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Le bar à poèmes
20 mai 2025

Adonis (1930 -) /أدونيس : Le charmeur de poussière (2)

 

 

Le charmeur de poussière

 

....................................................................

 

LE ROC

 

J’ai accédé à tes désirs :


mon chant est mon pain


mon royaume est ma parole


Ô roc, alourdis mes pas


Je t’ai porté, aurore sur mes épaules


Je t’ai dessiné, vision sur mes traits

 

L’ABÎME

 

J’avance dans un abîme que je ne sais voir


que je crains de voir


J’avance dans un abîme qui déborde de joie


joie de l’oracle et du héraut

 

joie d’entendre mon chant devenir autre


pour guider ce monde aveugle

 

 

joie d’être devenu faute


pêcheur vivant sans péché

 

 

J’AI MES SECRETS

 

J’ai mes secrets pour marcher


sur la toile de l’araignée


J’ai mes secrets pour vivre


sous les cils d’un dieu qui ne meurt jamais

 

 

Amoureux, j’habite mon visage et ma voix


J’ai mes secrets pour que me vienne


une descendance après ma mort

 

 

TES YEUX NE M’ONT PAS VU

 

Tes yeux ne m’ont pas vu


vierge comme l’eau créatrice du sperme


Ils ne m’ont pas vu venant de là-bas


dans un cortège d’offrandes


l(herbe et la foudre sous mes pas

 

 

Demain, demain, dans le feu et le printemps


tu me reconnaîtras


tueur de troupeaux, éleveur des semences


Demain, demain, tes yeux croiront en moi

 

 

DIALOGUE

 

« Ou étais-tu ?


Quelle lumière pleure sous tes cils ?


Ou étais-tu ?


Montre-moi, qu’as-tu écrit ? »

 

 

Je n’ai pas répondu. Je n’avais plus de mots


Ne trouvant pas d’étoile sous le brouillard de l’encre


j’avais déchiré mes feuilles

 

 

« Quelle lumière pleure sous tes cils ?


Ou étais-tu ? »

 

 

Je n’ai pas répondu


la nuit était hutte bédouine


les lanternes étaient tribu


et moi soleil émacié


sous lequel la terre changeait ses collines


et le vagabond croisait la longue route

 

 

LA PRESENCE

 

 

J’ouvre une porte sur la terre


J’allume le feu de la présence


dans les nuages qui se creusent ou se poursuivent


dans l’océan et ses vagues amoureuses


dans les montagnes et leurs forêts


dans les rochers

 

 

créant pour les nuits gravides


une patrie de cendres de racines


de champs, de cantiques


de tonnerre et de foudre

 

 

brûlant la momie des âges

 

 

LES SEPT JOURS

 

Mère


qui te ris de mon amour et de ma haine


en sept jours tu fus créée


en sept jours tu créas


la vague, l’horizon et la plume du chant 

 

 

Mes sept jours à moi sont blessure


et corbeau


Pourquoi alors cette énigme


si comme toi je suis vent et poussière ?

 

 

ORPHEE

 

Amoureux je dévale la pente


pierre dans les ténèbres de l’enfer


mais j’irradie

 

 

J’ai rendez-vous avec les prêtresses


dans la couche du dieu ancien


Mes paroles son vent agitateurs de vie


mes chants étincelles

 

 

Je suis la langue d’un dieu à venir


Je suis le charmeur de poussière

 

 

TERRE DE MAGIE

 

Ne restent ni vengeance ni querelle


entre le gardien des jours et moi


Chacun s’en est allé


entre son histoire d’une clôture de nuages


Chacun a reconnu ses frontières 

 

 

Ma terre demeure terre de magie


J’illusionne l’air


je blesse la face de l’eau


et m’échappe d’une bouteille à la mer

 

 

VISION

 

Masque-toi de bois brûlé 


O Babel des incendies et des mystères


J’attends un dieu qui viendra


drapé de feu


paré de perles volés au poumon de la mer


aux coquillages

 

 

J’attends un dieu qui hésite


fulmine, pleure, s’incline, rayonne

 

 

Ton visage, Mihyar


présage ce dieu à venir

 

 

VOYAGE

 

