Derek Mahon (1941 - ) : Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc / Four walks in the country near St.-Brieuc
Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc
1. Matin
La création a du être quelque chose comme çà
un jour froid qui point sur les pierres muettes,
plus lent que le temps, spectaculaire par seule démesure.
D’abord les ténèbres et puis, savoir comment, la lumière :
celle-ci nous l’appelons le jour, l’autre, la nuit,
et nous guettons en vain la seconde où le soleil paraît.
Soudain, tout prêt, un sabot claque –
Une vielle femme parmi les formes premières
vaque dans le champ de lumière, sombrement vêtue.
Elle lance : « Bonjour », puisqu’il en est aussi de mauvais,
et regarde à terre. Elle en a vu dix mille
peut-être, de ces aubes ; çà ne l’impressionne plus.
2. L’homme et l’oiseau
Tous s’envolent à mon approche
comme ils le font depuis toujours
épient cachés dans le fourré
la sournoise intrusion de l’homme.
Malgré mon message sifflé,
je suis présumé malveillant ;
nul ne leur fait de mal ; pourtant,
la vieille peur est toujours là,
Ce qui heurte mon amour-propre,
métèque éclairé que je suis,
et rend plus vaste encor l’abîme
de leur monde à celui des hommes.
C’est bien excusable après tout :
nous les tirons sans préavis,
ou les moquons d’un cri d’oiseau
compris ni par eux ni par nous
3. Après Minuit
Ils m’encerclent dans le noir
Leurs griffes guettent le trublion endormi –
Bêtes des champs, oiseaux de l’air,
Leurs yeux bridés luisent partout.
Homme je suis, fils de mes œuvres,
Et n’ai plus rien à dire à ceux
Qui ont croisé mon enfance bourbeuse.
Nous avons tous grandi de notre mieux.
4. Exit Molloy
La fin venue, je sens les odeurs du printemps
Dans le fossé obscur où j’hiverne,
Et la petite ville est à un kilomètre
Heureuse et bête dans la lumière du jour.
Une cloche sonne doucement : je devrais pleurer
Mais j’ai les yeux fermés et le visage sec.
Je sui sans importance et il faudra mourir.
A proprement parler, je suis déjà mort,
Pourtant j’entends les oiseaux chanter au-dessus de ma tête.
Traduit de l’anglais par Denis Rigal
In, Derek Mahon « La veille de nuit. Choix de poèmes »,
Editions Folle Avoine, 1996
Du même auteur :
Portrait de l’artiste / A portrait of the artist (22/06/2020)
Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)
Les dieux bannis / The banished gods (22/06/2022)
l’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)
Image tirée de Beckett / An image from Beckett (22/06/2024)
Four walks in the country near St.-Brieuc
1. Morning
No doubt the creation was something like this –
A cold day breaking on silent stones,
Slower than time, spectacular only in size.
First there is darkness, then somehow light;
We call this day, and the other night,
And watch in vain for the second of sunrise.
Suddenly, near at hand, the click of a wooden shoe –
And old woman among the primaeval shapes
Abroad in the field of light, sombrely dressed.
She calls good-day, since there are bad days too,
And her eyes go down. She has seen perhaps
Then thousand dawns like this, and is not impressed.
2. Man and Bird
All fly away at my approach
As they have done time out of mind,
And hide in the thicker leaves to watch
The shadowy ingress of mankind.
My whistle-talk fails to disarm
Presuppositions of ill-will ;
Although they rarely come to harm
The ancien fear is them still.
Which irritates my amour propre
As an enlightened alien
And renders yet more wide the gap
From their world to the world of men.
So perhaps they have something after all –
Either we shoot them out of hand
Or parody them with a bird-call
Neither of us can understand.
3. After Midnight.
They are all round me in the dark
With claw-knives for my sleepy anarch –
Beasts of the field, birds of the air,
Their slit-eyes glittering everywhere.
I am man self-made, self made-man
No small-talk now for those who ran
In and out of my muddy childhood
We have grown up as best we could.
4. Exit Molloy
Now at the end I smell the smells of spring
Where in a dark ditch I lie wintering,
And the little town only a mile away
Happy and fatuous in the light of day.
A bell tolls gently ; I should start to cry
But my eyes are closed and my face dry.
I am not important and I have to die.
Strictly speaking I am alrealdy dead
But still I can hear the birds sing on over my head.
Poème précédent en anglais :
John Montague : Mer vineuse / Wine dark sea (25/10/2014)
Poème suivant en anglais :
Stephen Crane : La guerre est aimable / War is kind (26/12/2014)