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Le bar à poèmes
10 mai 2024

Salah Stétié (1929 - 2020) : L’épée des larmes

 

L’épée des larmes

1

A la fin de cela qui fut neige

Et qui porta de nuit les lieux du cœur

Le fleuve aux blancheurs d’ombre

Aveugle par la neige

Comme la lampe endommagée des prairies

Brebis égorgée vive

 

Et ma mère allongée sous le laurier

Vers la fin de la neige

Comme une femme avec l’ensemble de ses fruits

Dans la parole elle est assise et elle mange

Assise et elle mange

Si doucement ce qu’elle mange la devient

O rose insexuée

A genoux est le cœur

Au-dessus d’une rose de sel vide

 

Sous le soleil et l’air

Me voici, mère, avec mon nom de personne

Devant l’hortensia disparu

2

La pluie est mélangée au lierre de substance

Sous la beauté de l’être et de la pluie

Aimé pays d’image morte vive

En qui l’esprit dans le réseau des neiges

Regarde se déconcerter l’esprit

 

                                       ô patrie pure

Profonde es-tu, partie avec les arbres

Allés sur des cadastres d’incendie

Si beaux grands arbres dans leur verdoiement de cri

Plus pur que pur, leur cri, pavot des neiges,

Par nuit de veille auprès de l’eau de neige

Fulgurant dans le brûlant jour de l’esprit

3

L’enfant, le fils des larmes

Il parle à la bruyère

En terre étrange étrange et substantielle

Dorm nt dans le vent d ’arbres

Comme colombe fraîche

Créée puis décréée

Qui mendie de nous le plus pur

 

Créée puis décréée

Bleue brûlant froide

Comme une perle intérieure — et quelle ?

Quand la parole avec son blé sera

Belle et si belle, à cause de cela

Effrayée par le froid

 

Le feu viendra la toucher mais sans lui nuire

Comme cela fut dit

En attendant elle est du feu l’absence

A l’intérieur du feu de la substance

Où son visage et sa profonde neige

Aveugle neige de ses yeux dans la neige

Où son visage, et tous ses raisins, dormira

4

L’enfant d’enfance avec l’oiseau timide

De l’autre côté de la vie avec les arbres

Son flanc d’enfance est un enfant limpide

Que brûle un peu le géranium, l’oiseau

Est un effroi léger dans le monde

Friable est-il et si froidement limpide

Qu’il est comme une lame de la mort

Tirant le ciel une femme dormante

Avec le feu du ciel pour nourriture

L’effort de l’être en elle, la rivière

Est son visage accompli dans la mort

Nubile est-elle à peine, son épaule

Contre le vent de la montagne froide

L’eau pure est son enfant de n it dans le monde

5

Et nous voici devant l’éblouissement

Eblouis par l’éblouissement

C’est peut-être la fin et c’est la fin

Cela, l’éclat des arbres,

L’éclat des arbres, le charbon de la blessure

Depuis l’eau la première

A laver cendre et rive, à consoler nos larmes

 

Le bleu du ciel avec l’enfermement

Et le soleil — qui du soleil parla ?

Les cils brûlés, nous contemplons la rivière

Ses eaux brûlées dans l ’eau de la maison

Car c’est bientôt bientôt

Comme une main de jeune fille et de fontaine

La femme brune avec un châle d ’eau

Plus nue, mirée d’éclat

6

Où l’arbre prend figure

Au-dessus de la traversée des fleuves

Liés et déliés par noeuds obscurs

Et cette femme avec sa larme de colombe

En feu d’unicité

Offerte à la dévastation du cœur

 

Oiseaux très fins sous les passants nuages

C’est avec vous la vie, nous regardons

Se former de basalte un corps de songe

Sa bouche inférieure aimée du songe

Bouche endormie sous la frayeur des nébuleuses

Comme est la rose fraîche

Que mangera la chèvre

Installée dans la limpidité stérile


7

La petite fille de l ’am our

Elle est petite elle est la chim ère du sein

A u centre de la lampe

Elle est la flamme et le cri de la douleur

A u centre de la lam pe de l ’esprit

L arm e en éclat de lune

T enue par le long violon de la distance

Avant la neige avant le givre des am ants

Q ui la connaît, qui la lia et qui

L a délia par nuit de neige ?

L arm e du très long verre

Sinon les rusés renards des roseraies

Q ui l ’ont connue dans le cristal q u ’elle fut

Avant l ’immense neige

E nfant du jour penchée sur la chim ère

D e ce q u ’elle fut

8

Puis c’est de l’eau cousue et recousue

La terre a besoin d’arbres

A cause de l’inverse lame de la lune

Spirituelle effrayée par les nuages

Quand l’araignée de la finesse obscure

Saisit le bien-aimé soleil

Le mort promis, le noyé de la verdure,

Sa bouche attachée à l’éclat

 

La peau d’avant, dans le miroir des roses !

