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Le bar à poèmes
1 juin 2025

Daniel Kay (1959 -) : L’atelier italien (2)

 

 

 

L’atelier italien

 

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UN REVE DE TITIEN

 

 

Sur des prairies vénitiennes 


des fentes roses et noires


signalaient parmi les chutes de reins


des croupes sculptées à l’ultraviolet ; 

 

 

Des nymphes au string jaune fluo


cueillaient sous leur jupes des violettes


en maudissant des faunes.

 

 

Sous un ciel rougi au fer


la Toscane et l’Ombrie


décochaient des guêpes peinturlurées


au seuil de nuits traversées de scooters.

 

 


MANIERES NOIRES


(sur un thème de Nicolas Poussin)

 

 

Non loin de Tivoli, entre les bornes et les tombes,


quand les derniers feux du jour dirigent leurs torches


vers le regard effrayé des aquafortistes,


la campagne passe une robe noire criblée d’éclairs


qui subjugue les bergers


et réchauffe la dépouille de Phocion

 

 

UNE ESTAMPE


(campagne romaine)

 

 

Quand le porte-bagages s’affaisse


sous le poids des lavis et des sanguines


il faut arrêter un temps la route.


On repense à Claude Gellée, dit Le Lorrain,


A Nicolas Poussin et aux fontaines romaines,


à la denture sombre des frondaisons


qui dépose peu à peu son ombre


sur la peau d’une Eurydice énamourée.


Alors dans le grand silence tendre et pourpre du soir


on entend un dernier train derrière les arbres.


C’est celui qui transporte jusqu’au matin les morts


qu’on retrouve sanglés dans leur toge de feuillages.

 

 

ESTAMPE


(scène de bataille)

 

 

Des feuilles d’airain et d’acanthe fondues au noir


dégorgeaient des lèvres des guerriers.


Entre lavis et aquatintes des héros esquissés à la hâte


dénonçaient sous des boucliers d’herbe violacée


la fatuité des faiseurs de tombeaux,


guetteurs de parfums suaves.


Ainsi on patientait avec des gestes rudes,


la bouche barbouillée de roses trémières.

 

 

Or le soir ityphallique pourrissait lentement sous les portiques.

 

 

PANNEAU D’UN RETABLE BAROQUE

 

 

Aux portes des cimetières


les cyprès broient le corps des défunts,


cyniques débaucheurs d’abîmes.


Quand le casque des soldats s’enfonce dans la terre de Sienne


la campagne resserre ses fibules sur des chemins ocre.

 

 

CARAVANE


(La Mort de la Vierge – Musée du Louvre)

 

 

Le carnet de commandes stipulait


en gros caractère l’exécution d’une dormition,


Transitus Beata Mariae Virginis, 


et non pas une Vierge en grande tenue d’Ophélie.


Or, à l’affût des flashes, la robe de bal ravivait dans le noir


le sang interminable et ébloui des noyés.

 

 

SIC TRANSIT

 

 

     Il restera de Rome quelques regrets couleur de l’indigo, une nostalgie 


bleutée d’être une dernière fois dans la douceur des choses, loin de toute


fureur extrême quand le monde s’énonce entre deux odes et que flambe 


dans la lumière soir quelque rare tombeau parmi les lyres, les arbres et les


vespas aux tendres relais d’apostasies.

 

 

     Tout paysage est un départ.

 

 

     La poussière de Rome sera notre dernière eau fraîche.

 

 


Giotto peint et repeint les dernier les rayons sur la roue,


accumule les auréoles et les stigmates


au cour d’un rêve giratoire


sous une grande pluie d’ondes Martenot.

 

 

ATELIER VENITIEN

 

 

     Les grandes toiles que l’on décroche les jours de lessive peuvent soudain 


cesser de représenter les saints, les soies,  les cendres, n’en déplaise au


Condottiere qui dessine avec application sur un coin de la nappe le corps


retrouvé de saint Marc.

 

 

CONCERT CHAMPËTRE


Et in Arcadia ego

 

 

     Sous l’ocre et le vert des monts de Vénétie un joueur de flûte et un joueur


de luth offrent une sérénade à des nymphes à la peau abricot. Langueur d’une


fin d’été lorsque menace l’orage et tombent les fruits vermeils. Rien ne vient


perturber la quiétude d’un souvenir de la lointaine Arcadie, pas même le


crissement à peine audible d’insectes roux qui mordillent les étoffes et


s’apprêtent à déchiqueter la colonne vertébrale. La campagne, elle, n’est


qu’un nu sans squelette qui n’échappera pas à la dévoration.

 

 

CYPRES


(souvenir du Quattrocento)

 

 

On les compte facilement


sur les doigts de la main


comme les douces colonnes


et les gestes de l’ange.


Elue entre toutes les femmes


elle écoute sous les antennes


les paroles inouïes  que n’entendent


ni les régents ni les astrophysiciens.


La nuit tombée, l’assistant qui a peint


les arbres sur la colline


s’endort gavé de fruits mûrs et de cyprès.

 

 

 

Vies silencieuses


Editions Gallimard, 2019

 


Du même auteur : 


Art poétique avec nature morte (09/09/2019)


Le bleu à l’âme (14/06/2021)


L’atelier du peintre (01/06/2022)


Un jardin de statues (01/06/2023)


L’atelier italien (1) (01/06/2024)
 

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