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Le bar à poèmes
21 février 2015

Hervé Carn (1949 - ) : La brûlure

photo-herve-carn[1]

La Brûlure

A Aurore Scotet

 

 La brûlure du ciel et des vents

Caresse le papier par la main

Et viennent alors dans la rétine

De longues séances de nuit

Des plongées dans les ors

De ma mémoire

Dans les troubles remous

Des eaux mortes

 

La noirceur roule au fond du corps

En durs outils

Le noir s’en détache comme l’âme du corps

Il n’y aura jamais plus d’ombre dans le noir

Le noir comble le temps

Il est le comble de la lumière

 

La déchirure se voit et s’entend

Elle est une apparition du vent

Lorsqu’elle accélère le temps

Elle peut devenir un tourbillon

De danse de beauté de souffle

Si on n’y prend garde

Elle enfonce le vent dans la chair

Alors commence la putréfaction

De la lumière

L’abandon du geste des choses

 

Suspend toujours le regard

Il rompt la ligne de vie

De la paume de la main

Parfois il découpe les choses

En leur donnant un châle

D’ombre et d’or

Il les dépose

En refaisant le monde

 

La relique donne l’espace au temps

Ou du temps à l’espace

Elle se pose s’impose

Demeure dans la châsse

Des futures fascinations

Elle renie l’adhésion au monde

Au profit de la buée

Des vieilles lèvres

De la désespérance

 

La trace use le temps

Elle précipite le souvenir dans les choses

Elle précède l’oubli ou le réconforte

Quand il n’y a plus d’être au monde

Qui puisse recouvrir de sciure

Le sang filé de la blessure

 

Le trou est dans les choses

Dans les hommes dans la femme

Le trou des couleurs affronte la violence

Dans les éclaboussures de chair

Il s’enfonce dans le désir

Refuse son comblement

 

L’aboli blablate bourlingue

Branlant les babines

Il coule le long des murailles

Enferme les empreintes

Roucoule dans les vents contraires

 

L’évitement n’est pas seulement

La parade devant la mort

La porte se referme devant

Et malgré lui

Il est le pur esprit de la lumière

Ou son linceul

 

L’ordalie tisonne les promesses

Et retient l’aveu

L’image et le mot

Sont des forces qui s’affrontent

Leur tension fascine

Leurs suspens ravive le corps

Jusqu’aux larmes de cendre

 

 

SIGNE

Ce signe oui ce signe

Que tu fais chaque jour

En moi hors de moi

Dans mes yeux dans l’air

Qui glisse sur mes yeux.

Ce signe n’est pas sûr

De lui-même

Il désagrège son sens

 

Je suis si loin de lui

Quand il naît

Il n’est de certitude jamais

Quand se tracent ses paillettes

En éclatements secs

Comme les pétales de l’été

 

Il faut attendre dit-on

Debout à la fenêtre

Guetteur des bruits des sons

Des parfums que le vent

Eparpille autour de moi

Oui il faut attendre

Maîtriser la hâte

Dans l’agacement

Du regard perdu

 

Les femmes battent le linge

Dans la cahute de la mare

Elles sont à genoux jupes

Retroussées sur les chairs

Les femmes battent toujours

Le linge trempé dans l’eau

Verte qui goutte des blessures

De la pureté visible

 

Il faut attendre dit-on

Debout à la fenêtre

Le corps relâché

Avant l’évanouissement

Ou la rage qui monte

Attendre reccueillir

Les cristaux du verbe

Capter les embellies

Comme le nuage vient

Toucher la pointe de l’île

Ce signe que je rêve

De tonnerre et de feu

D’un cri de bête qu’on écorche

Ce signe qui a lieu sans évènement

Me détourne de moi-même

 

Peut-être est-ce mieux ainsi

 

 

MELANCOLIE DE JUILLET

(En pensant à Stefan George)

 

Tu ne sais rien d’Henriette

Moi guère non plus il faut le dire

Je l’ai vue il y a des années

Dans les forêts joyeuses

Des pâques de l’Est

Quand la neige s’accroche à la terre

Avant de filer dans les rus

En une eau vive

 

