Chawqui Baghdadi (1928 -) : Calme du soir
Calme du soir
Calme du soit que seuls brusquent mes grincements
et ceux d’une escarpolette en cette Fête finissante
Si je pouvais déposer mon esprit !
Un lambeau se détache de ma chair
un autre s’apaise
Je ne me disloquerai pas
resterai moi pour le dernier quart de la nuit
Je me laverai la face pour m’animer
même si je ne peux qu’imiter le voyageur
appliqué à déchiffrer le tableau fugace
filant dans les ténèbres
et qui lassé
s’abandonne
puis s’endort sur un coussin de soie
Ton visage apparaîtra
tes yeux
l’éclat de tes dents
et tu t’évanouiras
A-t-on frappé à la portière ?
Une femme est-elle entrée, a disparu ?
Ou bien l’ai-je rêvée ?
Suis-je arrivé ?
Est-ce là ma ville ?
Ces gens sont-ils miens
ces lumières-là ma maison
et ces stèles mes tombes ?
Prends ma main
ferme la portière si tu veux
tire le rideau
baisse ton voile
ne te montre pas
Ta rosée suffira
une fragrance qui ne trompe
quelque part chuchotée
un peu de langueur
et rien que le bord d’une couche
Je suivrai le long couloir
irai jusqu’au dernier wagon
aspirant le parfum qui s’exhale de toi
sillage d’une saison passée
d’un bref printemps
A ceux que je croise je demanderai
Avez-vous vu l’image d’une femme
qui a sauté d’ici
ou de là ?
Peut-être se moqueront-ils
et comme eux je rirai de mon désarroi
puis retournerai là d’où je viens
au siège encore vide
au rêve encore chaud
au temps où il était encore possible
de monter dans l’ultime compartiment du dernier train
Villages qui scintillent comme vers luisants
campagnes qui défilent
ciel qui répand une bruine
lavant la vitre mon front mes cheveux
Une secousse me réveille
Pas précipités
trompe du vigile
annonçant l’arrivée prochaine
Blondoiement de l’horizon
dans la brume que disperse le matin
Vapeur traînant sur les champs
et seulement ma pupille hantée
imaginant que l’escarpolette a embrassé la terre
s’est arrêtée loin loin
que celle qui s’est enfuie se mire
là-bas sur le quai ordonne sa chevelure
attend l’instant à venir
Je glisserai
glisse
descends les marches
vers une rencontre toujours même
C’est ma langue que j’entends alentour
je m’avance pour saluer
touche son gant parmi les mains nues
discerne ses traits
derrière ce qu’elle abaisse soudain sur son visage
Elle remercie Dieu de mon retour
et moi je murmure seulement
qu’elle aussi, louange à Dieu, est bien arrivée
Ce matin je l’ai choisi
Ici les pleurs ont pour espace le minaret superbe qui s’élance
et les rires nos vergers assoupis
Calme de la main
Nuit clémente
qui m’accorde son pardon
et me donne chaque jour
le billet d’un voyage sans fin
Traduit de l’arabe par Claude Krul
In, « Les Poètes de la Méditerranée. Anthologie »
Editions Gallimard (Poésie), 2010