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Le bar à poèmes
5 novembre 2024

Salah Stétié (1929 - 2020) : Cécité du chanteur

 

Portrait de Salah Stétié par Pierre Alechinsky 

 

Cécité du chanteur



Et l’arbre et les fagots d’étincelles

Par centration du froid

Étreignant comme araignée le non tenu

Où nous aimons en lente rotation

Le nu de jeune fille

En qui se forme de rosée l’inouïe parole

Comme une lampe embrumée s’abreuve

 

Et nous allons avec le bleu du gaz

De cette lampe étrange

Nous abîmer sous les cailloux qui brûlent

Rivage de lune indurée

vec son liseré de braise, colombe

Faite pour notre amour, mon amour, faite d’un sens

 

Cette colombe avec le peu de braise

Elle est, ciel asséché, ma brûlure

Écrite au pourtour de l’arbre puis désécrite

Afin de laisser libre

L’esprit de qui l’illusion brille au ciel

 


Puis c’est sur l’arc et l’herbe

L’étoile en rêverie terrible, l’eau

Qui flambe avec la rosée des jardins

Debout façonnées en jarres leurs roses vides

Comme poupées de notre nuit mortelle

Attendant archaïquement le non né

.

L’enfant d’enfance est dans l’herbe ; dans l’herbe

Il brille avec le jour

Il marche avec la lampe noire évasive

A la hanche du jour

Hache du temps où flambe aussi le jour

Et qui palpite où les nuages dorment

 


Absolue inchangée substance — le soleil

En lui poussière et lyre

Friable en son dessèchement de songe

Parmi les arbres qui verdoient sur la douleur

De cet enfant natal en perte pure


 

Le flanc si mince de l’enfant de désir

S’efface où va la neige

Avec la lampe noire d’un désordre

Contre le vent inaltéré de la substance

Où les nuages sont un feu très pur

 


Enfant es-tu de ton jumeau limpide

Et vos genoux de braise

Comme des fruits dans la corbeille des saisons

Par la nuit méditante

Qui ouvre un peu son aile d’étincelles


 

Retenez-moi par l’air et par les mains

Dans la nuit veinée d’arbres

Sous de larges étoiles fraîche. L’amour,

— Cette braise entre nous et tous ses fruits

Venteusement ces fruits comme le corps

Formé d’amour, qui est blessure et colombe

 


Ah ! nous soit feu la cruche de ce corps

A quoi nous buvons par douleur et patience

Sous les milliers d’astres de l’âge, allégé,

Où nous allons soumis aux arches vives

Tout ce nuage

— A la fin nu comme le sang voilé


 

L’un de nous s’est avancé le visage brûlé de nids

Vers la cécité du chanteur

En son aveugle chant fait de larmes

Comme un rideau de rosée sur les collines

Soumises à de vieux arbres

Sous l’arc tendu en nuage d’incandescence

 


Cela, c’est poésie de terre noire

Avec les boeufs profonds et courbes

Par toute lyre incendiée saisis

Avant de donner jour à la colombe

Divisée indivisée mortelle

Son nid du côté de l’aorte


 

Retenez-moi par l’air au bord des arbres

Et ce bleu de l’esprit

 

Où la souffrance est nue dans ses ongles

En un matin réel de rosée folle

Le pays rouge et clair

Éparpillé sous les colombes des nuages

 


Ah ! tuez ces colombes

En écrasant leur ombre sur l’enclume

La désirante avec les géraniums

Tandis que s’en vont de nuit les nœuds

Dans l’invisible établissant leurs pièges


 

A toute mère il faut donner un silence

Avec les doigts dorés de ses fils

Dans l’ellipse et l’éclair

La lune ayant chassé la vue

Puis cousu et recousu les paupières

A toute mère il faut l’herbe et la lyre

Par prophétie et ce cri d’un visage

Où brille encore une eau presque d’enfance

Que boira en creux la colombe

Chimérique et de gorge nue

 

 

Revue Po&sie, N°32

Editions Belin, 1985

Du même auteur :

« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)

Dormition de la neige (10/05/2021)

La terre avec l’oubli (05/11/2021)

Longue feuille du cristal d’octobre 09/05/2022)

L’enfant de cendre (05/11/2022)

Jardin de l’Un (09/05/2023)

La nuit du cœur flambant (05/11/2023)

L’épée des larmes (09/05/2024)

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