Hervé Carn (1949 - ) : La brûlure
La Brûlure
A Aurore Scotet
La brûlure du ciel et des vents
Caresse le papier par la main
Et viennent alors dans la rétine
De longues séances de nuit
Des plongées dans les ors
De ma mémoire
Dans les troubles remous
Des eaux mortes
La noirceur roule au fond du corps
En durs outils
Le noir s’en détache comme l’âme du corps
Il n’y aura jamais plus d’ombre dans le noir
Le noir comble le temps
Il est le comble de la lumière
La déchirure se voit et s’entend
Elle est une apparition du vent
Lorsqu’elle accélère le temps
Elle peut devenir un tourbillon
De danse de beauté de souffle
Si on n’y prend garde
Elle enfonce le vent dans la chair
Alors commence la putréfaction
De la lumière
L’abandon du geste des choses
Suspend toujours le regard
Il rompt la ligne de vie
De la paume de la main
Parfois il découpe les choses
En leur donnant un châle
D’ombre et d’or
Il les dépose
En refaisant le monde
La relique donne l’espace au temps
Ou du temps à l’espace
Elle se pose s’impose
Demeure dans la châsse
Des futures fascinations
Elle renie l’adhésion au monde
Au profit de la buée
Des vieilles lèvres
De la désespérance
La trace use le temps
Elle précipite le souvenir dans les choses
Elle précède l’oubli ou le réconforte
Quand il n’y a plus d’être au monde
Qui puisse recouvrir de sciure
Le sang filé de la blessure
Le trou est dans les choses
Dans les hommes dans la femme
Le trou des couleurs affronte la violence
Dans les éclaboussures de chair
Il s’enfonce dans le désir
Refuse son comblement
L’aboli blablate bourlingue
Branlant les babines
Il coule le long des murailles
Enferme les empreintes
Roucoule dans les vents contraires
L’évitement n’est pas seulement
La parade devant la mort
La porte se referme devant
Et malgré lui
Il est le pur esprit de la lumière
Ou son linceul
L’ordalie tisonne les promesses
Et retient l’aveu
L’image et le mot
Sont des forces qui s’affrontent
Leur tension fascine
Leurs suspens ravive le corps
Jusqu’aux larmes de cendre
SIGNE
Ce signe oui ce signe
Que tu fais chaque jour
En moi hors de moi
Dans mes yeux dans l’air
Qui glisse sur mes yeux.
Ce signe n’est pas sûr
De lui-même
Il désagrège son sens
Je suis si loin de lui
Quand il naît
Il n’est de certitude jamais
Quand se tracent ses paillettes
En éclatements secs
Comme les pétales de l’été
Il faut attendre dit-on
Debout à la fenêtre
Guetteur des bruits des sons
Des parfums que le vent
Eparpille autour de moi
Oui il faut attendre
Maîtriser la hâte
Dans l’agacement
Du regard perdu
Les femmes battent le linge
Dans la cahute de la mare
Elles sont à genoux jupes
Retroussées sur les chairs
Les femmes battent toujours
Le linge trempé dans l’eau
Verte qui goutte des blessures
De la pureté visible
Il faut attendre dit-on
Debout à la fenêtre
Le corps relâché
Avant l’évanouissement
Ou la rage qui monte
Attendre reccueillir
Les cristaux du verbe
Capter les embellies
Comme le nuage vient
Toucher la pointe de l’île
Ce signe que je rêve
De tonnerre et de feu
D’un cri de bête qu’on écorche
Ce signe qui a lieu sans évènement
Me détourne de moi-même
Peut-être est-ce mieux ainsi
MELANCOLIE DE JUILLET
(En pensant à Stefan George)
Tu ne sais rien d’Henriette
Moi guère non plus il faut le dire
Je l’ai vue il y a des années
Dans les forêts joyeuses
Des pâques de l’Est
Quand la neige s’accroche à la terre
Avant de filer dans les rus
En une eau vive
Elle marchait avec un type
Qui était trop pressé
Qui se retournait sur Henriette
