Alfred Jarry (1873 – 1907) : Pastorale
Pastorale
Le meunier des noces avait perdu
son petit-fils. Il monte à l’échelle. Il
met un clou à la porte. A l’araignée :
« Et maintenant toi, la Clou-en-Croix,
file ton mur. »
L’espoir des prés et le sourire du ciel calme
Regardent vibrer l’air aux trilles du gazon.
Un ormeau céladon évente de sa palme
Le soleil altéré qui sue à l’horizon.
Frisant sur les chapeaux les rubans pendeloques
Le vent rougeoie et rit à l’araignée en deuil
Tirebouchonnant aux nuques les lourdes coques
Des manteaux d’arlequin à la scène du seuil.
Un aigre violon a grincé dans la grange ;
Et vers le son moteur de pantins les danseurs
Par l’aire ont marqué nets leurs talons sur la fange.
La barque de l’archet vogue en rythmes berceurs.
Voici les cloches des dimanches et des verres,
Les timbres orfévris des mantelets pendants,
Les mandolines de cristal vert de trouvères,
Les trompes chalumeaux léchant leurs cris ardents.
Le soleil cramoisi sur les plaines s’essuie.
Les couples deux par deux se hâtent vers l’abri.
Le branle des sabots bruit plus près sous la pluie.
À quand les diamants de l’arche colibri ?
Les jets ont flagellé. Les paumes des deux pôles
Fouettent de l’eau de leurs flèches les bois ventrus.
Le tonnerre tombant tintamarre ses tôles
Dont décortiqués se tordent les damas drus.
Dans le cercle fermé de mes doubles prunelles
Les feuilles ont dormi sur le mur de ma croix.
Voici se resserrer les griffes éternelles
Qui recourbent la tiare au chef crossé des rois.
L’aurore du jour d’or rose a dissous les spectres.
Au faix de plus lourds pieds la fleur des champs se meurt.
Le Temps de gauche à droite au roulis de ses plectres
Balance l’essor des chordes, comme un semeur.
Le chant de cheminée a bleuté sa volute.
La source grillon aux algues du frais berceau
Palpite ses gouttelettes en trous de flûte.
Le billon a bondi du tambour du ruisseau.
De ceux qu’ont transis les espérances charnelles
Égrenant la vertèbre en les sépulcres froids
Pour celui qui honnit le dôme de nos droits
La sarcelle grise ahurit au grand soleil
L’ivoire courbé pair au front bas des taureaux
Les jours et les nuits
Société du Mercure de France, 1897
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