Henri Droguet (1944 -) : Scopie 1 / « ...Indéfiniment ma joie... »
Dinard. Une rencontre poétique avec Henri Droguet © dr
SCOPIE 1
Nous nous ferons une vie d’insomnie
il y aura
les rêves de la mer comme un dernier barbiturique
la folie des oiseaux provisoires
des rocs neufs à ne pas dire
l’éraflure indiscrète des vents
dans la beauté des saules
nous nous ferons un pays réputé étranger
comme un sourire de Dieu
il se fera un jours précis de déchirure :
la mer sera haute à 21h18
le Breslinghes quittera le port, sur lest,
pour l’Allemagne
le Nordlicht, bois sciés, venant d’Halmstadt
entrera
Je-n’importe qui serait à rêver blanc,
dans le coin gauche.
15 août 1972
« ... INDEFINIMENT MA JOIE »
D’abord j’entends un chant fini et
des bruits ouvriers
le crachin froisse l’arbre mou des paresses
les feuilles choient
sur l’érosion évidente des herbes
J’entends les bruits désormais provisoires
des oiseaux de la mer de l’arbre de la mer
des voix d’hommes du vent
l’arbitraire du monde, son grincement de coutume
le geindre gras de l’ordinaire, la suie des mémoires et des heures
Je sais la vie plus loin plus loin plus loin
loin simplement de ce torchis des mots
dans un chant postérieur
D’abord il y eut l‘écorchure précise des villages
l’aller-retour des vents sur les mains tout à coup
de silence
l’immobilité des oiseaux ternis
- une maille ratée, ou tout comme –
le silence (je le redis)
des oiseaux de la mer des arbres de la mer
des voix d’homme du vent
un silence /antiphrase
Plus tôt plus tard la turbulence
des « idées pures » à la con, les miroirs
brouillés de l’automne, l’accueil des flaques
(ultérieurement) le crissement des plages
le monde quoi te vous agrippe à la main :
« Tu viens, chéri ? »
et je vous y vas, aux poubelles de la po-hai-sie
vite et bien
Les nuages gribouillaient le soleil de huit heures
les rocs noircissaient, le vent touillait
la panade des brumes froides très
j’ai joui – comme tout le monde –
je commençais, seulement je commençais
à savoir le visage de mon amour sur les doigts
de ma main
et l’énorme indisable présence
des oiseaux de la mer des arbres de la mer
des hommes et du vent
les lacets bien connus du sang
les semailles du rire
leur avant-dire :
(on verra les chiens rire les oiseaux
contre-
dire les râpes du malheur
l’ivresse des bateaux dans les soirs de fortune
l’aurore surviendra dans l’arbre
flavescent)
Les vents ultimes cousaient leurs violences
pourléchaient semblablement les sables
les poètes comptaient l’iambe et l’anapeste
trafiquaient leur pidgin de contre-
bande, signaient
saignent, bricolent
« Ventre affamé n’a point d’oseille »
Ca n’empêche pas la monnaie de la pluie, ni les ressou-
venirs (moi je connais un talus gauche...)
les ressouvenirs, le saute-mouton clandestin
du bonheur
Les vents dérapent sur les haies
la mer heureuse se déride
passagèrement et j’y vais, j’y vais.
Gare aux murs.
31 octobre – 1er novembre 1972
Chant rapace
In, Revue « Cahier de poésie, 3 »
Editions Gallimard, 1980
Du même auteur :
Sans paroles (12/03/2019)
Salut (12/03/2020)
Bout de monde (12/03/2021)
Pour l’exemple (12/03/2022)
Gwerz / Amen (12/03/2023)