Alexandre Sergueïevitch Pouchkine / Александр Сергеевич Пушкин (1799 - 1837) : « Lorsque j’erre, songeur… »
Lorsque j’erre, songeur, au-delà du faubourg,
Au cimetière urbain je passe faire un tour :
Les grilles des enclos, colonnettes et dalles
Qui abritent les morts de notre capitale
Pourrissant l’un sur l’autre au milieu des marais,
Hôtes gloutons et froids d’un trop maigre banquet ;
Mausolées commerçants, monuments fonctionnaires,
Fantaisies à trois sous d’un sculpteur de misère,
Avec leurs inscriptions en prose ou mal rimées
Sur le rang et le cœur d’un mari bien-aimé ;
Larmes enamourées sur la mort d’un jocrisse,
Urnes de plâtre gris que le malfrat dévisse,
Et ces tombeaux glissants qui attendent encor,
Bâillant jusqu’au matin, qu’on leur offre leur corps, -
Et tout cela me navre et tout cela m’oppresse
Et me remplit le cœur d’une affreuse tristesse –
Au diable ! fuir et fuir !...
Mais comme j’aime voir,
Quand l’automne rougoie et vient l’aube du soir,
Le simple cimetière où les morts d’un village
Peuvent, en majesté, sommeiller d’âge en âge.
Les monuments sans art ont l’espace qu’il faut ;
Aucun voleur, la nuit, ne trouble leur repos :
Le laboureur, passant, salue d’une prière,
Sous leur mousse jaunie ces tombes séculaires ;
Point d’obélisques, point de colonnes déchues,
Point de génies sans nez, de Grâces mal fichues –
Sur les graves tombeaux se dresse un large chêne
Où chuchote le vent…
15 août 1936
Traduit du russe par André Markowicz,
In, « Le soleil d’Alexandre. Le cercle de Pouchkine 1802 – 1841 »
Actes Sud, éditeur,2011
Du même auteur :
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