La hélait la bousculait
Et le corps d’Henriette
Se penchait vers la terre
Puis ses jambes se hissaient
Se juchaient sur les branches
Dans le clair-obscur des lisières
Je suivais Henriette
Elle ne me voyait pas
Mais elle souriait à mon ombre
Henriette était là depuis si longtemps
Que l’attente avait rongé son désir
Et qu’elle humait mon seul souvenir
Dans l’air de ce printemps gelé
Henriette me visite souvent
Dans mes songes de l’Ouest
Quand le ciel de traîne
Se précipite du couchant
Et je pense à Henriette
Dans ses forêts profondes
Jetées sur la montagne
Après tout nous sommes ainsi
Loin des âmes sans couleurs
Dans un tumulte intime
Qui nous fait pencher
Tantôt vers la joie
Tantôt vers le chagrin
Dans le déséquilibre du langage
Que malgré notre modestie
Nous ne laisserons pas fondre
En pièces de monnaie
Je viens de revoir Henriette
Ou fut-ce une image d'Henriette
Escortée d'hommes en armes
Et d'une foule en émoi
Pour une journée de fête
Henriette a déposé à mes pieds
Une fleur de rosée
A poursuivi son action de grâce
Dans les sons des tambours
Et des fifres
Et toujours Henriette
S’enfonce dans les forêts
Avant de renaître en oiseau
Dans les marches des songes
Et des vers emportés
Au rythme joyeux des musiques
Dans les longs rubans des poèmes
Qui fouettent en gonfanons
LA NUDITE
Les deux maisons qui comptent
Ne sont pas dans ce livre
Dans la ville dans ma ville
Elles s’effacent de la page
Et ne vivent qu’en moi
Comme le corps de la femme
Parti en buée
Dans le gel des grands froids
Quand s’enfoncent les traits durs
Des rêves de sang
La nudité de la femme
A jamais s’envole
Au milieu des oiseaux
S’abat en pluie noire
Se couche en draps blancs
Se colle au vent de tempête
S’accroche aux rapides
En nappes de suies
Elle est l’impalpable
De l’interminable regard
La nudité est un signe
Ou une attente de l’être
Nu d’avoir cheminé un jour
Dans l’ascèse volontaire
La nudité est la musique
Du corps quand il est loin
Une trace humide dans l’air
Un parfum jeté sur le sol
Elle est encore plus loin
Que le monde
Même en tordant le col
L’esprit ne la peut percevoir
Elle est si cruelle
Qu’on la dit sauvageonne
Ou fée ou sorcière
Plongée dans les mers
Retirée dans les terres
Demeure le vide
Les tremblements
Les fausses espérances
Les nombreux tourments
La lessive du jour
Qui penche au balcon
L’impossible étreinte
Suspend l’immobile
Comme les corps sans corps
Des deux maisons qui comptent
PELIQUIEROS
A Emilio Arauxo
On efface le nom
On efface la voix
On efface la face
Qui demeure celle
Qui chevauche le rêve
Les corps dissimulés
Sont devenus les mêmes
Dans la masse dansante
Sautillante claudicante
Des rangs d’insectes
Aux teintes défuntes
Aux couleurs de l’horreur
Les fléaux dans les mains
Sautent vers le ciel
Les grelots simulent
Les bêtes qui paissent
Les coiffes sauvages
Rappellent d’où vient l’homme
Broderies et cotons
Fruits intouchables
Soies féminines
Jupons enturbannés
Mollets fins de dentelles
Sont les épaves
Oubliées du temps
Que la danse ajuste
Dans un geste de luxure
Le masque nasique
Tiré sur la peau
Nouvelle et morte
Précipite le crâne
Vers la terre
On sait que du bâton
Les jambes dans le regard
Il frappe les jupes
Les jambes qui ont fait
L’homme debout
La femme couchée
Le masque fait venir
Le cri dans le silence
L’oublié dans l’appris
La femme dans l’homme
L’animal dans la ville
La beauté dans la laideur
UN VISAGE
A Patrick Mouze
Vous ne savez pas
Pourquoi tôt le matin
