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Le bar à poèmes
7 juin 2025

James Sacré (1939 -) : Broussaille de bleus

 

 

 

Broussaille de bleus

 

    1

 

Bleu fougereuse peut-être que ca n’existe pas.


Mais bande de jeunes gars qu’on était


Pour s’en aller au bal


Après le boulot du dimanche matin


C’était, de Saint-Pierre-à-Champs jusqu’à d’autres bourgs pas si loin


(Genneton, Saint-Maurice-la-Fougereuse ou Doué-la-Fontaine)


Partir dans le vent et de grands nuages venus de l’océan


Une rêverie d’on sait pas quoi, le désir qui emporte


On oubliait


Restées tout en bas d’un large ciel de libertés


De minuscules charrettes peinturées de bleu, un béret


La toile salie d’’un pantalon de travail


Un carré de tôles sur un hangar :


Bleu fougereuse. On y reviendrait.

 

 

*


Tous les paysages qu’on a traversés


Un jour ou l’autre baignent dans le bleu


Si partout c’est le même bleu ?


On revient sur ses pas pour vérifier


On marche à reculons dans sa mémoire


Tous les bleus sont-ils pas


Celui qu’a connu l’enfance, un bleu


Plus ou moins clair ou sombre et qui s’emmêle


En d’autres couleurs qu’on a vécues


Un bleu qui n’a plus de nom


Comme l’enfance qu’on a perdue.

 

 

*


Si vous regardez bien 


Vous pourrez savoir


Que la broussaille ça peut être


Aussi bleue que des oranges


Sans être obligé de le croire.


Bleue comme un dimanche


Avec le soleil au fond.

 

 

Au fond du pays perdu


Où tu n’arriveras jamais.

 

 

L’orange de noël et sur la vitre


La belle fougère de givre, faut-il


Jamais croire à du bleu ?

 

 

2


Pas souvent qu’un poème se préoccupe


De se dire en couleur


J’en reçois un l’autre jour de Françoise Delorme


Des couleurs vives et chaudes qu’elle dit


A cause d’un temps de neige dans le froid :


C’est découvrir goussons d’églantine ou prunelles


Sur un buisson gelé. Je pense aussi


A des couleurs qui sont souvent


Dans les poèmes de Pierre Tilman. Dans le mien


Ici, dans sa forme de brouillon,


C’est que l’encre de mon stylo-bille


Bleu Pilot BP – S Mastic fine


Rien qui brille.

 

 

*


De la couleur en vrai dans un poème


Dans sa lettre ou sur le support papier


Si elle donne lieu ou sens


Aux choses, aux mots à des relations qu’on peut lire


Dans la matière écrite ?


Le mot bleu répété s’il est plus bleu


A cause d’une couleur imprimée ?


Ou si je vois mieux


La prunelle ratatinée dans son buisson d’hiver


Parce que l’encre de mon bic est bleue ?

 

 

*


Aussi bien, sans me soucier de formes ni    


De ce que penser pourrait m’apprendre


A propos du bleu dans un poème


Si je ferais pas mieux


De m’en tenir au rythme, là déjà venu


A des mots que je pressens pas loin


Souvenirs, choses qui seront là demain


Et maintenant, par exemple


Ce poème comme un bleu à mon désir d’écrire ?

 

 

3

 

Les jacarandas qui sont à Marrakech


Tu les retrouves dans l’Arizona


Au bout du green d’un gros bourg, Ajo


Avant qu’on soit chez les Indiens


tohono o‘odham, on dirait


 


Ont noué le monde en un seul bouquet.


Tu as quitté ton vélo du dimanche


Te voilà en voiture, où vas-tu


Perdu dans le vent du temps ?

 

 

*


Quelqu’un passe en mobylette et s’en va


Disparaît comme


A l’horizon du temps :


Leger point bleu de ferraille (on n’entend plus rien) 

       
Dans le bleu sans fond du temps.


La couleur du vivant


N’en finit pas de mourir, tu penses


A des villages qui ne sont plus que des noms


Shanto en pays navajo, Imi n’ifri, Passavant-sur-Layon :


Le vélomoteur du poème peine


A renaître dans ces mots.

 

 

*


Une charrette peinte comme un jouet d’enfant


Un assemblage de chose en bois : ses bras


Les ranches, quatre pointês, les roues dans leurs ferrures, 


Au lieu d’arriver dans le bruit d’aujourd’hui


Elle s’en va, s’en va, s’en va


En des chemins qui n’existent plus, son bleu


De plus en plus passé.

 

 

Son bleu de plus en plus passé


Défait dans un reste de pré


Disparu dans ce qu’on écrit.

 

 

Bleu, comme un cri de silence

 

 

 


Broussailles de bleus


Editions Le Réalgar, 94200 Ivry-sur-Seine, 2021


Du même auteur :

 
« Des fois, il est tard... » (Figure 18) (19/03/2015)


Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient (07/06/2018)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I) (07/06/2019)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (II) (02/12/2019)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (III) (07/06/2020)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (IV) (07/06/2021)


« Parfois l’âne arrive... » (07/06/2022)


Deux rushes de quinze vers chacun (07/06/2023) 


Le mot folie n’est qu’un mot, dans le poème (07/06/2024) 
 

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