James Sacré (1939 -) : Le mot folie n’est qu’un mot, dans le poème
Le mot folie n’est qu’un mot,
dans le poème
1
Quelqu’un dit que tu t’en vas dans la folie, comment savoir ?
C’est vrai qu’il y a dans tes lettres, dans ta parole quelque chose d’obscur
Comme de la peur en même temps que beaucoup de conviction, je regarde
Ton visage à la fois strict et tendre qui pardonne et qui fait confiance
De la confiance qui est une douloureuse caresse, le temps ne dit jamais rien
De ce qui va venir demain. Je t’aime et l’intimité se trouve traversée de
silence et de mort. De silence
2
Je ne comprends rien à ce qui est peut-être ta folie
Mais je crois bien qu’écrire un poème c’est rien pareil
Que se précipiter comme tu fais dans les mots.
Ta langue s’égare en tellement plus de vérité pas possible et d’obscurité qui
fait peur
Alors que mon poème se rassure en des rythmes forcément mesurés.
Qu’est-ce que je pourrais dire du violent mélange de ton rire et de tes
larmes ?
Ou bien je n’ai jamais été poète. Peut-être bien. Et sans ressource entre ton
cœur et le mot folie.
3
Comment est-ce qu’on entend
Qu’une parole est envahie d’incohérence ou d’une insensée certitude ?
Presque pleurer quand je pense à toi m’effraie.
Qu’est-ce que je sais de ta folie (misère ou bonheur exigeant) ?
Suffit-il pas d’essayer (comme on fait toujours pour aimer) d’être avec toi,
où ça ?
Mon poème t’appelle (ah, ce tourment dans la santé !) t’appelle de trop loin.
Je ne veux pas pleurer mais toucher à ton cœur effrayé qui paraît dans tes
yeux contents.
4
Parfois j’aimerais que mes poèmes disent des choses qui sembleraient justes
Ou qui seraient un peu comme une énigme dont on va saisir le sens, et cela
fait plaisir.
Des choses comme par exemple ces mots de Goethe que rapporte quelqu’un
dans une revue :
« Il n’y a de poésie que de circonstance » et « je vis dans les millénaires ».
Je parle bien de ce qui me convoque autour d’un prénom particulier, d’un
nom.
Mais les mots sourire ou peur qui projettent un visage dans le chaos logique
des dictionnaires
Vont-ils durer si longtemps ? et quelle histoire passée transportent-ils au
loin?
Nous allons mourir c’est vrai. La poésie n’est que de circonstance.
Le silence envahit les millénaires
5
Soudain ce qui est obscur dans tes lettres, dans ta parole traversée d’ombre,
c’est quoi ?
Qu’est-ce que j’en peux dire ou penser ?
Et peut-être que c’est dans cette part nocturne de toi que s’avive et
s’inquiète de l’amour.
Bien sûr que j’ai peur du silence et de l’incompréhensible désordre partout,
Mais c’est bien dans leur proximité qu’il faut t’aimer
Et toucher ton cœur qui s’effraie
De savoir mal coudre ensemble
La soie fine du monde et ses chiffons sales.
6
... ton prénom fête entière et du silence
Des fleurs comme de la solitude et de la folie
Ton sourire égaré (bien sûr qu’il va faire beau !) dans ton visage obscur...
D’un coup le monde rassemblé
S’en va se perdre partout !
Quelque chose va trop vite les mots l’amitié bousculée,
T ’aimer, dis-tu, avec cette vitesse et cette accélération !
Lenteur de mon poème son peu de fête mal tourmenté par le silence
Et qui s’inquiète en vain au bord du mot folie.
7
Parce que le vent remue l’ampleur d’une ville dehors
L’activité d’écrire se voudrait plus transportée.
Mais t’imaginer très loin dans les pièges et la misère de ta raison mêlée à la
folie
Donne l’envie de s’en aller soi-même (dans quel silence incohérent ?)
La musique du poème devient insupportable.
Il n’y a pourtant de possible que ce peu d’écriture comme incapable de rien,
C’est tout ce qui reste pour faire signe aux autres dans l’éparpillement
bousculé du monde. Pour te faire signe. Parole de vent.
8
Est-ce qu’un livre pourra descendre en versets clairs
Sur les quelques feuillages
Et du temps noué quelque part en amitié ?
J’ai cru à quelque chose d’entier entre le désir et les dictionnaires ;
Mais les sentiments s’effacent dans les mots. Le corps n’est plus là ;
Que pourrait un livre contre l’énigme de la folie ? la clarté
De ses versets la voilà aussi qui ressemble
Au non sens infiniment ratissé par le vent dans le désert. Pourtant quelqu’un
croit
A la palmeraie qui fait un bruit d’eau et de silence vivant,
Sans qu’elle soit visible, dans l’aridité de la lumière.
Revue Po&sie, N°34
Belin éditeur, 1985
Du même auteur :
Trois figures qui bougent un peu (19/03/2015)
Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient (07/06/2018)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I) (07/06/2019)
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