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Le bar à poèmes
8 mars 2015

Miyazawa Kenji /宮沢 賢治 (1895-1933) : Le matin de la séparation

Miyazawa_Kenji[1]

Le matin de la séparation

 

Aujourd’hui même,

tu t’en vas très loin, ô ma sœur !

il tombe de la neige fondue et dehors il règne une clarté étrange.

                    (Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Des nuages mornes et rougeâtres

la neige fondue tombe en flocons détrempés.

                    (Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Pour recueillir de la neige que tu vas manger,

dans ces deux bols ébréchés

aux dessins de feuilles de lotus

j’ai fait  un saut dans cette grisaille de neige fondue

comme une balle déviée.

                    (Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Des obscurs nuages couleur de plomb

une neige fondue s’effondre en flocons détrempés.

O Toshiko,

maintenant, quand la mort t’emporte

tu me demandes

un bol de neige si fraîche

pour illuminer toute ma vie.

Merci, petite sœur courageuse,

Moi aussi, j’avance tout droit.

                    (Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Essoufflée avec cette fièvre intense

tu m’as demandé

un dernier bol de neige tombé de ce ciel,

appelé voie lactée, soleil ou atmosphère…

… Sur deux blocs de granit taillés

la neige fondue s’entasse tristement,

je me mets dessus en équilibre.

De cette branche de pin, lisse,

couverte de gouttes froides et transparentes

gardant la dualité de la neige et de l’eau,

je recueille la dernière nourriture

pour ma gentille petite sœur.

Tu dois aussi dire adieu

à ce dessin bleu indigo des bols

qui nous était familier pendant notre enfance.

(moi, de mon côté, je vais seule)

aujourd’hui tu vas vraiment nous quitter.

O, sœur courageuse

pâle et douce comme enflammée

derrière le paravent sombre

dans cette chambre close.

Où recueillir le bloc de neige ?

tout est trop blanc.

Du ciel trouble et effrayant,

est venue cette neige si sereine

                    (à ma prochaine naissance

                     je voudrai ne pas souffrir

                     seulement pour moi)

Cette neige que tu vas manger,

 

je souhaite de tout mon cœur

qu’elle se transforme en nourriture céleste

et qu’elle vous apporte à toi et aux autres

une substance sacrée.

Je le souhaite aux dépens de mon bonheur.

 

Traduit du japonais par Nao.yuki Sawada

In Revue «  Vagabondages, N° 77, Janvier/ Février/Mars1990 »

Association  Paris -Poète  

 

Du même auteur :

Le printemps et le démon Asura (08/03/2016)

Aiguilles de pin (08/03/2017)

Danse du sabre au village de Haratai (08/03/2018)

 

 

 

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