Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
6 novembre 2024

Alfred Jarry (1873 – 1907) : Pastorale

 

Pastorale

 

                                                                                                                           Le meunier des noces avait perdu

                                                                                                                       son petit-fils. Il monte à l’échelle. Il

                                                                                                                       met un clou à la porte. A l’araignée :

                                                                                                                       « Et maintenant toi, la Clou-en-Croix,

                                                                                                                       file ton mur. »

 

 

L’espoir des prés et le sourire du ciel calme

Regardent vibrer l’air aux trilles du gazon.

Un ormeau céladon évente de sa palme

Le soleil altéré qui sue à l’horizon.

 

Frisant sur les chapeaux les rubans pendeloques

Le vent rougeoie et rit à l’araignée en deuil

Tirebouchonnant aux nuques les lourdes coques

Des manteaux d’arlequin à la scène du seuil.

 

Un aigre violon a grincé dans la grange ;

Et vers le son moteur de pantins les danseurs

Par l’aire ont marqué nets leurs talons sur la fange.

La barque de l’archet vogue en rythmes berceurs.

 

Voici les cloches des dimanches et des verres,

Les timbres orfévris des mantelets pendants,

Les mandolines de cristal vert de trouvères,

Les trompes chalumeaux léchant leurs cris ardents.

 

 

Le soleil cramoisi sur les plaines s’essuie.

Les couples deux par deux se hâtent vers l’abri.

Le branle des sabots bruit plus près sous la pluie.

À quand les diamants de l’arche colibri ?

 

Les jets ont flagellé. Les paumes des deux pôles

Fouettent de l’eau de leurs flèches les bois ventrus.

Le tonnerre tombant tintamarre ses tôles

Dont décortiqués se tordent les damas drus.

 

Dans le cercle fermé de mes doubles prunelles

Les feuilles ont dormi sur le mur de ma croix.

Voici se resserrer les griffes éternelles

Qui recourbent la tiare au chef crossé des rois.

 

L’aurore du jour d’or rose a dissous les spectres.

Au faix de plus lourds pieds la fleur des champs se meurt.

Le Temps de gauche à droite au roulis de ses plectres

Balance l’essor des chordes, comme un semeur.

 


Le chant de cheminée a bleuté sa volute.

La source grillon aux algues du frais berceau

Palpite ses gouttelettes en trous de flûte.

Le billon a bondi du tambour du ruisseau.

 

De ceux qu’ont transis les espérances charnelles

Égrenant la vertèbre en les sépulcres froids

Pour celui qui honnit le dôme de nos droits

La sarcelle grise ahurit au grand soleil

 

L’ivoire courbé pair au front bas des taureaux

 

 

 

Les jours et les nuits

Société du Mercure de France, 1897

Du même auteur :

Madrigal (30/04/2019)

Manao tupapau (05/11/2020)

Ia orana Maria (06/11/2021)

Tapisseries. I. La peur (06/11/2022)

Tapisseries. II. La princesse Mandragore (06/11/2023)

 

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
108 abonnés