Paul Celan (1920 – 1970 ) : Matière de Bretagne
Matière de Bretagne
Lumière des genêts, jaune, les pentes
bavent du pus vers le ciel, l’épine
courtise la blessure, des cloches
y sonnent, c’est le soir, le néant
roule ses mers pour la prière,
la voile sang met cap sur toi.
Sec, asséché
derrière toi le lit, envahie de roseaux,
son heure, là-haut,
près de l’étoile, les rigoles
laiteuses de l’estran bavardent dans la vase, la datte de pierre
dessous, en touffe, bée dans la bleuité, un bouquet pérennant
de mortalité, beau,
salue ta mémoire.
(Me connaissiez-vous,
mains? j’ai suivi
le chemin fourché que vous indiquiez, ma bouche
crachait son cailloutis, j’allais, mon temps,
corniche de neige errante, projetait son ombre – m’avez-vous connu ?)
Mains, la plaie cour-
tisée d’épine, les cloches sonnent,
mains, le néant, les mers,
mains, dans la lumière des genêts, la
voile sang
met cap sur toi.
Toi
tu apprends
tu apprends à tes mains
tu apprends à tes mains, leur apprends
tu apprends à tes mains
à dormir.
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
In, Paul Celan : « Choix de poèmes réunis par l’auteur »
Editions Gallimard, 1998
Du même auteur :
Fugue de mort / Todesfuge (01/12/2014)
Strette / Engfürhrung (01/12/2015)
Le Menhir (01/12/2017)
« Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)
Psaume / Psalm (01/12/2019)
Eloge du lointain / Lob der Ferne (01/12/2020)
« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)
« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)
Quatre poèmes berlinois (1967) (01/12/2024)
Matière de Bretagne
Ginsterlich, gelb, die Hänge
eitern gen Himmel, der Dorn
wirbt um die Wunde, es läutet
darin, es ist Abend, das Nichts
rollt seine Meere zur Andacht,
das Blutsegel hält auf dich zu.
Trocken, verlandet
das Bett hinter dir, verschilft
seine Stunde, oben,
beim Stern, die milchigen
Priele schwatzen im Schlamm, Steindattel,
unten, gebuscht, klafft ins Gebläu, eine Staude
Vergänglichkeit, schön,
grüsst dein Gedächtnis.
(Kanntet ihr mich,
Hände? Ich ging
den gegabelten Weg, den ihr weisst, mein Mund
spie seinen Schotter, ich ging, meine Zeit,
wandernde Wächte, warf ihren Schatten - kanntet ihr
mich?)
Hände, die dorn-
umworbene Wunde, es läutet,
Hände, das Nichts, seine Meere,
Hände, im Ginsterlicht, das
Blutsegel
hält auf dich zu.
Du
du lehrst
du lehrst deine Hände
du lehrst deine Hände du lehrst
du lehrst deine Hände
schlafen.
Revue « Akzente, Février 1958 »
Carl Hanser Verlag, Munich (Allemagne), 1958
Poème précédant en allemand :
Wolfdietrich Schnurre : Messages clandestins, poèmes 1945 – 1956 / Kassiber, gedichte 1945 – 1956 (II) (28/11/2016)
Poéme suivant en allemand :
Raoul Schrott (1964 - ) :Une histoire de l’écriture III / Eine Geschichte der Schrift III (01/01/2017)