Louis Aragon (1897 – 1982) : Medjnoûn
Medjnoûn
Ô nom que je nomme point et qui s’arrête dans ma bouche
Comme un objet de pureté qui briserait son propre son
Comme la fleur dans le tilleul avant de la voir que l’on sent
Ô nom de vanille et de braise ô comme l’oiseau sur la branche
Léger à la lèvre tremblante et doux au toucher de la main
Comme le verre que l’on brise et qui ressemble une caresse
Comme l’aveu d’une présence au bord de l’ombre tentatrice
Nom de cristal loin dans la ville ou tout près murmure d’amant
Ô nom qui rougit sur ma langue et si peu que je le prononce
Je n’ai désir qu’à demeurer comme sa traîne ou son parfum
Qu’à n’être plus que sa poussière un souvenir de ses pas fins
Qu’à son sujet l’on ait de moi comme une vague souvenance
Ou moins que ca comme d’un trille un tremblement ou d’un soupir
Dont on ne sait trop ce qu’on oublie un geste d’elle ou d’un accent
D’une ombre au mieux dans la voix même ou dans l’orchestre le buccin
Moins qu’un écho dans l’escalier qu’un bruit de porte qui se perd
Et si pourtant l’on a mémoire un jour ou l’autre que je fus
Disant ce nom qui n’est que d’elle et qui me trouble dans mon âme
Qu’on daigne alors selon mon cœur me laisser être un anonyme
A son parage à son passage et qu’il soit dit c’était un fou
Le fou d’Elsa
Editions Gallimard, 1963
Du même auteur :
Vingt ans après (24/05/2014)
« J’arrive où je suis étranger… » (24/05/2015)
Il n'y a pas d'amour heureux (24/05/2016)
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Epilogue (24/05/5024)