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Le bar à poèmes
6 mars 2025

Nazim Hikmet (1901 – 1963) : Le miroir enchanté

 

 

Le miroir enchanté

 

 

Prague est un miroir enchanté


Je me regarde


Et je retrouve mes vingt ans


Je suis comme un bond


          Je suis comme trente-deux dents   

                                       
                                               sans carie

 

 

Et le monde est une noix


Mais je ne veux rien pour moi


Seulement la femme que j’aime


Touchant mes doigts avec ses doigts


Qui ouvrent tout le mystère du monde

 

 

Mes mains rompent le pain


peu pour moi


Beaucoup pour mes amis


Dans les villages d’Anatolie


j’embrasse les yeux rongés par le trachome


Et je tombe quelque part en terre lointaine


Pour la révolution mondiale


On apporte mon cœur sur un coussin de velours


Comme l’ordre du drapeau rouge


Une fanfare joue la marche funèbre


Nous ensevelissons nos morts au pied d’un mur


Sous la terre


Ainsi que des graines fécondes


Et nos chansons sont écrites sur terre


non pas en turc en russe ou en français


Mais en chansonnais


Lénine est alité dans une forêt enneigée


Il fronce les sourcils


En pensant à quelqu’un


Et regarde au fond des ténèbres blanches


Er voit les jours à venir

 

 

Je suis comme un bond


          Je suis comme trente-deux dents     

                                     
                                               sans carie

 

 

Et le monde est une noix


Avec une coque d’acier


Mais gonflée d’espérance


Prague est un miroir enchanté


Je me regarde


Et me montre sur mon lit de mort


La sueur au front

 

Comme si la bougie avait coulé


Les deux bras étendus à mon côté


La tapisserie verte


Et par la fenêtre


Les toits couverts de suie d’une grande cité


Ces toits ne sont pas ceux d’Istanbul


Mes yeux sont ouverts


On ne les a point encore fermés


Personne encore ne sait


Penche toi sur moi


Regarde dans mes pupilles


Tu y verras une jeune femme


Elle attend à l’arrêt du tramway sous la pluie


Ferme mes yeux


et sur la pointe des pieds


Sors de la chambre, camarade.

 

 

 

Traduit du turc par Hasan Gureh


In, « Nâzim Hikmet, anthologie poétique »


Scandéditions, 1993

 


Du même auteur :


La plus drôle des créatures (19/10/2015)


Peut-être que moi (19/10/2016)


La cigarette non-allumée (19/10/2017)


Lettres et poèmes (1942 – 1946) (06/03/2019)


Fragments (06/03/2020)


Sofia (06/03/2021)


Voyage à Barcelone, sur le bateau de Youssouf l’Infortuné (06/03/2022)


Voilà (06/03/2023)


Les heures de Prague (06/03/2024)
 

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