Bernard Chambaz (1949 -) : 25 Décembre (2023)
Photo Catherine Hélie © Éditions Gallimard
25 Décembre 2023
Ô reviens
tu ou pas plutôt pas
(j’en ai peur)
mais reviens quand même
impromptue par cet envol
d’oiseaux et tulipes
lèvres propices aux baisers
je l’aurai tant aimé
et que ce soit pas possible en vrai
me broie le cœur
ou alors faire comme personne
« couronnez-moi
de feuillages brefs - c’est tout »
un dernier pouce de neige tombée
d’une evening violette
comme avant
et nager à l’envers parmi (les adieux)
Ô quel sens ça a
ça n’a pas d’aller à l’envers
dans ce radoub vermillon
où patiente la flotte
l’immensité de ce lot de virgules
que nous dispensons à notre gré
par un droit souverain
chèrement acquis
n’a pas d’autre sens
que ça
nager dans une recrudescence
d’étourneaux et d’azalées
mais c’est plus fort
que moi; que toi;
plus fort que e.e.
qui vient me rattraper par la manche
et on ne refuse pas les hasards
ni les baisers
comme à notre dernière heure
tes petits pieds
égyptiens
Ô ce serait comme
une bulle rien
d’un tombeau bien sûr
autant le répéter quand
même – et souffler légèrement
avec nos quatre poumons
pour qu’elle devienne
grande comme
la rivière Kwaï
où le soleil brille brille
oui juste un peu d’oxygène
et ce qu’il faut de vide pour tenir
dans le gros engouffrement de l’ univers
tout effondré car on s’y tient
malgré nous malgré
que la bulles on ne peut pas trop y croire
ou si
Ô tout est bon
à prendre même à travers
les larmes
n’importe quoi n’importe
quand pourvu
qu’on soit pas complètement mouru
un galop dans une forêt de pamplemousses
aller à chwal ou pas (à chwal)
comme notre Guidoriccio
ou Buffalo Bill
un deux trois quatre cinq « pigeons
justecommeça
Jésus »
tirer au dépourvu
encore j’entends encore s’il te plaît
et je ferai tout mon possible
même si ce n’est pas très intelligent
Ô je vois bien
que je fais le contraire absolument
de ce que j’avais affirmé
mais tu nous reviens
comme la flottille des petits bateaux
tombés du ciel
par surprise et mansuétude
vivante en quelque sorte
si vivre c’est pas complètement fini
tant que je suis là
à tirer les pigeons un deux trois quatre
ou à ouvrir mes bras
dans la fraîcheur du soir et attendre
ce moment « où l’immensité se taira »
avec des grands départs
de crépuscule
derrière notre mûrier platane tout nu
Ô comme
tu surviens – nue
chaque mot m’y ramène
innocence cuisses royaume
puis chaque geste en abîme
car l’un de nous deux
est resté pour dire cette splendeur qui fut
et le regret infini de qu’elle aura été
(nous avons trente ans ou quarante
ou cent cinquante à nous deux)
avec ton armada de tee-shirts
les deux petits faons
nos palpitations
le temps de nous embrasser
lentement
Ô ce n’est plus
comment repartir ni par où
recommencer
alors comment y revenir
ce jour de Noël sinon
par un traité de ponctuation
demandant à qui rendre grâce
puis où jeter les miettes aux moineaux
même si maintenant
c’est mon cœur qui est en miettes
je peux le voir voler
à Coney Island ou à Vladivostock
my most beautiful darling
mais qui saura voir ici les moineaux
et viendra me sauver
Ô par principe
ca n’en finit pas ou plutôt
ne devrait pas
en finir, Etc.,
je me recopie
et doucepluie et (avecjoie, comme il sied aux amants)
immortels
comme
si la joie pouvait survivre
à tout à ta disparition
à ce brin de désinvolture minutieuse
qui nous permet d’écrire
« je t’aime ma chérie toute belle »
duvet bourgeon lèvres
ou « j’embrasse-moi – (irai) »
avec ce mélange délicieux
de primevères et de dynamite
Ô descendons
je suis prêt mais comment
et où – exactement–
à l’aplomb des pyramides à la station
Balard qui reste
jusqu’ à preuve du contraire
la plus proche mais de quoi
de l’impossibilité où nous sommes
de glisser sur la luge
autrement qu’en poème
et fermer plus ou moins les yeux
sans savoir où elle s’arrêtera
ni quand – à l’inverse
la neige paraissait rose
dans la brièveté invraisemblable du monde
et;nous;vraiment;vivants;
c’était autre chose
Ô pourquoi
on a beau défier les lois du genre
et le bon sens considérer
que tout ça (ta présence comme
en creux) reste
tellement irréel
je n’ai pas oublié nos balades d’hier
dans l’allée des en-allés
car si nous sommes descendus
je ne sais pas vraiment où
puis remontés main dans la main
- ma reine –
c‘est parce que tu portes la couronne
comme personne
debout devant le bosquet de tamaris
où nous (toi;et;moi;)
avons nos habitudes singulières en juillet
Comment un cœur peut-il
Editions Unes, Nice, 2025
Du même auteur : Gisements, élémentaires (30/03/19)