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Le bar à poèmes
15 décembre 2024

Chawqui Baghdadi (1928 -) : Calme du soir

 

Calme du soir

 

Calme du soit que seuls brusquent mes grincements

et ceux d’une escarpolette  en cette Fête finissante

Si je pouvais déposer mon esprit !

Un lambeau se détache de ma chair

un autre s’apaise

Je ne me disloquerai pas

resterai moi pour le dernier quart de la nuit

 

Je me laverai la face pour m’animer

même si je ne peux qu’imiter le voyageur

appliqué à déchiffrer le tableau fugace

filant dans les ténèbres

et qui lassé

s’abandonne

puis s’endort sur un coussin de soie

 

Ton visage apparaîtra

tes yeux

l’éclat de tes dents

et tu t’évanouiras

A-t-on frappé à la portière ?

Une femme est-elle entrée, a disparu ?

 

Ou bien l’ai-je rêvée ?

Suis-je arrivé ?

Est-ce là ma ville ?

Ces gens sont-ils miens

ces lumières-là ma maison

et ces stèles mes tombes ?

Prends ma main

ferme la portière si tu veux

tire le rideau

baisse ton voile

ne te montre pas

Ta rosée suffira

une fragrance qui ne trompe

quelque part chuchotée

un peu de langueur

et rien que le bord d’une couche

Je suivrai le long couloir

irai jusqu’au dernier wagon

aspirant le parfum qui s’exhale de toi

sillage d’une saison passée

d’un bref printemps

 

A ceux que je croise je demanderai

Avez-vous vu l’image d’une femme

qui a sauté d’ici

ou de là ?

Peut-être se moqueront-ils

et comme eux je rirai  de mon désarroi

puis retournerai là d’où je viens

au siège encore vide

au rêve encore chaud

au temps où il était encore possible

de monter dans l’ultime compartiment du dernier train

 

Villages qui scintillent comme vers luisants

campagnes qui défilent

ciel qui répand une bruine

lavant la vitre mon front mes cheveux

Une secousse me réveille

Pas précipités

trompe du vigile

annonçant l’arrivée prochaine

 

Blondoiement de l’horizon

dans la brume que disperse le matin

Vapeur traînant sur les champs

et seulement ma pupille hantée

imaginant que l’escarpolette a embrassé la terre

s’est arrêtée  loin loin

que celle qui s’est enfuie se mire

là-bas sur le quai ordonne sa chevelure

attend l’instant à venir

 

Je glisserai

glisse

descends les marches

vers une rencontre toujours même

C’est ma langue que j’entends alentour

je m’avance pour saluer

touche son gant parmi les mains nues

discerne ses traits

derrière ce qu’elle abaisse soudain sur son visage

Elle remercie Dieu de mon retour

et moi je murmure seulement

qu’elle aussi, louange à Dieu, est bien arrivée

 

Ce matin je l’ai choisi

Ici les pleurs ont pour espace le minaret superbe qui s’élance

et les rires nos vergers assoupis

 

Calme de la main

Nuit clémente

qui m’accorde son pardon

et me donne chaque jour

le billet d’un voyage sans fin

 

 

Traduit de l’arabe par Claude Krul

In, « Les Poètes de la Méditerranée. Anthologie »

Editions Gallimard (Poésie), 2010

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