Daniel Kay (1959 -) : L’atelier du peintre
Le Télégramme, 17 Octobre 2007
L’atelier du peintre
(Toiles de Jean-Luc Bourel)
Comment l’espace donne-t-il du temps à ce regard
qui s’épuise dans le bleu ?
Comment retenir ce geste qui désigne
dans le ciel un temps pour l’oiseau,
celui qu’on sent à peine, perdu dans l’esquisse
entre l’arc et la pointe,
plus bleu encore avant de disparaître à jamais
sous le voile froissé du soir qui vient.
Le mauve est comme la marée,
il va et vient entre les pierres
et sous la langue dépossédée des vocables.
Le mauve est comme la nuit
avec ses pauses encore froides jusqu’au matin
sur les fermes violettes,
là où sommeillent des bêtes fatiguées,
blessées par tant de ciel.
L’étendue et la durée sont-elles
données immédiates de la conscience ?
Comment penser le bleu ?
Comment résoudre la question du Froid
qui fonde, altère et sépare,
si près de nos doigts engourdis
malgré le feu, la fatigue et la faim ?
Signes d’un dieu, désastre des pierres...
Ciels bafoués, saturés, dépliés
sur l’horizon avec des pauses indécentes,
ciels de traîne arrachés à ces manteaux élimés
dont les poches regorgent d’étoiles
et de parjures, ciels mais posés derrière
le dos cabossé des anges,
ceux qui basculent sous le bleu
hébétés dans la lenteur.
Présences léguées bien plus loin
que nos bras ne peuvent atteindre,
mots d’aucun langage,
phrases interminables sans verbe ni sujet
chuchotées sur la toile blanche
que prépare dans l’atelier
celui qui délie peu à peu
la conscience ligneuse des forêts.
Vies silencieuses
Editions Gallimard, 2019
Du même auteur :
Art poétique avec nature morte (09/09/2019)
Le bleu à l’âme (14/06/2021)
Un jardin de statues (01/06/2023)
L’atelier italien (1) (01/06/2024)