Yannis Ritsos / Γιάννης Ρίτσος (1909 – 1990) : Le désespoir de Pénélope
Le désespoir de Pénélope
Ce n’est pas vrai qu’elle ne l’a pas reconnu dans la lumière de l’âtre ; ce n’était rien
les haillons du mendiant, le déguisement – non ; des signes évidents :
la cicatrice à son genou, la vigueur, la malice de l’œil. Effrayée,
appuyant son dos contre le mur, elle cherchait une excuse,
un sursis, un peu de temps encore, pour ne pas répondre
ne pas se trahir. C’est donc pour lui qu’elle avait dépassé vingt ans,
vingt ans d’attente et de rêve pour cet homme à la barbe blanche,
ce misérable, baigné de sang ? Elle se jeta sans voix sur une chaise,
regarda lentement les prétendants tués à terre comme si elle regardait
morts ses propres désirs. Et « Bienvenue » dit-elle,
et elle entendait lointaine, étrangère, sa propre voix. Son métier, au coin,
emplissait le plafond d’ombres grillagées ; et tous les oiseaux qu’elle avait tissés
de fils rouges brillants dans les feuillages verts, soudain,
en cette nuit du retour, tournèrent au gris de cendre et au noir,
et ils volaient bas sur le ciel plat de sa dernière patience .
21.IX.68
Traduit du grec par Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez
In, Yannis Ritsos « Pierres, Répétitions, Barreaux », Editions Gallimard, 1971
Du même auteur :
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