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Le bar à poèmes
8 novembre 2024

Anise Koltz (1928 - 2023) : Je renaîtrai (2)

(c) F.P.
 

 

Je renaîtrai

 

......................................................................

 

SANS QUE RIEN NE SE PASSE

 

Je retournerai

dans les profondeurs de la terre

où sommeillent

les pierres

les sources

 

Mon sang cessera de tourner

Les jours défileront

sans que rien ne se passe

 

Dès à présent

j’arrache la ligne de vie

de mes paumes

      ............

 

JE T’AIME

 

Je t’aime

parce que ton amour

inventé pour voler

est un faucon

qui s’est posé sur mon poing

 

BOMBE ATOMIQUE

 

Née au siècle de la bombe atomique

je vis avec elle

je la porte en moi

comme un huitième sacrement

      ............

 

LA VIE

 

Le temps répète ses jours

comme l’homme répète ses questions

 

Rien ne change –

la vie nous renvoie

au crime initial

 

Chacun de nous

a déjà sa place en enfer

 

LES JOURS PASSENT

 

J’existe

sans exister

 

Les jours passent

comme s’ils ne passaient pas

 

L’avenir

reste l’avenir

      ............

 

CONSEIL

 

Au lieu de sacrifier des hommes

pour des idées

 

Sacrifier des idées

pour sauvegarder l’homme

 

LA PAGE

 

La caravane de mes mots

traverse la page

désert blanc

sans repères

sans points d’eau

      ............

 

LA POESIE

 

La poésie

est la toxicomanie

de la parole

      ............

 

Chaque parole est

une part du monde

 

ABIMES

 

Un courant alternatif me traverse

si vous me suivez

dans un monde électrique

dans mes abîmes

fouettant votre pouls avec le mien

 

Alors mes poèmes

vous appartiendront

alors vous m’appartiendrez

      ............

 

OUVERTE

 

Je traverse les mots

en marchant sans boussole

ma poésie est ouverte

comme une plaine

 

Je ne rencontre personne

si ce n’est moi

qui passe

sans me regarder

 

MES PAROLES

 

Ma mère m’a appris

à bouger les lèvres

comme un automate

 

A remplir et vider mes poumons

pour allumer une braise éteinte

depuis des millénaires

 

Mes paroles se sont teintes de rouge

mes vocables ont coagulé

mes verbes se sont suicidés

 

Mon sang est devenu

rhésus négatif

 

ENCORE MA MERE

 

Depuis quatre-vingt ans

ma mère me met au monde

et m’enterre

quotidiennement

 

Je porte son nom

comme une camisole de force

 

Suçant son sein

je me suis endormie

pendant des siècles

tandis qu’elle labourait

mes champs

 

En me réveillant

je me suis effondrée

sous ses paroles acides

 

Dans son corps

le lait avait tourné

 

PASSAGES CLANDESTINS

 

J’ai trouve mon père

dans un panier d’osier

au bord du Nil

 

Retiré du fleuve

je l’ai élevé

avec mes fils

 

Tôt il divisait les eaux

en frayant des passages

clandestins

à travers les flots

 

De ses bâtons

il fit sortir des serpents

 

Peu à peu il me transforma

en veau d’or

pour danser autour de moi

 

PÊLE-MÊLE

 

Parler en plusieurs langues

pêle-mêle

comme dans un accès de fièvre

répéter les paroles de ma mère

et celle des autres

 

Les garder dans la bouche

tel le coquillage retenant

un reste d’eau de mer

      ............

 

LE SILENCE

 

Dans la poésie

j’écoute le silence

 

dans le silence

j’écoute la mort

et le recommencement

 

TOUS LES POEMES

 

Le poème n’est jamais seul

il porte avec lui

tous les poèmes

depuis le commencement

du temps

 

Respirant la vie

ils respirent

en même temps

la mort

      ............

 

LA LUNE

 

J’arrête la lune

dans sa course

 

Je la fais entrer en elle

je la confine

dans sa forme de croissant

 

Que je croque

au petit matin

 

DANS L’OBSCURITE

 

Le Christ savait –

il connaissait tout d’avance

 

Nous ne savons rien –

nous pataugeons seuls

dans l’obscurité

 

Nous sommes les crucifiés

      ............

 

EXACTEMENT

 

Nos chemins se rencontrent

exactement au point

où ils se séparent

 

PAROLES SUSPENDUES

 

Toutes les langues propagent le silence

dont elles sont issues

 

parfois une parole

reste suspendue

un moment dans l’espace

sans poids

 

Comme une plume

perdue d’un rapace

      ............

 

A QUI ME FIER

 

Tout ce que je touche

diffère de ce que je vois

 

A qui

à quoi me fier

 

J’empreinte la respiration de mon prochain

pour faire des poèmes

 

L’ARBRE DE LA CONSPIRATION

 

Notre réalité est trompeuse

une hallucination collective

L’arbre de la connaissance

n’est qu’un pylône à haute tension

 

Le silence

contient les plus beaux poèmes

 

 

 

  Je renaîtrai

Editions Arfuyen, 2011

De la même autrice :

Un monde de pierres (I) (08/11/2021)

Un monde de pierres (II) (07/05/2022)

Galaxies intérieures (I) (08/11/2022)

Galaxies intérieures (II) (07/05/2023)

Soleils chauves (08/11/2023)

Je renaîtrai (1) (07/05/2024)

 

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