Paul Celan (1920 – 1970) : Port / Hafen
Paul Celan | © NC Mallory / Flickr
Port
Guéri-meurtri - : où,
si tu étais comme moi, bourlinguant
- valdingué en tous sens rêvé
par des cols de flacons de schnaps à la
table des putains
- lance comme il faut
les dés de mon bonheur. Toison de mer,
pelle un bon tas de la vague qui me porte, Noir-juron,
fraie-toi la route
dans le ventre le plus brûlant,
Plume-chagrin de glace -,
où
ne
viendrais-tu pas t’allonger avec moi, et même
sur les bancs
chez la mère Clausen, elle
sait bien pardi combien de fois je t’ai
fait monter tout mon chant jusqu’en la gorge, heidideldu,
comme l’aulne bleu myrtille
du pays avec tout son feuillage,
heidudeldi,
tu m’entends,
comme la flûte astrale
de par-delà la crête du monde – là aussi
nous avons nagé, nus de nus, nagé,
avec le vers d’abîme sur
le front écarlate – l’or
toujours embrasé dedans à flux
profond se creusait
ses passages vers le haut -,
ici
voilure toute parée de cils,
un souvenir aussi est passé, lentement
les flammes ont sauté sur l’autre bord, et sé-
parées, entends-tu
séparées sur les deux
gabarres de mémoire
bleu-noires,
mais aujourd’hui encore poussées
par le mille-bras
dans lequel je te tenais,
naviguent, longeant des bouges au Jet d’Etoile,
nos bouches toujours ivres-abreuvées, et buvantes,
et d’un monde à côté – pour ne parler que d’elles –
jusqu’à ce que là-bas, à l’horloge du clocher vert de temps
la rétine, la peau-cadran sans un bruit
se décolle – dock de délire,
flottant, devant lequel
blanches-monde de
rebut, les lettres
des grandes grues écrivent un
antinom, c’est sur lui
que grimpe tout là-haut, pour le saut de la mort, le
chat courant, le palan mobile existence,
c’est lui
qu’après minuit la pelleteuse
des phrases assoiffées de
sens excave entièrement,
c’est vers lui
que le péché neptunien lance
son câble de remorque couleur de schnaps,
au milieu de bouées sonores d’amour dodéca-
phonique
- poulie de puits, jadis, c’est avec toi
que ça chante
dans le chœur qui n’est plus continental –
arrivent les bateaux -phares en dansant,
de très loin, d’Odessa.
la marque de flottaison basse
qui s’enfonce avec nous, fidèles à notre chargement,
nous mire-espiègle tout ça
vers le fond, vers le haut et – pourquoi pas ? guéri-meur-tri, où, si –
vers nous et loin de nous et vers nous
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
in, Paul Celan : « Choix de poèmes, réunis par l’auteur »
Editions Gallimard (Poésie), 1998
Du même auteur :
Fugue de mort / Todesfuge (01/12/2014)
Strette / Engfürhrung (01/12/2015)
Matière de Bretagne (01/12/2016)
Le Menhir (01/12/2017)
« Voix... / Stimmen... » (01/12/2018)
Psaume / Psalm (01/12/2019)
Eloge du lointain / Lob der Ferne (01/12/2020)
« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)
« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)
Hafen
Wundgeh
eit : wo-,
wenn du wie ich wärst, kreuz-
und quergeträumt von
Schnapsflaschenhälsen am
Hurentisch
- würfel
mein Glück zurecht, Meerhaar,
schaufel die Welle zuhauf, die mich trägt, Schwarzfluch,
brich dir den Weg
durch den heißesten Schoß,
Eiskummerfeder -,
wo –
hin
kämst du nicht mir zu liegen, auch
auf die Bänke
bei Mutter Clausen, ja sie
weiß, wie oft ich dir bis
in die Kehle hinaufsang, heidideldu,
wie die heidelbeerblaue
Erle der Heimat mit all ihrem Laub,
heidudeldi
du, wie die
Astralflöte von
jenseits des Weltgrats – auch da
schwammen wir, Nacktnackte, schwammen,
der Abgrundvers auf
brandroter Stirn – unverglüht grub
sich das tief-
innen flutende Gold
seine Wege nach oben -,
hier,
mit bewimperten Segeln,
fuhr auch Erinnrung vorbei, langsam
sprangen die Brände hinüber, ab-
getrennt, du,
abgetrennt auf
den beiden blau-
schwarzen Gedächtnis-
schuten,
doch angetrieben auch jetzt
vom Tausend-
arm, mit dem ich dich hielt,
kreuzen an Sternwurf -Kaschemmen vorbei,
unsre immer noch trunknen, trinkenden,
nebenweltlichen Münder – ich nenne nur sie -,
bis drüben am zeitgrünen Uhrturm
die Netz-, die Ziffernhaut lautlos
sich ablöst – ein Wahndock,
schwimmend, davor
abweltweiß die
Buchstaben der
Großkräne einen
Unnamen schreiben, an dem
klettert sie hoch, zun Todessprung, die
Laufkatze Leben,
den
baggern die sinn-
gierigen Sätze nach Mitternach aus,
nach ihm
wirft die neptunische Sünde ihr korn-
schnapsfarbenes Schleppseil,
zwischen
zwölf-
tonigen Liebeslautbojen
- Ziehbrunnenwinde damals, mit dir
singt es im nich mehr
binnenländischen Chor –
kommen die Leuchtfeuerschiffe getanzt,
weither, aus Odessa,
die Tieflademarke,
die mit uns sinkt, unsrer Last treu,
eulenspiegel das alles
hinunter hinauf und – warum nicht ? wundgeheilt, wo-, wenn –
herbei und vorbeit und herbei.
Atemwende
Suhrkamp Verlag, Frankfurt, 1967
Poème précédent en allemand :
Wolfdietrich Schnurre: Nouveaux poèmes 1965 – 1979 (II) / Neue Gedichte 1965 – 1979 (II) (28/11/2022)
Poème suivant en allemand :
Oskar Kokoschka : Les garçons qui rêvent / Die träumenden Knaben (03/12/2022)