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Le bar à poèmes
6 juin 2025

Bernard Chambaz (1949 -) : 25 Décembre (2023)

Photo Catherine Hélie © Éditions Gallimard

 

 

25 Décembre 2023

 

 

Ô reviens


tu ou pas plutôt pas


(j’en ai peur)


mais reviens quand même


impromptue par cet envol


d’oiseaux et tulipes


lèvres propices aux baisers


je l’aurai tant aimé


et que ce soit pas possible en vrai


me broie le cœur


ou alors faire comme personne


« couronnez-moi


de feuillages brefs - c’est tout »


un dernier pouce de neige tombée


d’une evening violette


comme avant


et nager à l’envers parmi (les adieux)

 

 


Ô quel sens ça a


ça n’a pas d’aller à l’envers


dans ce radoub vermillon


où patiente la flotte


l’immensité de ce lot de virgules


que nous dispensons à notre gré


par un droit souverain


chèrement acquis


n’a pas d’autre sens 


                      que ça


nager dans une recrudescence


d’étourneaux et d’azalées


mais c’est plus fort 


que moi; que toi;


plus fort que e.e.


qui vient me rattraper par la manche


et on ne refuse pas les hasards


                              ni les baisers


comme à notre dernière heure


tes petits pieds


égyptiens

 

 


Ô ce serait comme 


une bulle rien


d’un tombeau bien sûr


autant le répéter quand 


même – et souffler légèrement


avec nos quatre poumons


pour qu’elle devienne 


grande comme 


la rivière Kwaï


où le soleil brille brille


oui juste un peu d’oxygène


et ce qu’il faut de vide pour tenir


dans le gros engouffrement de l’ univers


tout effondré car on s’y tient


malgré nous malgré


que la bulles on ne peut pas trop y croire


ou si

 

 


Ô tout est bon


à prendre même à travers


les larmes


n’importe quoi n’importe


quand pourvu


qu’on soit pas complètement mouru


un galop dans une forêt de pamplemousses


aller à chwal ou pas (à chwal)


comme notre Guidoriccio


ou Buffalo Bill


un deux trois quatre cinq « pigeons


justecommeça


Jésus »


tirer au dépourvu


encore j’entends encore s’il te plaît


et je ferai tout mon possible


même si ce n’est pas très intelligent

 

 


Ô je vois bien


que je fais le contraire absolument


de ce que j’avais affirmé


mais tu nous reviens


comme la flottille des petits bateaux


                                  tombés du ciel


par surprise et mansuétude


vivante en quelque sorte


si vivre c’est pas complètement fini


tant que je suis là


à tirer les pigeons un deux trois quatre


ou à ouvrir mes bras


dans la fraîcheur du soir et attendre


ce moment « où l’immensité se taira »


avec des grands départs 


de crépuscule 


derrière notre mûrier platane tout nu

 

 

Ô comme 


tu surviens – nue


chaque mot m’y ramène


innocence cuisses royaume


puis chaque geste en abîme


car l’un de nous deux


est resté pour dire cette splendeur qui fut


et le regret infini de qu’elle aura été


(nous avons trente ans ou quarante


ou cent cinquante à nous deux)


avec ton armada de tee-shirts


les deux petits faons


nos palpitations


le temps de nous embrasser


lentement

 

 

Ô ce n’est plus


comment repartir ni par où


recommencer


alors comment y revenir


ce jour de Noël sinon


par un traité de ponctuation


demandant à qui rendre grâce


puis où jeter les miettes aux moineaux


même si maintenant 


c’est mon cœur qui est en miettes


je peux le voir voler


à Coney Island ou à Vladivostock


my most beautiful darling


mais qui saura voir ici les moineaux


et viendra me sauver

 

 


Ô par principe


ca n’en finit pas ou plutôt


ne devrait pas


en finir, Etc.,


je me recopie


et doucepluie et (avecjoie, comme il sied aux amants)


                                                                     immortels
comme 


si la joie pouvait survivre


à tout à ta disparition


à ce brin de désinvolture minutieuse


qui nous permet d’écrire


« je t’aime ma chérie toute belle »


duvet bourgeon lèvres


ou « j’embrasse-moi – (irai) »


avec ce mélange délicieux


de primevères et de dynamite

 

 


Ô descendons


je suis prêt mais comment


et où – exactement–


à l’aplomb des pyramides à la station


Balard qui reste


jusqu’ à preuve du contraire


la plus proche mais de quoi


de l’impossibilité où nous sommes


de glisser sur la luge


autrement qu’en poème


et fermer plus ou moins les yeux


sans savoir où elle s’arrêtera


ni quand – à l’inverse


la neige paraissait rose


dans la brièveté invraisemblable du monde


et;nous;vraiment;vivants;


c’était autre chose

 

 


Ô pourquoi


on a beau défier les lois du genre


et le bon sens considérer


que tout ça (ta présence comme


en creux) reste


tellement irréel


je n’ai pas oublié nos balades d’hier


dans l’allée des en-allés


car si nous sommes descendus


je ne sais pas vraiment où


puis remontés main dans la main


- ma reine – 


c‘est parce que tu portes la couronne


comme personne


debout devant le bosquet de tamaris


où nous (toi;et;moi;)


avons nos habitudes singulières en juillet

 

 

 

 

Comment un cœur peut-il


Editions Unes, Nice, 2025

 


Du même auteur : Gisements, élémentaires (30/03/19)

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