Elle marchait avec un type

Qui était trop pressé

Qui se retournait sur Henriette

La hélait la bousculait

Et le corps d’Henriette

Se penchait vers la terre

Puis ses jambes se hissaient

Se juchaient sur les branches

Dans le clair-obscur des lisières

 

Je suivais Henriette

Elle ne me voyait pas

Mais elle souriait à mon ombre

Henriette était là depuis si longtemps

Que l’attente avait rongé son désir

Et qu’elle humait mon seul souvenir

Dans l’air de ce printemps gelé

 

Henriette me visite souvent

Dans mes songes de l’Ouest

Quand le ciel de traîne

Se précipite du couchant

Et je pense à Henriette

Dans ses forêts profondes

Jetées sur la montagne

 

Après tout nous sommes ainsi

Loin des âmes sans couleurs

Dans un tumulte intime

Qui nous fait pencher

Tantôt vers la joie

Tantôt vers le chagrin

Dans le déséquilibre du langage

Que malgré notre modestie

Nous ne laisserons pas fondre

En pièces de monnaie

 

Je viens de revoir Henriette

Ou fut-ce une image d'Henriette

Escortée d'hommes en armes

Et d'une foule en émoi

Pour une journée de fête

Henriette a déposé à mes pieds

Une fleur de rosée

A poursuivi son action de grâce

Dans les sons des tambours

Et des fifres

 

Et toujours Henriette

S’enfonce dans les forêts

Avant de renaître en oiseau

Dans les marches des songes

Et des vers emportés

Au rythme joyeux des musiques

Dans les longs rubans des poèmes

Qui fouettent en gonfanons

 

 

LA NUDITE

Les deux maisons qui comptent

Ne sont pas dans ce livre

Dans la ville dans ma ville

Elles s’effacent de la page

Et ne vivent qu’en moi

Comme le corps de la femme

Parti en buée

Dans le gel des grands froids

Quand s’enfoncent les traits durs

Des rêves de sang

 

La nudité de la femme

A jamais s’envole

Au milieu des oiseaux

S’abat en pluie noire

Se couche en draps blancs

Se colle au vent de tempête

S’accroche aux rapides

En nappes de suies

Elle est l’impalpable

De l’interminable regard

 

La nudité est un signe

Ou une attente de l’être

Nu d’avoir cheminé un jour

Dans l’ascèse volontaire

La nudité est la musique

Du corps quand il est loin

Une trace humide dans l’air

Un parfum jeté sur le sol

 

Elle est encore plus loin

Que le monde

Même en tordant le col

L’esprit ne la peut percevoir

Elle est si cruelle

Qu’on la dit sauvageonne

Ou fée ou sorcière

Plongée dans les mers

Retirée dans les terres

 

Demeure le vide

Les tremblements

Les fausses espérances

Les nombreux tourments

La lessive du jour

Qui penche au balcon

L’impossible étreinte

Suspend l’immobile

Comme les corps sans corps

Des deux maisons qui comptent

 

 

PELIQUIEROS

A Emilio Arauxo

On efface le nom

On efface la voix

On efface la face

Qui demeure celle

Qui chevauche le rêve

 

Les corps dissimulés

Sont devenus les mêmes

Dans la masse dansante

Sautillante claudicante

Des rangs d’insectes

Aux teintes défuntes

Aux couleurs de l’horreur

 

Les fléaux dans les mains

Sautent vers le ciel

Les grelots simulent

Les bêtes qui paissent

Les coiffes sauvages

Rappellent d’où vient l’homme

 

Broderies et cotons

Fruits intouchables

Soies féminines

Jupons enturbannés

Mollets fins de dentelles

Sont les épaves

Oubliées du temps

Que la danse ajuste

Dans un geste de luxure

 

Le masque nasique

Tiré sur la peau

Nouvelle et morte

Précipite le crâne

Vers la terre

On sait que du bâton

Les jambes dans le regard

Il frappe les jupes

Les jambes qui ont fait

L’homme debout

La femme couchée

 

Le masque fait venir

Le cri dans le silence

L’oublié dans l’appris

La femme dans l’homme

L’animal dans la ville

La beauté dans la laideur

 

 

UN VISAGE

A Patrick Mouze

 