Il se glisse chez vous
Vous commande
Le journal le café
Vous le savez sans doute
Cet homme de passage
Dont on ne sait plus le nom
Loge dans une maison
En ruine et parle du ciel
Vous voyez cet homme
Ni beau ni laid
Vêtu comme il faut
Démodé et discret
Il semble ici égaré
Vous croyez que l’automne
Qui meurtrit toute chose
Attire cet homme
Vers les monts les marais
Vers les gisants de l’hiver
Vous croyez que son geste
Quand il jette la monnaie
Est celui de l’usure
Déposée par les cieux
Pour reprendre votre âme
Vous demandez
Qui est cet homme
On vous répond à côté
On parle de son aïeul
La voix rauque tout à coup
Il surgit au jour levé
Il ne prévient pas
Il pose ses coudes
Sur le comptoir
A la même place
Il vous regarde
Sans vous regarder
Vous partagez avec lui
Un moment de silence
Vous le regardez
Un été il vous a vue nue
Sur la plage de canicule
Vous avez ouvert les cuisses
Vous avez senti son regard
Brûlant comme le fanal
Vous l’avez aimé
Vous l’avez attendu
Nuit après nuit
Jour après jour
Il est reparti sans un mot
Vous ne savez pas
Pourquoi tôt le matin
Il partage un peu d’air
Quand il revient
Dans la maison en ruine
Il pourrait vous dire
Qu’il attend votre sourire
Cette blessure mouillée
De déesses des vieux mythes
Des peintures solaires
Il pourrait vous dire
Que votre peau irradie
Des lueurs mauves
Des flammes de l’enfer
Que vous toucher
Serait mettre en péril
Toute la richesse
Des mots qui s’accrochent
Dans le rêve de votre croupe
Dansante et dure
A votre voix pointue
Marqué par la langue
Mourante des mères
Il ne dira rien
Repartira pour longtemps
Avant de renaître un jour
Sous l’aile de l’oiseau
Dans la caresse du vent
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Mélancolie de Juillet
(en pensant à Stefan George)
(autre version)
Tu ne sais rien d’Henriette
Mon cher Gérard (*)
Moi guère plus il faut le dire
Je l’ai vue il y a des années
Dans les forêts joyeuses
Des Pâques de l’Est
Quand la neige s’accroche à la terre
Avant de filer dans les rus
En une eau vive
*
Elle marchait avec un type
Qui était trop pressé
Qui se retournait sur Henriette
La hélait la bousculait
Et le corps d’Henriette
Se penchait vers la terre
Puis ses jambes se hissaient
Se juchaient sur les branches
Dans le clair-obscur des lisières
*
Je suivais Henriette qui ne me voyait pas
Mais qui souriait à mon ombre
Je savais qu’Henriette était là
Depuis si longtemps à m’attendre
Que l’attente avait rongé son désir
Et qu’elle humait mon seul souvenir
Dans l’air de ce printemps gelé
*
Mon cher Gérard
Henriette me visite souvent
Dans mes songes de l’Ouest
Quand le ciel de traîne
Se précipite du couchant
Et je pense à Henriette
Dans les forêts profondes
Perchées sur la montagne
*
Après tout nous sommes ainsi
Loin des âmes sans couleurs
Dans un tumulte intime
Qui nous fait pencher
Tantôt vers la joie
Tantôt vers le chagrin
Dans le déséquilibre du langage
Que malgré notre modestie
Nous ne laisserons pas fondre
En pièces de monnaie
*
Et toujours mon cher Gérard
Henriette s’enfonce dans les forêts
Avant de renaître en oiseau
Dans les marches des songes
Et des vers emportés
Au rythme joyeux des musiques
Dans les longs rubans des poèmes
Qui fouettent en gonfanons
(* ) Le poète Gérard Le Gouic
Revue « Hopala, N°35, Octobre 2010- février 2011 », Brest
Du même auteur :
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Le bruit du galop (I) (07/03/2021)
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