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Le bar à poèmes
9 mars 2015

Yann-Fulub Follet (1960 - ) : « J’allais, mon ombre était la peur… »

Breche-Lune-Livre-979100104_ML[1]

III

J’allais, mon ombre était la peur

 

(il nous fallait marcher

par ces chemins creux

des mauvaise saisons ;

les ronces,

prisonnières des talus

et des sombres ornières

tordaient les pieds

dans les sabots,

écorchaient le visage

les mains étaient devenues

bleu nuit,

le givre brouillait

le regard et rougissait le nez

la mort nous guettait

à chaque fossé,

à chaque douve

au détour des barrières de bois

et des grillages,

derrière chaque arbre

était tendu ce fil

qui donnait de l’élan

à celui qui s’y prenait

les jambes et celui-là

risquait de tomber

 

Les champs étaient froids

des rosées successives

et toutes les herbes

déjà meurtries

par la hargne du vent

croulaient sous le poids des eaux

même légères

 

surgissait le soleil

humide, timide

quand, au fond des flaques

des routes

brillaient les lueurs mauves

de l’aube ;

et voici que s’ouvrait la terre

aux parfums de l’hiver ;

elle se dérobait

doucement sous les pas

 

la brume riait

de me savoir perdu,

et moi de croire alors

que la neige ne tarderait plus

à celer l’espace

et les guérets

mais les rares feuilles

ne frissonnaient pas encor

et les vieilles maisons

obscures,

par-delà les fougères,

ne mouraient que de leur abandon

 

à l’ouest du pays,

il y avait toujours

l’estuaire étranglé

entre les collines étrangères

et l’horizon

qui n’en finissait pas ;

à l’est encor

les mêmes bois austères

aux sentiers de ténèbres

s’enfonçant vers des lisières

cachées de chemin de demi-lune

aux anciens lavoirs

pas une âme

 

des yeux,

j’aurai voulu te prier

de m’accompagner

je craignais de suffoquer,

mais ce n’était qu’un rêve,

je craignais de ne pas trouver

mon enfance

mais ce n’était qu’imaginaire

 

il y eut la peur,

il y eut un cri,

il y eut la peur du choc ;

et je dérivais

 

chaque pas était un malaise

et la route était empierrée

de mille pas

je m’ennuyais,  amer

à trainer derrière moi

la quête d’un passé de fluide tristesse

et à l’intérieur,

une angoisse sourde

qui m’anéantissait ;

avais-je bien fait

de vouloir retourner là-bas

 

et je souffrais

de la crainte de ne pas

arriver avant les neiges

et du désir presque de ne jamais

arriver du tout :

ne saisir là qu’usure et habitude

 

il nous faudrait prendre ces routes délavées

qui mènent à des grilles

et des portails,

puis à de grandes allées

comblées de feuilles rousses

et de silence brun clair

qui craque sous les pas

 

il nous faudrait prendre ces routes

où l’on a à se perdre,

où tout voltige à notre passage,

où l’on se souvient seulement alors

avoir perdu connaissance

 

mais ce ne serait qu’un rêve

dans un rêve,

et le chemin était bien étroit

et le temps plus long que nous,

menaient-ils même à

 

à tout dire,

j’ai pensé à tout cela

qu’est encore notre vie

faite d’instants et d’heures

et je tremble qu’il n’y ait

l’oubli

à quoi me servirait-il d’écrire

que j’étais fatigué

de cette route et de ma tristesse incessante

 

la pluie venait

de balayer la route

nette et noire

riveraine des cultures nues,

frontières d’une lande

épaisse et jaune ;

route croisait une autre route,

nulle pancarte

ne partageait

l’espace insonore

de ce pays de l’inachevé

 

or,

au lointain des souvenirs,

j’aperçus des toits

et même une tour

à moins que ce ne fût

un hêtre, un peuplier

 

tout se confond et s’évapore

la côte annonçait un virage

et il ne fallait pas le manquer

car c’était celui de la vie

 

derrière la butte,

c’était plein de couleurs,

de bonheurs et de fleurs,

c’était là le château,

le château de la très belle enfance

 

il y avait   aux abords du domaine

des hortensias mauves,

blancs et bleus

et des rhododendrons ;

je voulais visiter sans doute était-ce interdit ;

je demeurais alors,

les yeux me brûlaient

de les avoir trop écarquillés,

la tête me tournait

d’avoir trop marché ;

je ne me trompais point,

c’était bien dans cette trouée d’or

que se dissimulait

le souvenir

après lequel

 

 

brèche-lune,

Le Diben, mai 1982 / Le Pant, janvier 1983,

Aber-diffusion, Morlaix, 1984

Commentaires
S
Bonjour , Je trouve par hasard votre publication de 2015 sur Yann-Fulub Follet : « J’allais, mon ombre était la peur… » . Je ne connaissais que les Lettres de Carélie trouvées chez un bouquiniste , sans rien savoir de leur auteur : les Lettres de Carélie sont donc une pure fiction poétique écrite par un poète de 20 ans (recueil publié en 1981) ? Et ce nom était-il un pseudonyme (car celui de Jean-Pierre L'esprit apparait également dans les ventes de livres d'occasion ? Cordialement
Répondre
J
Guettons donc de concert!
Répondre
J
Yann-Fulub Follet est un vrai poète. Ou l'était? J'ai un peu approché des milieux littéraires bretons, moi qui ai publié dans les numéros impairs de l'antique revue BRETAGNES, et je n'ai pas entendu parler de lui. Je suis tombé par hasard sur les Lettres de Carélie. J'y reviens périodiquement, naturellement. Que devient-il? Que fait-il surtout? Écrit-il? Qui me répondra me fera plaisir!<br /> <br /> Jean-Marcel Leduc. jmarcel.leduc@gmail.com
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