Yann-Fulub Follet (1960 - ) : « J’allais, mon ombre était la peur… »
III
J’allais, mon ombre était la peur
(il nous fallait marcher
par ces chemins creux
des mauvaise saisons ;
les ronces,
prisonnières des talus
et des sombres ornières
tordaient les pieds
dans les sabots,
écorchaient le visage
les mains étaient devenues
bleu nuit,
le givre brouillait
le regard et rougissait le nez
la mort nous guettait
à chaque fossé,
à chaque douve
au détour des barrières de bois
et des grillages,
derrière chaque arbre
était tendu ce fil
qui donnait de l’élan
à celui qui s’y prenait
les jambes et celui-là
risquait de tomber
Les champs étaient froids
des rosées successives
et toutes les herbes
déjà meurtries
par la hargne du vent
croulaient sous le poids des eaux
même légères
surgissait le soleil
humide, timide
quand, au fond des flaques
des routes
brillaient les lueurs mauves
de l’aube ;
et voici que s’ouvrait la terre
aux parfums de l’hiver ;
elle se dérobait
doucement sous les pas
la brume riait
de me savoir perdu,
et moi de croire alors
que la neige ne tarderait plus
à celer l’espace
et les guérets
mais les rares feuilles
ne frissonnaient pas encor
et les vieilles maisons
obscures,
par-delà les fougères,
ne mouraient que de leur abandon
à l’ouest du pays,
il y avait toujours
l’estuaire étranglé
entre les collines étrangères
et l’horizon
qui n’en finissait pas ;
à l’est encor
les mêmes bois austères
aux sentiers de ténèbres
s’enfonçant vers des lisières
cachées de chemin de demi-lune
aux anciens lavoirs
pas une âme
des yeux,
j’aurai voulu te prier
de m’accompagner
je craignais de suffoquer,
mais ce n’était qu’un rêve,
je craignais de ne pas trouver
mon enfance
mais ce n’était qu’imaginaire
il y eut la peur,
il y eut un cri,
il y eut la peur du choc ;
et je dérivais
chaque pas était un malaise
et la route était empierrée
de mille pas
je m’ennuyais, amer
à trainer derrière moi
la quête d’un passé de fluide tristesse
et à l’intérieur,
une angoisse sourde
qui m’anéantissait ;
avais-je bien fait
de vouloir retourner là-bas
et je souffrais
de la crainte de ne pas
arriver avant les neiges
et du désir presque de ne jamais
arriver du tout :
ne saisir là qu’usure et habitude
il nous faudrait prendre ces routes délavées
qui mènent à des grilles
et des portails,
puis à de grandes allées
comblées de feuilles rousses
et de silence brun clair
qui craque sous les pas
il nous faudrait prendre ces routes
où l’on a à se perdre,
où tout voltige à notre passage,
où l’on se souvient seulement alors
avoir perdu connaissance
mais ce ne serait qu’un rêve
dans un rêve,
et le chemin était bien étroit
et le temps plus long que nous,
menaient-ils même à
à tout dire,
j’ai pensé à tout cela
qu’est encore notre vie
faite d’instants et d’heures
et je tremble qu’il n’y ait
l’oubli
à quoi me servirait-il d’écrire
que j’étais fatigué
de cette route et de ma tristesse incessante
la pluie venait
de balayer la route
nette et noire
riveraine des cultures nues,
frontières d’une lande
épaisse et jaune ;
route croisait une autre route,
nulle pancarte
ne partageait
l’espace insonore
de ce pays de l’inachevé
or,
au lointain des souvenirs,
j’aperçus des toits
et même une tour
à moins que ce ne fût
un hêtre, un peuplier
tout se confond et s’évapore
la côte annonçait un virage
et il ne fallait pas le manquer
car c’était celui de la vie
derrière la butte,
c’était plein de couleurs,
de bonheurs et de fleurs,
c’était là le château,
le château de la très belle enfance
il y avait aux abords du domaine
des hortensias mauves,
blancs et bleus
et des rhododendrons ;
je voulais visiter sans doute était-ce interdit ;
je demeurais alors,
les yeux me brûlaient
de les avoir trop écarquillés,
la tête me tournait
d’avoir trop marché ;
je ne me trompais point,
c’était bien dans cette trouée d’or
que se dissimulait
le souvenir
après lequel
…
brèche-lune,
Le Diben, mai 1982 / Le Pant, janvier 1983,
Aber-diffusion, Morlaix, 1984