Henri Droguet (1944 -) : Traces
Crédits : Philippe Le Roy
Traces
Les vents sont établis craquants
le soleil par le haut
les chiens traversent les forêts
Les hommes font silence
s’assoient près d’une rive
ils blanchissent leurs mains
partagent la corde des pendus
ils écoutent le chant solide des oiseaux
et la rumeur des torrents invisibles
ils jettent rondement le blé dans l’ombre
affûtent leurs couteaux
ils goûtent l’herbe noire
Ils gagnent leurs repaires
calent d’anciens buffets
boivent au broc du cidre dur
ils reconnaissent l’odeur crue des juments.
Peut-être
ils se coucheront tôt.
6 septembre 1978
*
A grande brume
se fait la nuit cassante
Carnassiers et nerveux
les vents chassent leurs viandes
dans un bocage triste
Je ne sais plus mon âge
« Les volets bleus garderont
ta demeure
des malices du Diable »
je n’y crois pas
L’averse noie - est-ce un rêve ? –
les mornes bleus fragiles
l’automne est dans mon ventre
l’automne est dans mon cœur
je dis. Hissez trois fois vos voiles rouges
n’attendez rien de votre dieu
Je reconnais là-bas mes traces
dans un parc perdu.
On dit que c’est la belle indifférence.
9 octobre 1979
La nuit clenchait les haies
j’étais marchant dans un faux bourg
de la puante et fraîche ville
les vents taillants bourlinguaient
dans un ciel étripé
et j’entendais le rire coupé
des eaux
le mâchonnement noir de la mort
j’étais là.
A l’heure du ressac
passèrent trois corbeaux sur des landes.
Grattant
Je chantais quelques mots discrets
et dérisoires
dans les docks rances
le dimanche à onze heures.
Il ne venait jamais personne
près de ce marégraphe
où j’attendais la dernière marée
et le vol pétrifiant des oiseaux
je faisais d’autres rêves
pourtant la main je tendais
dans l’absence
(oh le claquement nu d’une averse
sur les pontons)
je croyais La vie
c’est un rêve que Dieu rêve
et je marchais. Disant
finira se fermer le siège
de toute éternité tendu
pour moi un jour d’octobre
disant Ce jour je serai
au point mort
disant Moi à perpétuité
je suis.
octobre- novembre 1929
*
Vanité des vanités
j’avais donné raide ma langue au chant
dans une haie
j’avais tiré le 9 de pique
je déchiffrais l’archive élémentaire
comme à lire, à nuit venue, sur un mur.
Les vents qu’il faut glaçants pour faire un monde
raclaient le soleil chancre
et les nuées cellulitiques,
les vents me passaient simplement dans les doigts,
et sur la face, comme épeautre.
Les pluies rondes, rôdeuses, denses,
me liquidaient sur une digue
- c’était la troisième heure –
et la mer travaillait vaguement
mâchait la plage
installait sa béance.
Laboureuse la mort traçait ses sillons noirs.
Je déchiffrais.
Je marchais dans les blés.
Je parlais – « La pierre sera prête » -
Et des oiseaux sortaient de ma bouche oblique.
Dites-moi ce que je cherche
Dites-moi ce que je dis ?
17 décembre 1978
Chant rapace
In, Revue « Cahier de poésie, 3 »
Editions Gallimard, 1980
Du même auteur :
Sans paroles (12/03/2019)
Salut (12/03/2020)
Bout de monde (12/03/2021)
Pour l’exemple (12/03/2022)
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