Atahualpa Yupanqui (1908 – 1992) : Baguala
Baguala
Pour écouter un chant dans la montagne
s’ouvrent toutes les fenêtres du ciel.
Sur les sommets
reste le souvenir du soleil étranglé.
Et déjà le versant lâche ses oiseaux d’écume
qui plongent de là-haut en un envol parfait
allumant dans les rocs un miracle de trilles.
Lente enjambée de mules ; tambourin des distances.
Le sentier crisse, crisse,
et pris de lassitude, il s’étend
de la vallée jusqu’à la cime.
Le sentier est meurtri de distance infinie.
La nuit a déployé sa bannière de vents
pour draper de nuages le chant du muletier.
Le chant monte. Monte...
Il se passe de chemins pour atteindre la cime.
Prison de terre grise ; et un sentier qui monte.
Poignard d’azur, le chant dissipe les nuages.
La baguala refuse l’étoile qui scintille
et la fleur qui parfume et la nuit apaisée..
Elle arrive de loin, gonflée de souffrances.
Elle sait tout du nid tiède, de l’enfant qui espère,
de l’ami qui est loin, du chemin douloureux...
La baguala refuse les douceurs
que lui offre la lune.
Et les mules avancent et grimpent dans la nuit.
Elles piétinent des neiges pour pétrir une cadence.
Ah ! qu’elle est loin, loin du chemin, l’idée !
Quel espoir infini au-delà de l’étoile !
Le pain juste coupé, cordial comme un aïeul.
Lutter pour un destin, vivre en sachant pourquoi.
Que les étés mûrissent dans l’âme de l’enfant.
Quelles chansons de paix dans les éperons !
Que de tendres semences pour semer la vie !
Ah ! si la vie changeait !...
Si l’âme fleurissait comme l’arbre fleurit !...
Si la voix qui nous nomme était musique !
Si les mules étaient à nous, les muletiers !
Alors oui, que viennent les messages de la lune,
les signes de l’étoile
Que s’enivrent de vie la lumière des calandres
et le vert des prairies...
Tant que nous meurtriront l’inutile, l’incertain,
le fouet de la faim, l’abandon et l’oubli,
les mules grimperont au rythme du malheur
vers la nuit obscure. !
Et l’homme des collines criera sa Baguala
comme un cri sans écho ;
étranger, dans la vie, perdu dans le lointain,
tout enflammé d’angoisses
et étranglant les ombres !
Porteur de mon destin, le destin des rivières :
chanter, pleurer, aller par les chemins.
Traduit de l’espagnol par Sarah Leibovici
in, Atahualpa Yupanqui : « Airs indiens »
Pierre Jean Oswald Editeur, 14600 Honfleur
Du même auteur : Poème de la mère Koya/ Poema de la madre Kolla (09/03/2024)
Baguala
Para escuchar un canto en la montaña
se estañ abriendo todas las ventanas del cielo.
Sobre las cumbres
se mantiene el rastro del degüello del sol.
Y a la vertiente suelta sus pájaros de espuma
Que vuelan cuesta abajo, en vuelo limpio
encendiendo en las peñas un milagro de trinos.
Tranco lento de mulas ; tamboril de ditancias.
Cruje la senda. Cruje.
Se fatiga, y se tiende
desde el valle a la cumbre.
La senda está dolida de distancia infinita.
La noche ha desplegado su bandera de vientos
mpara emponchar de nubes la canción del arriero.
El canto sube. Sube…
No precisa caminos para ganar la cumbre.
Cárcel de tierra gris ; una senda que sube.
Puña azul, el canto desbarata las nubes...
La baguala no quiere los guiños de la estrella.
Ni la flor que perfuma, ni la noche serena.
Ella viene de lejos, madura de sentires.
Sabe del nido tibio, y del niño que espera.
Del amigo lejano, del camino que duele...
La Baguala no quiere las blanduras
que le ofrece la luna.
Las mulas van andando, cuestas arriba, en la noche.
Van pisoteando nieves para amasar un ritmo.
¡ Qué lejos, oh, qué lejos del camino, la idea!
¡ Qué esperanza infinita, más allá de la estrella !
El pan recién cortado, cordial como un abuelo.
Luchar por un destino, vivir con un sentido.
Madurar de veranos en el alma del niño.
¡ Qué canciones de paz en las espuelas!
¡ Qué de semilla blanda, para sembrar la vida…!
Si la vida cambiara…
Si floreciera el alma como florece el árbol…
Si la vos que nos nombra fuera música
Si las mulas que arreamos fueran nuestras.
Enfonces sí que vengan mensajes de la luna.
Y guiños de la estrella.
Y se embriague de vida la luz de las calandrias.
Y el verde de las herbias...
¡ Qué mientras duela adentro lo inútil, lo inseguro,
latigazos del hambre, desamparos y olvidos…
andarán cuesta arriba las mulas con su ritmo,
rumbo a la noche oscura!
¡ Y el hombre de los cerros gritará su Baguala.
Como un grito sin eco ;
extranjero en la vida, perdido en la distancia.
Enardeciendo angustias
y degollando sombras... !
Con un destino igua lal de los ríos :
cantar, llora, y andar por los caminos.
Poème précédent en espagnol :
Gabriela Mistral : Choses / Cosas (14/02/2025)