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Le bar à poèmes
22 février 2018

Tristan Tzara (1896 – 1963) : Terre invisible

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Terre invisible

 

J’ai vu de près parmi les aveugles le mystère de la naissance

le jour se levait brisé sous les chaînes et du barattement des forces noires

     des rayons

dans un cliquetis de galop sous la neige veloutée

j’ai vu une fleur de lumière la minime veilleuse de soie

palpiter à la porte d’un pauvre homme d’oubli et de transparence

le chant et le silence mon beau pays de joie

 

qui frappe à la porte oubliée enfouie sous la sciure d’oubli et d’hiver

pourquoi frappe-t-on j’ai dit à la froide visite en vérité

que l’eau de clarté inonde la chambre démasquée

mille ailes blanches découpent l’air soudainement violent comme un

     rire de jeune fille

à la porte du pauvre où seul le clapotis de la pluie frappait d’un sang fatigué

le pouls du jour de la nuit et l’invisible brûlure s’accrochant aux commissures

     étoilées

rêve ou fruit du silence d’épines

le vent la pluie la liberté

 

j’ai dit que n’ai-je dit neige pluie et vent et grêle

j’ai dit à l’ombre à la misère

et j’ai chassé en vain les mouches

j’ai cassé tant de vaisselle

que la honte monte à ma bouche

tant de mots amers

sur des routes parcourues par cœur

les yeux fermés la honte en tête

un rire moqueur à chaque fenêtre

et bien d’indiscrétion dans les regards d’entre les feuilles

de tous les arbres poignardés en ma poitrine

la joie les fruits la liberté

 

J’ai vu de près parmi les aveugles le mystère de la naissance

vent et pluie e vins et fruits

le soleil de l’aveugle un enfant dans la neige

et à dire l’avenir toute la force de l’homme

offerte de chair comme le sel et le pain

à la plus belle à la merveilleuse, à la flamme future

 

c’était un jour comme pas un autre du mois d’août

l’audace portait haut le front de sa flamme

celui qui traversa la longue nuit de France

a vu tarir l’angoisse à la margelle du puits

et du ravissement des eaux jaillir la colère

seule lumière seule

pure entre les plus hautes déchirures

 

J’ai vu de près parmi les aveugles le soleil de la naissance

et la fleur première

le pain rayonnant sur le comble de l’ombre

et des montagnes d’oiseaux fraîchement confiants

revenir à la source

le chant et le silence mon beau pays de joie.

 

In, Francis Combes : « Les plus beaux poèmes pour la paix »

Messidor / Temps actuels, 1983

 

 

Du même auteur :

« dimanche lourd couvercle… » (17/06/2014)

Il fait soir (15/07/2014)

Sur le chemin des étoiles de mer (22/01/2016) 

« il y a un bien beau pays dans sa tête… » (22/01/2017)

« la tête rampe... » (22/02/2019)

« J’avance lentement... » (22/02/2020) 

Doutes / Indoieli (22/01/2021)

« Le trot des mulets... » (22/01/2022)

Réalités cosmiques (22/02/2023)

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