William Shakespeare (1564 – 1616) : « C’est quand mon œil est clos… » / "When most I wink..."
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C’est quand mon œil est clos qu’il voit le mieux encor :
Il regarde le jour choses dont il n’a cure
Mais se pose sur toi en rêve quand je dors
Et, clair obscurément, s’éclaire en l’ombre obscure.
O toi dont l’ombre donne aux ombres la clarté,
Quel régal donnerait de ton ombre la forme
Au jour clair, par tes feux bien plus clairs éclairé,
Quand luit si vivement ton ombre aux yeux qui dorment !
Quel comble pour mes yeux s’ils te voyaient ainsi
Au jour vivant, quand vient ta belle ombre imparfaite
Percer mon lourd sommeil en la mort de la nuit,
Et qu’alors sur mes yeux sans vue elle s’arrête !
Tous mes jours sont des nuits tant que je ne te vois,
Et mes nuits de clairs jours quand je rêve de toi.
Traduit de l’anglais par Jean Fuzier,
Editions Gallimard, 1959
C’est quand mes yeux sont le mieux clos, qu’ils voient le mieux,
Car durant tout le jour, ils regardent sans voir,
Mais quand je dors, en rêve, ils se tournent vers toi.
Leur nuit s’éclaire, où ta claire image les guide.
Or toi, dont l’ombre fait ainsi les ombres claires,
Qu’il serait doux à voir, ton corps, non plus son ombre,
Dans le grand jour, toi plus lumineux que le jour,
Si pour des yeux fermés ton fantôme rayonne !
Qui certes, que mes yeux auraient donc de bonheur
A se poser sur toi, aux feux vivants du jour,
Si dans l’inerte nuit ta belle ombre elle seule
Dans le pesant sommeil s’impose aux yeux aveugles.
Tous mes jours sont des nuits jusqu’au jour de te voir,
Jours clairs, les nuits où tu te montres dans mes rêves.
Traduit de l’anglais par Henri Thomas
In, "Oeuvres complètes de Shakespeare, Tome 7"
Editions Formes et Reflets, 1961
Quand je cille mes yeux, alors mes yeux voient mieux, car tout le jour ils
voient choses non absorbées ; mais quand je dors en rêve ils regardent vers toi,
et brillant sombres sont conduits brillants dans le sombre.
Et toi, dont l’ombre fait brillantes les ombres, comment ton ombre
formerait-elle heureuse forme au jour clair avec ta plus claire lumière, quand
aux yeux non voyants éclaire autant ton ombre !
Comment, dis-je, pourraient mes yeux être bénis en regardant vers toi dans
la vive journée, quand dans la morte nuit ta belle ombre imparfaite à travers
lourd sommeil se colle aux yeux fermés !
Tous les jours sont des nuits jusqu’à ce que je voie, et nuits de brillants
Jours où rêve te montre à moi.
Traduit de l’anglais par Pierre Jean Jouve
In, "Sonnets de Shakespeare"
Editions du Sagittaire (Club français du livre, 1955)
C’est quand ils sont fermés que mes yeux voient le mieux.
Car ce qu’ils voient au long du jour ne leur importe ;
Mais quand je dors, c’est toi qu’ils contemplent en rêve,
Et, brillant dans leur nuit, vers toi va leur lumière.
Mais toi, dont l’ombre peut rendre les ombres claires,
Ton corps, forme de l’ombre, quelle vision heureuse
Ce serait, éclairé de ta clarté la plus grande
En plein jour, puisqu’aux yeux aveugles ton ombre brille !
Quel bonheur, je me dis, ce serait pour mes yeux
De te voir resplendir au sein du jour vivant
Puisqu’en la nuit profonde ta belle ombre imparfaite
Hante mes yeux sans vue dans leur pesant sommeil !
Tous les jours me sont nuits quand je ne te vois point,
Et les nuits des jours clairs quand tu parais en songe.
Traduit de l’anglais par Robert Ellrodt
In, « William Shakespeare, Oeuvres complètes. Poésies »
Editions Robert Laffont (Bouquins), 2002
Je vois le mieux quand j’ai les yeux fermés
Car voir le jour, ce n’est pas vraiment voir.
Mais quand je dors, tu ouvres, mon aimé,
Mes yeux obscurs, illuminant le noir.
Et si ton ombre rend les ombres claires,
De quels feux peux-tu luire en plein midi.
Toi, rayonnant dans la pure lumière,
Qui même aux yeux aveugles irradies ?
Quelle bénédiction ce pourrait être
De voir au clair du jour tes yeux vivants
Quand ta belle ombre imparfaite fait naître
Dans les yeux morts un tel rayonnement !
Loin de tes yeux, mes jours ne sont que nuits,
Et mes nuits sont des jours dès que tu luis.
Traduit de l’anglais par André Markowicz et Françoise Morvan,
In, William Shakespeare : « Les sonnets »
Editions Mesures, 2023
Du même auteur :
« Lorsque quarante hivers… » /«When forty winters… » (02/02/2016)
« Quand je compte les coups du balancier... » / « When I do count the clock... » (09/09/2021)
Les yeux de mon amante... » / « My mistress' eyes... » (09/092022)
« Mon poème a menti... » / « Those lines that I before have writ do lie... » (09/09/2023)
« D’aucuns vantent leur nom.. » / « Some glory in their birth,... » (09/09/2024)
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When most I wink, then do mine eyes best see,
For all the day they view things unrespected;
But when I sleep, in dreams they look on thee,
And darkly bright, are bright in dark directed.
Then thou, whose shadow shadows doth make bright,
How would thy shadow's form form happy show
To the clear day with thy much clearer light,
When to unseeing eyes thy shade shines so!
How would, I say, mine eyes be blessed made
By looking on thee in the living day,
When in dead night thy fair imperfect shade
Through heavy sleep on sightless eyes doth stay!
All days are nights to see till I see thee,
And nights bright days when dreams do show thee me.
SHAKE-SPEARES / SONNETS / Never before imprimed
Thomas Torpe, 1609
Poème précédent en anglais :
Walt Whitman : Descendance d’Adam / Children of Adam (27/01/2015)
Poème suivant en anglais :
Jack Kerouac : Mexico City Blues (1er -2ème chorus / 1st–10th chorus) (08/02/2015)