jdid,
Le bonheur tout déchiré de malheur (j’ai pensé
A des guenilles familières dans les bottes sales de mon enfance)
Une fin d'après-midi à Marrakech,
Editions André Dimanche, Marseille, 1988
Du même auteur :
Trois figures qui bougent un peu (19/03/2015)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I) (07/06/2019)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (II) (02/12/2019)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (III) (07/06/2020)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (IV) (07/06/2021)
« Parfois l’âne arrive... » (07/06/2022)
Deux rushes de quinze vers chacun (07/06/2023)
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