Daniel Kay (1959 -) : Un jardin de statues
Un jardin de statues
LINGUA ANTIQUA
Bruissement de silence
dans l’allée de tilleuls...
on dirait que les silhouettes de plâtre
susurrent une langue étrangère,
un curieux idiome
que seuls peuvent comprendre
les enfants et les muets
ARTEMIS
Parfois la tunique de la chasseresse déclenchait l’hallali des frondaisons
et figeait sa meute de bronze dans l’exhalaison des seringas.
Le soir au bref carquois écrasait déjà toutes les montres. Une à une les
statues s’évanouissaient sous la morsure d’une seule flèche.
VESTALES
L’homme parlait avec des mots enflammés
à la pharmacienne dont la peau nue et désirable
brillait derrière la porte-fenêtre.
Les ampoules de morphine devenaient obscures.
Or dans le jardin le crachin interminable
ruisselait déjà sur les seins des vestales.
Peu à peu la douleur arriverait jusqu’au cyprès.
Statues, suppositions des lointains...
L’hiver vous a passé des gants blancs
pour égorger des oiseaux invisibles.
LEGENDES
On dit que des statues meurent parfois
comme des êtres chers
sous le faix des années,
fragments de la beauté du monde,
à jamais scellées dans leur cercueil de feuillage.
Ce jour-là elles eurent froid
et se couvrirent les lèvres d’un bâillon de rosée,
les yeux clos déchiffraient sous les nuages
les signes d’un frémissement,
sous la cape de l’indistinct manteau de pluie
l’attente d’un mouvement entre les feuilles,
l’étonnement d’un lied de Brahms.
L’ALTRA FIGURA
(Giulo Paolini)
Tête-à tête mezzo voce :
deux profils de plâtre
contemplent la beauté sévère des gravats
entre grandeur et misère
de ce qui fut en pleine lumière
Jours pliés, secondes pétrifiées
arrangent peu à peu dans le blanc
les restes de la statue mentale.
On dit votre regard énigmatique,
votre mutisme impénétrable,
votre sourire indéchiffrable...
A quoi songez-vous donc,
intrigants rêves de pierre ?
A la rose de Condillac,
aux dimensions du domaine,
aux mathématiques sévères,
ou à ces cyclistes d’un autre temps
qui cachent derrière les arbres
leurs rêves de gloire et de feuilles.
A leur pouls bat le temps d’avant le temps.
Vies silencieuses
Editions Gallimard, 2019
Du même auteur :
Art poétique avec nature morte (09/09/2019)
Le bleu à l’âme (14/06/2021)
L’atelier du peintre (01/06/2022)
L’atelier italien (1) (01/06/2024)