Tristan Tzara (1896 – 1963) : Réalités cosmiques
Portrait de Tzara par Marcel Janco (carton, toile de jute, encre et gouache), 1919. Centre Pompidou
REALITES COSMIQUES
VANILLE TABAC
EVEILS
I.
écoute. je ferai un poème mais ne ris pas
quatre rues nous entourent et nous leur disons
lumière. SUR LES POTEAUX DE
PRIERE ET TU PARLAIS AUX
éléphants, au cirque, comme la lumière
je ne veux plus que tu sois malade, sais tu
mais pourquoi pourquoi ce matin. tu veux siffler.
téléphone
je ne veux pas je ne veux pas et il me serre TROP
TROP FORT
II.
ce matin
de cuivre ta voix grelottait sur le fil
le jaune s’enfermait dans le pavillon COMME
LE SANG
la femme couverte de vert-de-gris de vert-de-gris
se dissipa comme la brume dans les clochettes
pleure – rose des vents – pleure blanc
voici, une lumière qui pourrait être noire
fleur.
III.
sur des lys d’acier et de sel dis-moi encore une
fois que ta mère fut bonne
IV.
je suis ligne qui se dilate et je veux croître dans
un tube de fer d’étain
je dis cela pour t’amuser
V.
non pas parce que j’aurais pu être archange de cire
ou pluie du soir et catalogue d’automobiles
VI.
dans les fosses la vie rouge bout
pour silence je veux compter mes joies
tu m’as dit que j’ai pitié de toi
et je n’ai pas pleuré lorsque tu m’as vu, mais j’au-
rais voulu pleurer dans le tramway
tu me dis je veux partir
les perles de la tour de mon gosier étaient froi-
des, tambour major pour les cœurs et glisse
les insectes dans la pensée ne me mordent pas,
fleur des doigts
ah,
l’eau aboie
et si tu veux je rirai comme une cascade et comme
un incendie
VII
dis : vide pensée
vite tu sais
je serai
violoncelle
VIII
Je te tiens le manteau lorsque tu pars, comme si tu
n’étais pas ma sœur
IX.
en acier de gel
sonne
dors-tu lorsqu’il pleut ?
X.
les serviteurs de la ferme lavent les chiens de
chasse
et le roi se promène suivi par les juges qui ressem-
blent aux colombes
j’ai vu aussi au bord de la mer la tour bandagée
avec son triste PRISONNIER
dans les fosses ouvrez l’électricité DE GLACE
par conséquent
seigneur seigneur DE GLACE
pardonnez-moi
XI.
GRANDES LARMES glissent le long des
draperies
tête de chevaux sur le basalte, comme
des jouets de verre cassent entre les étoiles avec
des chaînes pour les animaux
et dans les glaciers j’aimerais suivre
avec racine
avec ma maladie
avec le sable qui fourmille dans mon CERVEAU
car je suis très intelligent
et avec l’obscurité
XII.
chanson pensée
Je suis fatigué – la chanson des
reines
l’arbre crève de la nourriture comme une lampe
JE PLEURE vouloir se lever plus haut que le
jet-d’eau serpente au ciel car il n’existe plus la
gravité terrestre à l’école et dans le cerveau
ma main est froide et sèche mais elle a caressé le
jaillissement de l’eau
et j’ai vu encore quelque chose [au ciel] comme
l’eau visse les fruits et la gomme
XIII.
mais je suis sérieux en pensant à ce qui m’est
arrivé
lila
LILA
LILA
LILA
LILA
ton frère crie
tu lui dis
entre les feuillets du livre la main
humide
avec la chaux peins ma croyance
brûle sans lumière en fil de fer
LILA
XIV.
ton œil est grand
seigneur dans les draperies
ton œil court derrière moi
ton oeil est grand comme un cerveau pardonne-moi
envoie des médicaments
la pierre
XIV bis.
cœur de l’amant ouvert dans le ruisseau et l’électricité
regardons le point
toujours le même
des cheveux poussent autour de lui
il commence à sautiller
s’agrandir
monter vers les éclats définitifs
encercler glisse
vite
vite
roulant
nocturne
virages
XV.
Parmi les douleurs il y a des organismes et la pluie
tes doits
XVI. VIRAGES
golfe
ton cœur volera faisant choses si hautes
en escalier de frissons serrés comme l’arbre
entre les rougeurs des éclats
tu t’en vas
les chemins
les branches
lèchent la neige des hanches
XVII.
où l’on voit des ponts qui relient les respirations
dans la nuit
l’obscurité se partage et se groupe dans des pavillons
tendus par les chemins et les vents vers ta caresse
la plaie SILENCES VIRAGES
XVIII.
le cheval mange les serpents de couleur
tais-toi
XIX.
la pierre
danse danse seigneur
la fièvre pense une fleur
danse danse sur la pierre
chaude tresse
recommence en dissonance pour l’obscurité, ma
sœur
ma
sœur ?
1914
In, Revue « aventure N°3, janvier 1922 »
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