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Le bar à poèmes
31 mai 2025

Jean Le Mauve (1939 – 2001) : Autoportrait d’un soir d’octobre

Archives éditoriales

 

 

Autoportrait d’un soir d’octobre

 

 


Mille regards ne se perdent, inverses ou inondés

 

du réel des branches.


Fait-il vrai de penser quand l’octobre remue


partout gonflé de feuilles


que c’est ma propre voix qui monte es vergers ?

 

 

Ce cheval gris sous les pommiers


luisait déjà sur mon enfance qui fut une belle galopade


de fruits pensifs dans les luzernes


à donner tête aux nuages


pour y trouver la preuve du passage des mères.


Tant de morts hésitent ; à peine la clôture a changé ;


Cheval, es-tu le fils du premier


ou lui-même rêvant debout derrière les haies


des juments fécondes des champs circulaires ?

 

 

Une lueur survit aux labours célestes


où j’éteins d’autres vérités.


Os barbouillés de terre ou luisantes comme un chiffre


les morts se reposent,


rognant avec ce qu’ils leur reste de dents


le reste de leur absence.


Moi je souris, je bois du rhum dans un bol


en regardant des fenêtres monter les femmes


et tomber les feuilles.


Ce soir d’octobre est ma prairie.

 

 

Faut-il pour être riche courir avec les portes


jusqu’aux arbres à rides animales


ou s’envoler dans une lampe à cœur d’oiseau ?


Dans l’œil de mon chien battent d’anciennes mers ;


la pêche y est miraculeuse


quand ma tête en octobre affole les fourchettes


et que des forêts trempent dans mon bol ;


une idée d’herbe haute menant la tendre vache


au tendre pré du ciel,


je lis où tout se lie ma vérité sonnante


dans l’angélus du cœur.

 

 

C’est l’heure où l’enfant joue à faire le tour


du soir à bicyclette,


et tandis qu’au ciel s’enroule un corbeau


je pense à quoi peut penser le poisson qui baille


dans son bocal ; paix sur terre et cervelle


où paissent les chenilles.


Les couples ronds d’octobre vont embrasser les berges ;


un roi déchu s’assied parmi les coquillages.


Il se peut que les morts somnolent


enlacés à un souvenir 


avec des musiques douces dans les trous de leurs bras.

 

 

Ici la terre s’étire qui nie l’horizon et me dit


que peut atteindre un regard d’homme ou de quoi ?


Quand dans la vaste flaque d’eau de rhum ou d’enfance


où les lampions bavardent,


à la faveur des cigarettes l’éternel dort un peu ivre,


     heureux celui qui s’y étend.

 

 

                             Neuilly-Saint-Front, octobre 1964.

 

 

 

La route sans tête


L’Arbre, 02470 Danmard, 2007

 

 

Du même auteur :


 Ma vie s’envaste (31/05/2020)


Bétracq (31/05/2021)


Poème d’un instant (31/05/2022)


Pente d’herbe (31/05/2023)


Coucher d’oiseaux (31/05/2024)
 

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