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Le bar à poèmes
13 mars 2025

Bernard Noël (1930 - 2021) : Bruits de langues (23 – 33)

Photo :iPierangelo Cesaretti

 

 

 

Bruits de langue

 

23


o mot-mac, tous les dessous pillés te vaudront


un lit vide en la bouche et l’hallali au rond,


tant le temps fait retour pour nous damer le fion.

 

 

on guéguérole de langue et ça crée du poème :


foutre à blanc fait fureur quand queue est en carême.

 

 

mais qu’est-ce que la voix qu’on fêle dans la voix ?


entre mes dents, un peu d’azur moque mon choix.

 

 

ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Etres !


nous écrivons le monde à travers la fenêtre


d’un zobjectif gobant maya à plein urêtre !

 

 

abîme, et c’est le noir d’où sort le vieux désir :


la treizième revient nous gommer le visage,


on voit la vie croiser la mort et embellir.


nu-nu, fait la muse et pouèt prend ton vit sage


et porte-plume-moi jusqu’à m’en équarrir.

 

 

24

 


ce qui nous leurre est si lié à l’œil qu’il faut


étriper le regard pour ouvrir le tombeau.

 

 

sous ce chapeau moral, les mots prennent des rides,


et le ronron qui suinte aux articulations,


couvre un chuintement de tête qui se vide :


rien ne sert de penser, il faut penser à fond.


empiffrée de savoir, la conscience a du bide,


tout son caca mental engorge la vision.

 

 

dans le dodelinement du dernier gâtisme,


être un vieux qui oublie son, alphabêtisme !

 

 

le visible déjà me prend comme une mer..

 

.

o, les yeux, les yeux, les yeux qu’on cloue à l’amer


étonnement de voir claquer la fermeture


idéale et l’esprit naître de cette injure :


lors, tout n’est que signe, humanisme et littérature.

 

 

25

 


hrase à venir : la main passe les lettres par


autant de corps qu’il en faut pour l’oubli, l’écart.


non le nom ne se met pas où vous voulez le mettre :


tout se démembre, sauf le point final. ô être


encore un blanc, un dessein, un petit peut-être !

 

 

précarité du rôle, on dessine son corps,


l’encre s’y met, les mots grouillent, la vie n’en veut plus.


un beau travail, dit-on, et à moi d’être mort !


mais la pensée traverse et je suis dans le tu


en riant de la ponctuation, leur décor.

 

 

entre la vue et l’œil, dans la buée du nombre,


tout va rebondissant contre son doublon d’ombre.

 

 

bizarre, ce qui n’aura jamais lieu et qui


enlise le regard dans le papier, vois ci


ce vide de moi-même où je m’ensevelis.

 

 

26

 


e, i, o, u, l’obscur prend os, la diagonale


noue du sens aux ombres et tend la corde vocale,

 

 

le sujet sort des choses en regardant leur nom,

 
et maintenant qui suis-je au bord des deux images ?

 

 

mourir mâche dessous, je vois la castration


ouvrir l’o de l’oubli pour masquer le saccage.


ne pas croire le a qui promet le langage :


déjà il est trop tard, et le i dans raison


emprisonne le cri de la partie sauvage.

 

 

mais qui allume les lettres à l’instant mortel ?


entre les jambes d’u ne se tapit aucune


nudité. tout reflue vers l’œil et cherche le ciel.


texte en avant ! l’érection syllabique est une


amorce à bouche, et pour cette fellation-là


l’auteur doit un cadavre qui ne sente pas.,

 

 

27

 


riant de la risée du branlaboum quoi couac,


il affriol’ la résiduance et l’excroisse,


emmanchant l’avaleur de jours à trique trac.


nul ne pleure d’oignon qui se farcit la poisse.

 

 

qu’erre-t-il de nous quand le nom même se mythe ?


un culossal pas-plouf, car dico n’est grand’-mer ;


il ne pouss’  ventral clope aux chutés de l’abîte

 

 

n’aliborons point : tout s’asticote sous vers,


eh peaucrite lèchteur, mon pareil boomaker.

 

 

sa suinteté jette l’encre en papage, et hop


on la voit scier des mots à grand ahan d’arrière :


il faut qu’un prépuscrit se débite au galop,


tant les cris durs de plume en font très feinte affaire.

 

 

dans nos cerveaux ribote un peuple de motgnons :


un côté marie-honnête et tout l’autre cochon.

 

 

28

 


voici la ruine où rôde un rêve dément,


il a fallu que Je s’y usât en poussière,


fatigué d’avenir à force de mots blancs.

 

 

vous écrire et pourtant les lettres ne sont pierres,


et qui réussirait à s’en faire maison ?


nous comptons les livres, puis passons par derrière :


un petit peu de tronche et pour braguette y’a bon.

 

 

de l’art de prendre pied en lune est un traité


en culisine avec diplôme es fermeté.

