Henri Droguet (1944 -) : Gwerz / Amen
GWERZ
Dans le milieu de l’homme il y a
la banlieue craquante de la mer
comme un volet qui cogne
dans une nuit
il y a le cœur on dirait
une gare
dans le milieu
de l’homme il y a
le nord et des collines
Autour de lui remuent des vents épais
par les travers d’orage des chardons
et simplement pour les chants de passage
des oiseaux du dimanche
Aux fonds de l’homme-moi
se tient déjà la mort
comme la lie des rêves noirs
dans le creux tordu de la terre.
5 aout et 26 octobre 1977
AMEN
Ce livre je serai, noir
ouvert dans le silence
on poussera l’auvent dans une ferme
proche et craquante
les granges sentiront
je passerai vers les enclos
(le vent entre nuque et talons)
troublement je te dirai l’histoire
des lunaisons
je te dirai le chant-nuage
on fermera – pas bien loin – les pianos
pour les musiques obliques
et la mémoire
et l’on jouira de la violence immobile des eaux
ta main je la tiendrai
dans l’aube cognante
le cri de lisière des chiens
et la rumeur timonière du bois
à l’heure fauchante
l’œil crevé du Dieu
on l’aura tôt jeté au puits
ou dans la haie compacte claire
la pluie émerveillante marchera drue
(ses bras frais innombrables lécheront doucement nos visages)
l’oiseau gercera le marais, criant
on lèvera le loquet du royaume
l’enfant dira : dans la banlieue le monde épais
et lourd
va blanchir.
Ainsi la nuit sera passée.
26-27 février 1978
I
Jamais
jamais je n’entendrai les aveugles
je ne vois pas les sourds
je regarde dans l’heure de remémoire
les eaux et les arbres carrés
Tranquillement un nuage s’efface
les geais filent bas dans l’ortie bleue
un cheval rit près d’une pompe
dans la rivière les fagots sont jetés
Nous avons devant nous mille ans.
II
Déjà
déjà je me souviens de l’avenir
je me souviens d’autre chose
du tricot cassé de la mer
du gîte très aimé des vents planants
et chantant dur
de ce qui ronge l’os noir du vrai pays.
III
La nuit
la nuit je sue sous les étoiles
je dis des mots sans importance
et je remets au lendemain
puis au lendemain
du lendemain
je rêve beau
les enfants dorment.
Les vieux attendent leur dû
dans le parfum du tilleul et des menthes.
Saint-Julien- d’Olargues (Les Horts), juillet 1978
Bédoin (La Grande-Garrigue), 30 août 1978
Chant rapace
In, Revue « Cahier de poésie, 3 »
Editions Gallimard, 1980
Du même auteur :
Sans paroles (12/03/2019)
Salut (12/03/2020)
Bout de monde (12/03/2021)
Pour l’exemple (12/03/2022)
Scopie 1 / « ...Indéfiniment ma joie... » (11/03/2024)