Salah Stétié (1929 - 2020) : Cécité du chanteur
Portrait de Salah Stétié par Pierre Alechinsky
Cécité du chanteur
Et l’arbre et les fagots d’étincelles
Par centration du froid
Étreignant comme araignée le non tenu
Où nous aimons en lente rotation
Le nu de jeune fille
En qui se forme de rosée l’inouïe parole
Comme une lampe embrumée s’abreuve
Et nous allons avec le bleu du gaz
De cette lampe étrange
Nous abîmer sous les cailloux qui brûlent
Rivage de lune indurée
vec son liseré de braise, colombe
Faite pour notre amour, mon amour, faite d’un sens
Cette colombe avec le peu de braise
Elle est, ciel asséché, ma brûlure
Écrite au pourtour de l’arbre puis désécrite
Afin de laisser libre
L’esprit de qui l’illusion brille au ciel
Puis c’est sur l’arc et l’herbe
L’étoile en rêverie terrible, l’eau
Qui flambe avec la rosée des jardins
Debout façonnées en jarres leurs roses vides
Comme poupées de notre nuit mortelle
Attendant archaïquement le non né
.
L’enfant d’enfance est dans l’herbe ; dans l’herbe
Il brille avec le jour
Il marche avec la lampe noire évasive
A la hanche du jour
Hache du temps où flambe aussi le jour
Et qui palpite où les nuages dorment
Absolue inchangée substance — le soleil
En lui poussière et lyre
Friable en son dessèchement de songe
Parmi les arbres qui verdoient sur la douleur
De cet enfant natal en perte pure
Le flanc si mince de l’enfant de désir
S’efface où va la neige
Avec la lampe noire d’un désordre
Contre le vent inaltéré de la substance
Où les nuages sont un feu très pur
Enfant es-tu de ton jumeau limpide
Et vos genoux de braise
Comme des fruits dans la corbeille des saisons
Par la nuit méditante
Qui ouvre un peu son aile d’étincelles
Retenez-moi par l’air et par les mains
Dans la nuit veinée d’arbres
Sous de larges étoiles fraîche. L’amour,
— Cette braise entre nous et tous ses fruits
Venteusement ces fruits comme le corps
Formé d’amour, qui est blessure et colombe
Ah ! nous soit feu la cruche de ce corps
A quoi nous buvons par douleur et patience
Sous les milliers d’astres de l’âge, allégé,
Où nous allons soumis aux arches vives
Tout ce nuage
— A la fin nu comme le sang voilé
L’un de nous s’est avancé le visage brûlé de nids
Vers la cécité du chanteur
En son aveugle chant fait de larmes
Comme un rideau de rosée sur les collines
Soumises à de vieux arbres
Sous l’arc tendu en nuage d’incandescence
Cela, c’est poésie de terre noire
Avec les boeufs profonds et courbes
Par toute lyre incendiée saisis
Avant de donner jour à la colombe
Divisée indivisée mortelle
Son nid du côté de l’aorte
Retenez-moi par l’air au bord des arbres
Et ce bleu de l’esprit
Où la souffrance est nue dans ses ongles
En un matin réel de rosée folle
Le pays rouge et clair
Éparpillé sous les colombes des nuages
Ah ! tuez ces colombes
En écrasant leur ombre sur l’enclume
La désirante avec les géraniums
Tandis que s’en vont de nuit les nœuds
Dans l’invisible établissant leurs pièges
A toute mère il faut donner un silence
Avec les doigts dorés de ses fils
Dans l’ellipse et l’éclair
La lune ayant chassé la vue
Puis cousu et recousu les paupières
A toute mère il faut l’herbe et la lyre
Par prophétie et ce cri d’un visage
Où brille encore une eau presque d’enfance
Que boira en creux la colombe
Chimérique et de gorge nue
Revue Po&sie, N°32
Editions Belin, 1985
Du même auteur :
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