 

 

l’univers étourdi penche sur ses essieux.

 

 

autant dans chaque trou ne voir que le moyeu.


un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,


tout va se loger là comme va vit à l’hombre.


roses blanches, tombez ! vous insulter nos pieux


et quel regard s’accroît sous l’écorce des yeux...

 

 

29

 


où la poudre des choses attirées par le vide


ne produit qu’une scie de phosphènes candides.

 

 

regarde-toi, l’heure est en train de revenir,


as-tu encore aux dents la monnaie du passage,


tout est pareillement occupé à finir,


un nom, ce n’est pas fait pour servir de bagage.


rien ne signe la pierre où le vécu roué


est enfin mis hors-je du je qu’il a joué.

 

 

Le poète est un travailleur viergétarien, 


aussi a-t-il toujours en main un poil pythien.

 

 

nul ne s’identifie, et l’auteur est au texte,


allongé sous les mots dont il fut le prétexte.


ta bouche-trou pète une ombre qu’on a repeinte,


un mort inachevé


râle.

 

 

30

 


lave publiquement ton linge sans queue faire,


à bouche d’or on ne plaint pas le vulvéraire.

 

 

râle ou passe la main ou pelote ton ombre


et chante pour finir le babebibobu


par où tout commença. un jour la bouche sombre,


redonne-moi dit-elle un dernier coups de lu...


eh chère épine à muse, amuse-toi en corps,


sans compter tous les trous ni graphouiller l’Afnor.


en beaux girons égoutte à point le déglottant


Nonoléon, mon cop’ à mort dans la vie


transmutante, qui toujours criait : vers avant !


à la triste beauté dont mon faire a phobie.


toute ma tête tombe à vous causer de l’œuvre


inframots, et je sens qu’il me phallait folie


outrer pour devenir à ce point son manœuvre.

 

 

31

 


eau de la mort : j’en bois, testant le traitélu


manipulant l’effroi et le système cru.


pas de troc en-dessous : chacun garde ses vers,


autant de pris, çà finira par faire chair.


l’triqueur débitté n’a plus que son histoire


et l’alphabet ne peut ni greffe ni branloire.

 

 

la chair nous quitte, hélas ! voici venir le givre,


ah fuir, vers là-bas fuir ! où va naître le Livre.

 

 

rien, le vide papier invitant les orages


et la langue qu’un vent penche sur les naufrages


afin de vague en vague en égoutter le glas.


le ciel est mort, tant la matière saliva.


il faut, à petits mots, haler vers nos gencives


tout un chuchotement d’organe qui s’avive


et quoi ! tout est perdu, la merveille est naïve.

 

 

32

 


une sonore, vaine et monotone ligne..

 

.

 eh l’homme, regonflons ! que toute la mâture


lève l’encre afin d’écrire à contre-ciel


le mignon lèchemort que nous font la nature


et le temps. à bas l’alibi spirituel.

 

 

enduit de bave en raie, on se met phalle indu,


cadavrant maxi et chiquant du tutu.


rempile au rut, plum’ prêt’ à juter son pissuis-je :


il faut du carburant même pour les prodiges


tout fouteur est un cru, qui se tatse à la tige.

 

 

au trou l’a mis, ruisselle et se vide en saccades,


i secouant les vers rangés pour l’enfilade.


nue de nuque à talons et réclamant du clou,


sa beauté se feuillette à grande galopade :


ia de l’inspiration alentour qui s’ébroue.

 

 

33

 


regarde donc le ciel ! – c’est trop petit pour nous...

 

 

un jour on voit la dérision de la chiervelle,


non, non ! la vie est la farce à mener par tous.

 

 

n’expir’ sauf au clap-clap de la battante quenelle :


ordons-nous à limer parmi la lie des mots.


un cri qu’est peu écrit : la chiennerie des cau.


vers en viande vaut-il vit en vénus vissé ?


être mort et tenir toujours boutique à pieds,


ah ! n’est-ce point cela notre immortalité ?


une brise d’amour dans la nuit a passé.

 

 

motsère, j’y désserre une peu chère angoisse :


on a les poèmeux qu’on peut dans ma paroisse


nana ou pas nana, je mets dans le crachoir


des alchimies où la syllaberie croasse,


et je vois quelquefois ce que l’homme a cru voir !

 

 


Editions Givre, 1977

 

Du même auteur : 


 « Et maintenant que faire avec le rien… » (26/01/2014)


A vif enfin la nuit (26/01/2015)


Laile sous lécrit (27/01/2016)


« assiégé de quel rire… » (27/01/2017)


Fable (27/01/2018)


Lettre verticale / Bram (27/01/2019)


Le bât de la bouche (27/01/2020)


Tombeau de Lunven (10/03/2021)


Extraits du corps.1 (10/03/2022)


Grand arbre blanc (10/03/2023) 

 

Bruits de langues (23 – 33) (13/03/2025)

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