Je voyagerai au creux d’une vague


d’une aile


Je visiterai les âges qui nous ont quittés


et les sept galaxies


Je visiterai les lèvres


et les yeux lourds de glace


et la lame étincelante dans l’enfer divin

 

 

Je disparaîtrai


la poitrine ceinte de vents noués


laissant mes pas au croisement des chemins


au loin


dans un désert

 

 

LAISSE DANS TON SILLAGE

 

Pars, éloigne-toi


Etreins les vagues et l’air


Emporte sur tes cils, les nuages, les éclairs


Que se brise derrière toi notre miroir


Que se brise l’amphore des ans


Et laisse pour nous dans ton sillage...


Non ! ne laisse plutôt que les vestiges d’un soupir


et de l’argile


que le sang desséché dans les veines

 

 

Ah ! éloigne-toi ! Non, attends encore


Bientôt tu disparaîtras


Alors laisse-nous tes yeux


ou ton cadavre brun ou ta tunique


poèmes au monde étrange


qui viendra avec la nostalgie


portant ton ciel sur ses cils

 

 

J’AI LIVRE MES JOURS

 

J’ai livré mes jours à un abîme


qui monte et descend sous mon attelage


J’ai creusé ma sépulture dans mes yeux

 

 

Maître des ombres, je leur donne ma nature


Hier je leur ai donné ma langue


et j’ai pleuré pour l’histoire vaincue


qui trébuche sur mes lèvres


pour la terreur dont les arbres verts


ont brûlé dans mes poumons

 

 

Maître des ombres, je les frappe


je les mène avec mon sang, avec ma voix

 

 

Le soleil est une alouette


à qui j’ai tendu mes collets


Le vent est mon chapeau

 

 

LE PONT DES LARMES

 

Un pont de larmes chemine avec moi


se brise sous mes paupières


Dans ma peau de porcelaine


un chevalier d’enfance


attache ses chevaux avec les cordes du vent


à l’ombre des branches


et d’une voix prophétique  nous chante :

 

 

« Ô vents, ô enfances !


Ponts de larmes brisés


derrière les paupières ! »

 

 

JE NE CONNAIS PA DE LIMITES

 

Pour mon sentier vêtu de vagues et de montagnes


pour mon visage débordant d’échos


j’ai éteint dans le ciel des milliers de cierges blancs

 

 

J(ai dit à mes dents, à mes ongles bleuis :


fléchissez avec moi


capitulez à la vague et à son mugissement


Je leur ai dit de rompre les amarres


qui me retiennent au dernier rivage

 

 

Je ne connais pas de limites


pas de rivage dernier

 

LES BARRAGES

 

Le matin sans cesse lu et relu


et toujours sous la peau ces cavernes


ces barrages, ces décombres


Toujours ces thébaïdes


et toujours ces cimetières sous les cils


ces membres épars, ces holocaustes de tes chants


Il ne reste dans ton visage ni terre


ni danse


ni naissance

 

 

Toujours dans tes veines l’avortement


et pour toi dans l’écorce une étoile


dans les rochers un patrimoine


dans la clarté un pays


Ô prince du vide


langue où se vident les vents et les distances

 


TERRE UNIQUE

 

J’habite ces terres vagabondes


Je vis avec mon visage 


pour seul compagnon


Visage, mon chemin !

 

 

En ton nom, ma terre déployée


enchanteresse et unique


en ton nom, mort, mon amie

 


.......................................................
 

 

 

 

 

Traduit de l’arabe par Anne Wade Minkowski 


In, Adonis : « Chants de Mihyar le Damascène »


Editions Sindbad / Actes Sud, 1995

Du même auteur :


l’amour où l’amour s’exile (23/05/2015)  


Pays des bourgeons (23/05/2016)


Miroir du chemin, chronique des branches (23/05/2017)


Au nom de mon corps (23/05/2018)


Chronique des branches (23/05/2019)


Corps, 1et 2 (23/05/2020)


Corps, 3 (23/05/2021)


Corps, 5 (23/05/2022)


Corps, 6 (23/05/2023)


Le charmeur de poussière (1) (23/05/2024)

 

Le charmeur de poussière (2) (20/05/5025)

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