Jean Le Mauve (1939 – 2001) : Autoportrait d’un soir d’octobre
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Autoportrait d’un soir d’octobre
Mille regards ne se perdent, inverses ou inondés
du réel des branches.
Fait-il vrai de penser quand l’octobre remue
partout gonflé de feuilles
que c’est ma propre voix qui monte es vergers ?
Ce cheval gris sous les pommiers
luisait déjà sur mon enfance qui fut une belle galopade
de fruits pensifs dans les luzernes
à donner tête aux nuages
pour y trouver la preuve du passage des mères.
Tant de morts hésitent ; à peine la clôture a changé ;
Cheval, es-tu le fils du premier
ou lui-même rêvant debout derrière les haies
des juments fécondes des champs circulaires ?
Une lueur survit aux labours célestes
où j’éteins d’autres vérités.
Os barbouillés de terre ou luisantes comme un chiffre
les morts se reposent,
rognant avec ce qu’ils leur reste de dents
le reste de leur absence.
Moi je souris, je bois du rhum dans un bol
en regardant des fenêtres monter les femmes
et tomber les feuilles.
Ce soir d’octobre est ma prairie.
Faut-il pour être riche courir avec les portes
jusqu’aux arbres à rides animales
ou s’envoler dans une lampe à cœur d’oiseau ?
Dans l’œil de mon chien battent d’anciennes mers ;
la pêche y est miraculeuse
quand ma tête en octobre affole les fourchettes
et que des forêts trempent dans mon bol ;
une idée d’herbe haute menant la tendre vache
au tendre pré du ciel,
je lis où tout se lie ma vérité sonnante
dans l’angélus du cœur.
C’est l’heure où l’enfant joue à faire le tour
du soir à bicyclette,
et tandis qu’au ciel s’enroule un corbeau
je pense à quoi peut penser le poisson qui baille
dans son bocal ; paix sur terre et cervelle
où paissent les chenilles.
Les couples ronds d’octobre vont embrasser les berges ;
un roi déchu s’assied parmi les coquillages.
Il se peut que les morts somnolent
enlacés à un souvenir
avec des musiques douces dans les trous de leurs bras.
Ici la terre s’étire qui nie l’horizon et me dit
que peut atteindre un regard d’homme ou de quoi ?
Quand dans la vaste flaque d’eau de rhum ou d’enfance
où les lampions bavardent,
à la faveur des cigarettes l’éternel dort un peu ivre,
heureux celui qui s’y étend.
Neuilly-Saint-Front, octobre 1964.
La route sans tête
L’Arbre, 02470 Danmard, 2007
Du même auteur :
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