Le ciel le ciel inscrit

Au beau visage de la femme et de l’homme

Assis réellement

Sur la chaise réelle

— Buvant à deux, bouche à bouche, l’épée du vent
 

9


Notre maison, voici

Une frontière elle la passe avec la nuit

Et ce bois invisible

Jusqu’au matin où la lumière est nue

Comme une femme nue

O transparente obscure

Bouche lavée par le clair de la pluie

Pour le franchissement d’une colombe

Avant son absorption par la nuit


Avant la nuit comme un cheval timide

Est la maison à cheval sur la nuit

Sa tête de cheval bientôt colombe

Ses longs naseaux brûlés d’un souffle inouï

Comme le vent se défait et respire

Le reste étant cheval de chair obscure

Mis en traverse de la nuit

10


Notre maison de neige

Elle est brûlante avec ses racines

Parmi le froid des murs

Ses eaux lavées par les eaux de la pluie

Quand tout s’efface avec le nom de la brume

Laissant sur la rive mortelle l’enfant de nuit

 

Et quel esprit l enflamme

Et qui l’enflamme à l’orée du soleil

Dans le vent froid du long jasmin dorant ses membres

Brûlant, et ses bouches d’amour, contre l’amour

De cette femme en larmes

Endormie avec elle-même dans son corps

Qui rêve et puis s’en va ?


11


Les dernières maisons sont traversées d’un arbre

Leurs roses calcinées par innocence

A cause de la neige absence d’homme

Et sa main invisible

Vers ce visible vers ce plat sur la table

Dont plus jamais personne ne mange

 

Il y a sous l’arbre

Plusieurs enfants abandonnés par le sommeil

Dans leur jardin tacite

Tandis que les étoiles voisines

A l’œuvre dans le petit bois près de la mort

Apprennent d’eux les formes de la patience


12


« L’homme habite une maison de verre »

Et le violon de ce qu’il est est son triomphe

De larmes et de colombes

En relation de neige avec l’arbre

Cet arbre-ci privé de sa musique

Ses branches naturées sous le bâillon

 

Bâillon de neige sur les bouches de l’arbre

Aux invisibles branches

Déterrant d’une voix les fondations

De la maison de verre

Sous les aigles petits du très haut ciel

Mangeurs d’oiseaux, jeteurs de pierres

Se déployant dans la légèreté des archaïsmes

13


L’enfant jamais venu

Nous l’avons attendu sur les terrasses

Lavées d’un peu de froid laurées de fruits

Au-delà des limpidités du cœur

En qui se promène une lampe évasive

Et ne tenant à rien

Mais seulement aveugle par ses larmes

 

Ô corps formé de larmes

Donne-nous donne-nous l’enfant d’enfance

Par la pluie retenu et si amoureusement noué

A ses chantantes perles

Qu’il s’en dégage ainsi qu’un cheval d’or

Brûlant de son sabot l’herbe d’enfance

Contre la nuit brûlée de plusieurs sens

Où dorment, et leur sang naïf, les framboises


14


Noble maison par le volubilis

Dans la maison de l’être

Écrite elle est lueur

Lueur dans la lueur

Elle est délaissement de la lueur

Ses lampes retournées à l’eau fraîche

 

Inhabitée inhabitée maison des larmes

Comme au fermier des libellules

Gardant secrète en soi l’épée des larmes

Parm  les paysans d’ici, hommes de songe

Pesant leur poids de songe

Et leurs raisons sont si puissantes dans le songe

Qu’ils sont debout comme des pierres


15


Déesses de l’été dans les nuages

Sur ce pays d’immenses immenses arbres

En des jardins posés près de la pluie

Comme un toucher soudain d’abeille froide

Femmes de lait avec les paysages

L’épée des larmes à la main ô invisibles

Au point le plus haut de l’été disparues

Au point le plus noir de l’esprit formées colombes

 

Et l’on salue l’ouverte lampe de colombe

Au point le plus haut de l’été disparu

Où les déesses de l’esprit sont des énigmes

Comme beauté songée dans le goudron

En attendant la réduction promise

Du nom qui est le nom derrière le nom

En qui s’effacera aussi le nom

 

Revue Po&sie, N°58

Belin éditeur, 1991

Du même auteur :

« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)

Dormition de la neige (10/05/2021)

La terre avec l’oubli (05/11/2021)

Longue feuille du cristal d’octobre 09/05/2022)

L’enfant de cendre (05/11/2022)

Jardin de l’Un (09/05/2023)

La nuit du cœur flambant (05/11/2023)

Cécité du chanteur (05/11/2024)

 

                                                                                          

 

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