Giacomo Leopardi (1798 – 1837) : L’Infini / L’Infinito
L’Infini
Toujours me fut chère cette déserte colline
Et cette haie qui de toute part
Cache l'horizon ultime.
Mais immergé à l'infini
En si profonde quiétude
Je contemple ces espaces
Et recrée de surhumains silences
Mon choeur chavire au bruissement des feuilles
Et le silence, et cette voix qui s'entrelacent
Me relient à l'éternel
Ey aux saisons révolues
Et à ce temps présent, vif en son chant.
Ainsi, dans cette immensité
S'abîme ma pensée;
Et comme il m'est cher ce doux naufrage.
Traduit de l'italien par Carolyne Cannella
In, Revue "Babel heureuse, N°1, mars 2017"
Gwen Catalá Editeur, 31000 Toulouse
L’Infini
Toujours tendre me fut ce solitaire mont,
Et cette haie qui, de tout bord ou presque,
Ferme aux yeux le lointain horizon.
Mais couché là et regardant, des espaces
Sans limites au-delà d’elle, de surhumains
Silences, un calme on ne peut plus profond
Je forme en mon esprit, où peu s’en faut
Que le coeur ne défaille. Et comme j’ouis le vent
Bruire parmi les feuilles, cet
Infini silence-là et cette voix,
Je les compare : et l’éternel, il me souvient,
Et les mortes saisons, et la présente
Et vive, et son chant. Ainsi par cette
Immensité ma pensée s’engloutit :
Et dans ces eaux il m’est doux de sombrer.
Traduit de l’italien par Michel Orcel
in, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1994
L’infini
Toujours cette colline écartée me fut chère,
Et cette haie qui dérobe au regard
Une si grande part de l’horizon extrême.
Mais, immobile et contemplant, je forme, au-delà,
Des espaces illimités, de surhumains
Silences, une paix très profonde où pour un peu
Se troublerait mon cœur. Et comme j’entends
Frémir le vent dans les feuilles, je vais
Comparant ce silence infini
A cette voix : et me reviennent l’éternel,
Les saisons mortes, et celle-là qui vit,
Présente, et sa rumeur. Ainsi
Dans l’immensité s’abîme ma pensée,
Et le naufrage m’est doux sur cette mer.
Traduit de l’italien par Michel Orcel
In, Revue « Vagabondages, N° 28- 29, Mars/Avril 1981 »
Association « Paris-poète », 1981
L’infini
(Version en alexandrins)
Je l’ai toujours chéri, ce coteau solitaire
Et aussi cette haie qui dérobe au regard
Tout un immense pan du lointain horizon.
Mais lorsqu’assis, je reste en contemplation,
Je me forme en pensée, par-delà cette haie,
Des espaces sans fin, de surhumains silences,
Une paix insondable où il s’en faut de peu
Que mon cœur ne s’effraie. Et quand parmi les plantes
J’entends bruire le vent, à ce faible murmure,
Moi, je vais comparant ce silence infini.
Alors il me souvient et de l’éternité
Et des âges défunts et de l’âge présent,
Encore vivant, et de toute sa rumeur.
En cette immensité s’abîme ma pensée ;
Et naufrager m’est doux au fond de cette mer.
(Version en décasyllabes)
De tout temps j’ai chéri cette colline
Solitaire tout comme cette haie
Qui dérobe au regard une partie
Si grande du fin fond de l’horizon.
Mais, par de-là, lorsqu’assis, je contemple,
J’imagine en pensée d’illimités
Espaces, de surnaturels silences,
Une paix insondable, où mon cœur frôle
La peur. Le vent murmurant dans ces plantes,
Je compare à ce bruit cet infini
Silence : il me souvient de l’éternel
Et des âges défunts et du présent
Qui vit, de sa rumeur. Ainsi dans cette
Immensité s’abîme ma pensée
Et naufrager m’est doux dans cette mer.
Traduit de l’italien par Sicca Vernier
in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Du même auteur :
A Sylvia / A Silvia (30/12/2014)
Le coucher de la lune / Il tramonto della luna (20/12/2015)
Le soir du jour de fête /La sera del dì di festa (20/12/2016)
A soi-même /A se stesso (20/12/2018)
Les souvenirs / Le ricordanze (20/12/2019)
A la lune / Alla luna (20/12/2020)
Le dernier chant de Sappho / Ultimo canto di Saffo (20/12/2021)
Le passereau solitaire / Il passero solitario (20/12/2022)
Le calme après l’orage / La quiete dopo la tempesta (20/12/2023)
A Sylvia (2) (20/12/2024)
L’Infinito
Sempre caro mi fu quest'ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell'ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l'eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s'annega il pensier mio:
E il naufragar m'è dolce in questo mare.
Idilli
Stamperia della Muse
Bologna (Italie), 1826
Poème précédent en italien :
Pier Paolo Pasolini: Les pleurs de l’excavatrice, VI /Il pianto della scavatrice, VI (27/11/2017)
Poème suivant en italien :
Michel-Ange / Michelangelo Buonarotti : « Quelle mordante lime… » / « Per qual mordace lima… » (14/01/2018)