Vous ne savez pas

Pourquoi tôt le matin

Il se glisse chez vous

Vous commande

Le journal le café

Vous le savez sans doute

Cet homme de passage

Dont on ne sait plus le nom

Loge dans une maison

En ruine et parle du ciel

 

Vous voyez cet homme

Ni beau ni laid

Vêtu comme il faut

Démodé et discret

Il semble ici égaré

Vous croyez que l’automne

Qui meurtrit toute chose

Attire cet homme

Vers les monts les marais

Vers les gisants de l’hiver

 

Vous croyez que son geste

Quand il jette la monnaie

Est celui de l’usure

Déposée par les cieux

Pour reprendre votre âme

Vous demandez

Qui est cet homme

On vous répond à côté

On parle de son aïeul

La voix rauque tout à coup

 

Il surgit au jour levé

Il ne prévient pas

Il pose ses coudes

Sur le comptoir

A la même place

 

Il vous regarde

Sans vous regarder

Vous partagez avec lui

Un moment de silence

Vous le regardez

Un été il vous a vue nue

Sur la plage de canicule

Vous avez ouvert les cuisses

Vous avez senti son regard

Brûlant comme le fanal

 

Vous l’avez aimé

Vous l’avez attendu

Nuit après nuit

Jour après jour

Il est reparti sans un mot

Vous ne savez pas

Pourquoi tôt le matin

Il partage un peu d’air

Quand il revient

Dans la maison en ruine

 

Il pourrait vous dire

Qu’il attend votre sourire

Cette blessure mouillée

De déesses des vieux mythes

Des peintures solaires

 

Il pourrait vous dire

Que votre peau irradie

Des lueurs mauves

Des flammes de l’enfer

Que vous toucher

Serait mettre en péril

Toute la richesse

Des mots qui s’accrochent

Dans le rêve de votre croupe

Dansante et dure

A votre voix pointue

Marqué par la langue

Mourante des mères

 

Il ne dira rien

Repartira pour longtemps

Avant de renaître un jour

Sous l’aile de l’oiseau

Dans la caresse du vent

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Mélancolie de Juillet

(en pensant à Stefan George)

(autre version)

 

Tu ne sais rien d’Henriette

Mon cher Gérard (*)

Moi guère plus il faut le dire

Je l’ai vue il y a des années

Dans les forêts joyeuses

Des Pâques de l’Est

Quand la neige s’accroche à la terre

Avant de filer dans les rus

En une eau vive

*

Elle marchait avec un type

Qui était trop pressé

Qui se retournait sur Henriette

La hélait la bousculait

Et le corps d’Henriette

Se penchait vers la terre

Puis ses jambes se hissaient

Se juchaient sur les branches

Dans le clair-obscur des lisières

*

Je suivais Henriette qui ne me voyait pas

Mais qui souriait à mon ombre

Je savais qu’Henriette était là

Depuis si longtemps à m’attendre

Que l’attente avait rongé son désir

Et qu’elle humait mon seul souvenir

Dans l’air de ce printemps gelé

*

Mon cher Gérard

Henriette me visite souvent

Dans mes songes de l’Ouest

Quand le ciel de traîne

Se précipite du couchant

Et je pense à Henriette

Dans les forêts profondes

Perchées sur la montagne

*

Après tout nous sommes ainsi

Loin des âmes sans couleurs

Dans un tumulte intime

Qui nous fait pencher

Tantôt vers la joie

Tantôt vers le chagrin

Dans le déséquilibre du langage

Que malgré notre modestie

Nous ne laisserons pas fondre

En pièces de monnaie

*

Et toujours mon cher Gérard

Henriette s’enfonce dans les forêts

Avant de renaître en oiseau

Dans les marches des songes

Et des vers emportés

Au rythme joyeux des musiques

Dans les longs rubans des poèmes

Qui fouettent en gonfanons

 

 

(* ) Le poète Gérard Le Gouic

 

Revue « Hopala, N°35, Octobre 2010- février 2011 », Brest 

Du même auteur :

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

 l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

 Petits secrets (1) (07/03/2023)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

Georges Perros (1-7) (01/07/2024)

 

 

 

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