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Le bar à poèmes
11 mars 2025

Henri Droguet (1944 -) : Traces

Crédits :  Philippe  Le Roy

 

 

Traces

 

 

Les vents sont établis craquants


le soleil par le haut


les chiens traversent les forêts

 

 

Les hommes font silence


s’assoient près d’une rive


ils blanchissent leurs mains


partagent la corde des pendus


ils écoutent le chant solide des oiseaux


et la rumeur des torrents invisibles


ils jettent rondement le blé dans l’ombre


affûtent leurs couteaux


ils goûtent l’herbe noire

 

 

Ils gagnent leurs repaires


calent d’anciens buffets


boivent au broc du cidre dur


ils reconnaissent l’odeur crue des juments.

 

 

Peut-être


ils se coucheront tôt.

 

6 septembre 1978

 

 

*

 


A grande brume 


se fait la nuit cassante


Carnassiers et nerveux


les vents  chassent leurs viandes


dans un bocage triste

 

 

Je ne sais plus mon âge

 

 

« Les volets bleus garderont


ta demeure


des malices du Diable »


je n’y crois pas

 

 

L’averse noie - est-ce un rêve ? –


les mornes bleus fragiles


l’automne est dans mon ventre


l’automne est dans mon cœur


je dis. Hissez trois fois vos voiles rouges


n’attendez rien de votre dieu

 

 

Je reconnais là-bas mes traces


dans un parc perdu.

 

 

On dit que c’est la belle indifférence.

 

9 octobre 1979

La nuit clenchait les haies


j’étais marchant dans un faux bourg


de la puante et fraîche ville


les vents taillants bourlinguaient


dans un ciel étripé


et j’entendais le rire coupé


des eaux


le mâchonnement noir de la mort


j’étais là.


                 A l’heure du ressac


passèrent trois corbeaux sur des landes.


Grattant

 

 

Je chantais quelques mots discrets


et dérisoires


dans les docks rances


le dimanche à onze heures.


Il ne venait jamais personne


près de ce marégraphe


où j’attendais la dernière marée


et le vol pétrifiant des oiseaux


je faisais d’autres rêves


pourtant la main je tendais


dans l’absence

 

 

(oh le claquement nu d’une averse


      sur les pontons)
 

 

 

 

je croyais La vie


c’est un rêve que Dieu rêve


et je marchais. Disant


finira se fermer le siège


de toute éternité tendu


pour moi un jour d’octobre


disant Ce jour je serai


au point mort


disant Moi à perpétuité


je suis.

 

octobre- novembre 1929

 

 

*

 


Vanité des vanités


j’avais donné raide ma langue au chant


dans une haie


j’avais tiré le 9 de pique


je déchiffrais l’archive élémentaire


comme à lire, à nuit venue, sur un mur.


Les vents qu’il faut glaçants pour faire un monde


raclaient le soleil chancre


et les nuées cellulitiques,


les vents me passaient simplement dans les doigts,


et sur la face, comme épeautre.


Les pluies rondes, rôdeuses, denses,


me liquidaient sur une digue


- c’était la troisième heure –


et la mer travaillait vaguement


               mâchait la plage


               installait sa béance.


Laboureuse la mort traçait ses sillons noirs.


Je déchiffrais.


Je marchais dans les blés.


Je parlais – « La pierre sera prête » -


Et des oiseaux sortaient de ma bouche oblique.

 

 

Dites-moi ce que je cherche


Dites-moi ce que je dis ?


        17 décembre 1978

 

 

Chant rapace


In, Revue « Cahier de poésie, 3 »


Editions Gallimard, 1980

 


Du même auteur : 


Sans paroles (12/03/2019)


Salut (12/03/2020)


Bout de monde (12/03/2021)


Pour l’exemple (12/03/2022)


Gwerz / Amen (12/03/2023)


Scopie 1 / « ...Indéfiniment ma joie... » (11/03/2024)

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