Avrom Sutzkever (1913 – 2010) / אַבֿרהם סוצקעווער : Dans la hutte de neige
Dans la hutte de neige
A
Soleil couchant, chemins que bleuit le verglas.
Douces couleurs de somnolence dans mon âme.
Luit d’une hutte dans le val un pâle éclat,
Sous la neige l’ensevelit le soir en flammes.
Aux vitres les forêts-à-prodiges déboulent
De magiques traîneaux tintent en carrousel,
A l’angle du grenier des colombes roucoulent,
Et déroucoulent mon visage. Sous le gel
Rayé par des cristaux dont la pointe fulgure,
Presque l’irréel l’Irtich se noue en palpitant.
Sous des coupoles de silence et de froidure
Fleurit ce monde : un enfant de sept ans.
B
Dans ta neigeuse et limpide pénombre
Hutte de mon enfance en Sibérie,
Naissent des fleurs aux pupilles de l’ombre,
Mercure en fleur qui sans fin refleurit.
Dans les recoins où se meurt la lumière
La lune expire un souffle, un halo bleu,
Mon père est blanc de la pâleur lunaire
Et sur ses mains de silence neigeux.
Il tranche le pain noir, lame aiguisée
Mais charitable. Et bleuissent ses traits
Moi, par ma pensée neuve et divisée,
Je trempe de sel, père, ton pain frais.
C
Le père. Le couteau. Une mèche qui fume.
Une enfance. L’enfant. Une ombre a dérobé
Au mur le violon. Plus fins qu’une fine écume
Des sons de neige sur ma tête sont tombés.
Silence. Car le père joue. Les sons s’égrènent,
Se gravent dans les airs où le gel les sertit.
Bleuis les grains d’argent que sème mon haleine
Sur la neige de lune en verre convertie.
A travers le carreau en pelisse de glace
Un loup flaire la chair de musique, sa proie,
Silence. Au pigeonnier un petit pigeon casse,
Pique, pique, cet œuf dont il sort dans le froid.
Aurore
Les empreintes de pattes qu’une bête
Roses dans la neige a disséminées,
Lorsqu’un soleil neuf et inconnu jette
Un cri aigu, sont vaguement illuminées
Par la lueur d’en haut. Mais la nuit sombre
Règne en bas. Les racines des forêts
Grincent des dents au fond des gouffres d’ombre.
Du chien lié à son traineau paraît
S’échapper comme une vapeur qui fait cortège
Au panache des cheminées. Sans fin s’embue
L’haleine d’un homme en ces lieux de neige,
Jusqu’à ce qu’une tente en l’air soit suspendue.
Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
in, " Les Poètes de la Méditerranée. Anthologie"
Éditions Gallimard (Poésie), 2010.
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