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Le bar à poèmes
7 juin 2024

James Sacré (1939 -) : Le mot folie n’est qu’un mot, dans le poème

 

Le mot folie n’est qu’un mot,

dans le poème

 

1

     Quelqu’un dit que tu t’en vas dans la folie, comment savoir ?

     C’est vrai qu’il y a dans tes lettres, dans ta parole quelque chose d’obscur

     Comme de la peur en même temps que beaucoup de conviction, je regarde

     Ton visage à la fois strict et tendre qui pardonne et qui fait confiance

     De la confiance qui est une douloureuse caresse, le temps ne dit jamais rien

     De ce qui va venir demain. Je t’aime et l’intimité se trouve traversée de

silence et de mort. De silence

 

2

     Je ne comprends rien à ce qui est peut-être ta folie

     Mais je crois bien qu’écrire un poème c’est rien pareil

     Que se précipiter comme tu fais dans les mots.

     Ta langue s’égare en tellement plus de vérité pas possible et d’obscurité qui

fait peur

     Alors que mon poème se rassure en des rythmes forcément mesurés.

     Qu’est-ce que je pourrais dire du violent mélange de ton rire et de tes

larmes ?

     Ou bien je n’ai jamais été poète. Peut-être bien. Et sans ressource entre ton

cœur et le mot folie.

 

3

     Comment est-ce qu’on entend

     Qu’une parole est envahie d’incohérence ou d’une insensée certitude ?

     Presque pleurer quand je pense à toi m’effraie.

     Qu’est-ce que je sais de ta folie (misère ou bonheur exigeant) ?

     Suffit-il pas d’essayer (comme on fait toujours pour aimer) d’être avec toi,

où ça ?

     Mon poème t’appelle (ah, ce tourment dans la santé !) t’appelle de trop loin.

     Je ne veux pas pleurer mais toucher à ton cœur effrayé qui paraît dans tes

yeux contents.

 

4

     Parfois j’aimerais que mes poèmes disent des choses qui sembleraient justes

     Ou qui seraient un peu comme une énigme dont on va saisir le sens, et cela

fait plaisir.

     Des choses comme par exemple ces mots de Goethe que rapporte quelqu’un

dans une revue :

     « Il n’y a de poésie que de circonstance » et « je vis dans les millénaires ».

     Je parle bien de ce qui me convoque autour d’un prénom particulier, d’un

nom.

     Mais les mots sourire ou peur qui projettent un visage dans le chaos logique

des dictionnaires

     Vont-ils durer si longtemps ? et quelle histoire passée transportent-ils au

 loin?

     Nous allons mourir c’est vrai. La poésie n’est que de circonstance.

     Le silence envahit les millénaires

 

5

     Soudain ce qui est obscur dans tes lettres, dans ta parole traversée d’ombre,

c’est quoi ?

     Qu’est-ce que j’en peux dire ou penser ?

     Et peut-être que c’est dans cette part nocturne de toi que s’avive et

s’inquiète de l’amour.

     Bien sûr que j’ai peur du silence et de l’incompréhensible désordre partout,

     Mais c’est bien dans leur proximité qu’il faut t’aimer

     Et toucher ton cœur qui s’effraie

     De savoir mal coudre ensemble

     La soie fine du monde et ses chiffons sales.

 

6

     ... ton prénom fête entière et du silence

     Des fleurs comme de la solitude et de la folie

     Ton sourire égaré (bien sûr qu’il va faire beau !) dans ton visage obscur...

     D’un coup le monde rassemblé

     S’en va se perdre partout !

     Quelque chose va trop vite les mots l’amitié bousculée,

     T ’aimer, dis-tu, avec cette vitesse et cette accélération !

     Lenteur de mon poème son peu de fête mal tourmenté par le silence

     Et qui s’inquiète en vain au bord du mot folie.

 

7

     Parce que le vent remue l’ampleur d’une ville dehors

     L’activité d’écrire se voudrait plus transportée.

     Mais t’imaginer très loin dans les pièges et la misère de ta raison mêlée à la

folie

     Donne l’envie de s’en aller soi-même (dans quel silence incohérent ?)

     La musique du poème devient insupportable.

     Il n’y a pourtant de possible que ce peu d’écriture comme incapable de rien,

     C’est tout ce qui reste pour faire signe aux autres dans l’éparpillement

bousculé du monde. Pour te faire signe. Parole de vent.

 

8

     Est-ce qu’un livre pourra descendre en versets clairs

     Sur les quelques feuillages

     Et du temps noué quelque part en amitié ?

     J’ai cru à quelque chose d’entier entre le désir et les dictionnaires ;

     Mais les sentiments s’effacent dans les mots. Le corps n’est plus là ;

     Que pourrait un livre contre l’énigme de la folie ? la clarté

     De ses versets la voilà aussi qui ressemble

     Au non sens infiniment ratissé par le vent dans le désert. Pourtant quelqu’un

croit

     A la palmeraie qui fait un bruit d’eau et de silence vivant,

     Sans qu’elle soit visible, dans l’aridité de la lumière.

 

 

Revue Po&sie, N°34

Belin éditeur, 1985

Du même auteur :

Trois figures qui bougent un peu (19/03/2015)

Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient (07/06/2018)

Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I) (07/06/2019)

Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (II) (02/12/2019)

Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (III) (07/06/2020)

Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (IV) (07/06/2021)

« Parfois l’âne arrive... » (07/06/2022)

Deux rushes de quinze vers chacun (07/06/2023)

 

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